L’une des pièces maîtresses de l’aérien français va peut-être passer, dans les mois qui viennent, entre les mains d’un opérateur privé, sous réserve qu’un hypothétique référendum ne décide du contraire. Le débat déclenche les passions, essayons la raison…
La privatisation de Groupe ADP (Roissy-CDG, Orly, Le Bourget, et une dizaine d’aéroports franciliens) pourrait être enclenchée en 2020… Ou pas : ouverte le 13 juin 2019 à l’initiative de 248 parlementaires, la collecte de signatures citoyennes s’achèvera le 12 mars 2020. A cette date, si la barre des 4 717 396 signatures, l’équivalent de 10 % du corps électoral, est atteinte, la voie à un référendum d’initiative partagée (RIP) sera ouverte.
L’enjeu est de taille : on ne sait, pour l’heure, si l’Etat resterait, en cas de privatisation, actionnaire d’ADP et à quelle hauteur ; on sait cependant qu’il en perdrait le contrôle, au profit d’un opérateur privé pour les 70 prochaines années, durée de la concession décidée par le gouvernement.
Le débat qui s’est instauré entre partisans et adversaires de la privatisation n’évite que rarement la posture idéologique. Celle-ci repose sur le périmètre d’action qui devrait être celui d’un Etat dans la vie de la Cité. Si « idéologie » n’est pas un gros mot, si le débat entre thuriféraires d’un Etat interventionniste et panégyristes d’un Etat gendarme, s’en tenant à ses fonctions régaliennes, peut s’avérer passionnant, il peut aussi favoriser l’expression de passions au détriment de la réflexion, de réflexes partisans en lieu et place d’arguments construits.
A cela s’ajoute un contexte social tendu qui, pour le sujet qui nous occupe, se conjugue à la perspective Vinci. Tous les analystes s’accordent à dire que le champion du BTP français, par ailleurs concessionnaire d’aéroports via sa filiale Vinci Airport, est en bonne place pour décrocher la timbale en cas de privatisation d’ADP… Or, le groupe, en tant qu’exploitant d’une grande partie des autoroutes françaises privatisées en 2005-2006, est devenu « un symbole du transfert des richesses publiques aux multinationales » (Le Monde du 8 avril 2019). Un symbole négatif, bien sûr, remis au goût du jour avec force lors du mouvement des gilets jaunes… et, par voie de conséquence, un autre facteur de parasitage des discussions.
Des questions qui se posent
En nous affranchissant de ces positions potentiellement sclérosantes et de ces circonstances qui nuisent à la sérénité des débat, nous tenterons, tout au long de cette semaine, de mettre sur la table les arguments des deux camps autour de trois grandes questions :
- Quel est l’intérêt d’une privatisation pour l’Etat et, au-delà, pour les Français ?
Les partisans de la privatisation arguent, à l’unisson du gouvernement d’Edouard Philippe, qu’un Etat stratège devrait se faire investisseur dans l’économie de l’avenir plutôt que d’être rentier de l’économie d’aujourd’hui. En d’autres termes, plutôt utiliser le produit de la privatisation d’ADP pour financer les innovations de rupture, que de se contenter de récolter les dividendes de la participation publique dans ADP… Certes mais pourquoi ne pas utiliser ces dividendes pour investir dans les secteurs, les entreprises porteuses de promesses tout en ne se séparant pas des bijoux de famille ?
- L’Etat perdra-t-il la main sur une société qui peut s’avérer un outil stratégique au service de politiques publiques ?
Quand on parle d’outil stratégique, on pense ici à des politiques volontaristes en termes d’écologie ou de développement des territoires… Bruno Le Maire le jure : « Dans le cahier des charges, l’État apporte des garanties nouvelles et plus fortes sur les modalités d’exploitation que celles qui existent aujourd’hui. Il comportera des points précis sur le respect de l’environnement, sur les services, sur les emplois ». Mais peut-on imaginer un acquéreur qui débourserait 9 milliards d’euros tout en n’ayant pas les coudées franches ?
- Une gestion privée serait-elle un facteur de développement de l’entreprise ADP et, au-delà de cette entité, qui en profiterait, qui en souffrirait ?
Ici, la perspective spéculative, la projection incertaine sont, par définition, de mise. Nous tenterons de les encadrer d’un maximum de rationalité en regardant du côté des aéroports français privatisés il y a peu : Nice-Côte d’Azur, Toulouse-Blagnac, Lyon-Saint Exupéry.
Lire à ce sujet :
- L’interview de Jacques Delplat, pro-privatisation non-béat
- Les arguments des anti
- Les exemples de Lyon et Toulouse