Dans le cadre de l’enquête de l’Autorité de la concurrence britannique, les deux TMC ont présenté leur vision de l’offre et de la demande de business travel comme autant d’arguments pour convaincre que leur fusion ne nuirait pas au marché. Ceux-ci sont-ils convaincants ? Tentative de réponses, avec l’aide de William Edel, PDG de Wagram Voyages, et de Moncef Khanfir, fondateur de WonderMiles.
Le tremblement de terre que constitua l’annonce de l’acquisition de CWT par Amex GBT, en mai dernier, continue de faire vibrer l’actualité de l'écosystème “business travel” (BT), si ce n’est frémir ses acteurs. Depuis deux semaines, c’est le feuilleton opposant les deux impétrants à l’Autorité de la concurrence et des marchés britannique (Competition and Markets Authority - CMA).
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Du côté des deux giga TMC, il s’agit de démontrer, arguments à l’appui, que leur fusion ne constituerait pas une entrave à la concurrence dont les clients - notamment - subiraient les conséquences. Alors ils parlent du marché, mais suivant un discours orienté, bien sûr, ce qui ne signifie pas forcément “fallacieux”. Justement, analysons-les, ces arguments, et tentons d’en évaluer la pertinence.
Amex GBT + CWT : “Le marché des services de voyage d'affaires est très concurrentiel et compte un grand nombre de concurrents puissants pour des clients de toutes tailles”
“Il y a quelque chose de cocasse à voir Amex GBT affirmer à la CMA que dans le voyage d’affaires, le ticket d’entrée n’est pas si élevé que ça, alors qu’ils expliquent l’inverse, à longueur d’appels d’offres”. Cette remarque, non dépourvue de malice, est signée d’un très bon connaisseur du marché du business travel. Pourquoi s’exprime-t-il sous couvert d’anonymat ? “Parce que c’est délicat. C’est un sujet qui rend nerveux les concurrents et les clients (de GBT et CWT, ndr)”.
Moncef Khanfir, fondateur de WonderMiles ne dit pas autre chose : “Certes, le marché est très concurrentiel, mais tout le monde ne joue pas dans la même cour. Il y a toujours les mastodontes, qui peuvent concourir sur n’importe quel appel d’offres. Pour les autres, la taille du marché restera toujours limitée.” William Edel, PDG de Wagram Voyages ne dit pas autre chose, qu’il résume en une formule : “Je pense que les monstres vont parler aux monstres mais c'est déjà le cas”.
“C’est déjà le cas”, certes, mais le même de considérer : “C’est une puissance considérable qui va leur donner un avantage concurrentiel énorme en termes de négociations avec les compagnies aériennes, de puissance d’investissement en techno et ça, c’est majeur dans le BT, sachant que GBT a déjà racheté KDS (aujourd’hui Neo, ndr) et Egencia.”
Mais la conclusion de William Edel peut surprendre : “C’est une alliance qui peut faire mal à la concurrence mais du bien au marché.” Comprendre : CWT et GBT agiraient comme des boosters tirant vers le haut l’ensemble des acteurs qui, même plus petits, pourront se distinguer par des “investissements plus agiles, à l’image d’un WonderMiles”.
Une opinion qui, notons-le, bat en brèche l’une des doutes de la CMA motivant l’ouverture d’une enquête de phase 2, ceux selon lesquels la constitution d’un tel géant, à la position si dominante fait courir le risque que ce nouveau leader “s'endorme sur ses lauriers”, n’engage plus les investissements nécessaires (la CMA cite nommément le cas de la NDC).
Amex GBT + CWT : L’entité issue de la fusion GBT/CWT “continuerait à être confrontée à une forte concurrence de la part d'au moins quatre concurrents mondiaux” : BCD Travel, FCM, CTM et Navan, qui ont “la crédibilité et les antécédents nécessaires pour se battre et remporter des contrats afin de servir des clients de toutes tailles ayant les besoins les plus complexes, ainsi que des clients ayant des besoins plus simples”.
Si William Edel est confiant dans la capacité des quatre TMC citées (“elles ont une portée mondiale et l'ont prouvé”) à résister à l’éventuelle future entité, notamment auprès des comptes globaux, Moncef Khanfir est plus sceptique : “Navan est exclu de la compétition pour les grands comptes. BCD offre une résistance honorable aux Etats-Unis et en Europe, mais ça reste limité. Quant à FCM et CTM, elles sont puissantes en Asie-Pacifique, mais moins compétitives ailleurs. Amex GBT et CWT sont capables de capter 40% du marché mondial et 70% du volume des grands comptes”.
Amex GBT + CWT : le marché du BT est composé de “clients qui demandent de plus en plus de solutions numériques (et) de TMC qui offrent une couverture mondiale grâce à des solutions technologiques, des réseaux de partenaires de voyage et des solutions d'externalisation des processus d'affaires”.
Moncef Khanfir considère que “présenter certains acteurs numériques comme des concurrents crédibles est fallacieux. Pour l’instant, le numérique est une condition nécessaire mais pas suffisante : la capillarité reste la clé de voûte”. Mais le même rappelle cependant qu’on peut envisager les choses à travers le prisme local, effectivement, “certaines agences, en fonction de leur intégration, sont plus efficaces dans certaines régions”.
C’est en s’appuyant sur cette même analyse que William Edel n’élimine pas l’hypothèse d’opportunités offertes à des acteurs locaux par cette fusion : “Pour des Globeo, des Ailleurs, ou même des acteurs plus petits comme nous (Wagram gère 40 millions de voyages, événementiel compris, ndr). Nous avons d’ailleurs rencontré un prospect il y a peu, désireux de quitter Amex GBT car mécontent de Neo. Et on a récupéré des clients de CWT, car de plans sociaux en plans sociaux, son service s’est forcément dégradé”.
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L’argument de CWT/GBT évoque aussi, au bénéfice de certains acteurs locaux, les “réseaux de partenaires de voyage”. Ces derniers constituent-ils effectivement une alternative pour les clients globaux ? William Eder, dont la TMC fait partie du réseau Selectour, lui-même membre du “réseau des réseaux” Radius, n’en est pas vraiment convaincu : “Ces alliances magistrales, si elle sont reconnues, comme Radius, peuvent être impactantes. Mais en réalité le fonctionnement y est moins fluide que dans le cas d’une seule entité vraiment globale”.
Amex GBT + CWT : Il n'existe pas de marché distinct pour les multinationales et les PME ayant des besoins complexes; les entreprises de toutes tailles ont “un continuum d'exigences que toutes les TMC sont en mesure de satisfaire”.
Sur ce sujet aussi Moncef Khanfir s’inscrit en… “Faux ! Les PME peuvent être servies par des acteurs locaux avec une offre de valeur qui répond aux besoins spécifiques de chaque marché. En revanche, les multinationales ont besoin de consolidation et de niveaux d'exigence bien supérieurs à ceux des PME. Il suffit de voir qui participe aux appels d’offres globaux”.
Ce ne sont ni William Edel, ni Moncef Khanfir qu’Amex GBT et CWT mais bien les membres de la CMA devront convaincre. Ceux-ci ont donc ouvert une enquête de phase 2 dont le verdict sera rendu d'ici le 26 janvier 2025. Mais l'acquisition devra également obtenir une autorisation réglementaire aux États-Unis et à l’échelle de l’Union européenne. Après la confirmation de l'enquête de phase 2 en août dernier, Amex GBT avait déclaré qu'elle prévoyait de conclure l'acquisition de CWT au cours du premier trimestre 2025. A voir.