Aérien : l’heure de vérité

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect. Cette semaine, il analyse les effets dévastateurs de la pandémie et des décisions politiques associées sur le marché de l’aérien.

Habitué à une croissance régulière de 5% par an depuis des décennies, le transport aérien s’est fracassé devant les conséquences du Covid 19. Ce n’est pas tant la pandémie mais les mesures décidées par l’ensemble des gouvernements pour l’enrayer qui ont littéralement tué l’activité. Cela a été d’une brutalité inouïe. Du jour au lendemain, dans le monde entier, les avions ont été cloués au sol et les passagers laissés où ils se trouvaient. Certains ont attendu 2 mois avant de revenir à leur domicile. Lentement le transport aérien se réveille mais il a perdu tous ses repères. Il avait pris l’habitude de vivre sur une croissance continue, comme le cycliste obligé de pédaler sous peine de tomber. Les compagnies vivaient sur un modèle qui ne reposait que sur une demande accrue et dont le volume de croissance enflait d’année en année. La bonne stratégie était d’obtenir des appareils neufs pour consommer moins et de faire partie d’alliances destinées à contrôler des marchés de plus en plus lointains, le tout à coup de rabais tarifaires. Disons-le tout court, avec ou sans le Covid 19, le système ne pouvait perdurer.

L’heure de vérité a sonnée

Il faut réinventer un nouveau modèle et ne pas tomber dans les aberrations passées dont le plus bel exemple était le développement insensé du Yield Management. On a pu voir plus de 200 tarifs sur une seule destination domestique européenne. Tout cela n’avait pas de sens. De même, la course effrénée aux commandes d’avions pour se positionner sur les chaînes de montage ne correspondait pas aux besoins réels de transport. Et maintenant tous les acteurs contemplent d’un œil effaré les dégâts avec lesquels il faudra bien vivre. Le nombre de vols commerciaux est tombé de 117.000 par semaine en février à 28.000 fin avril pour remonter doucement à 42.000 en juin. Les livraisons d’avions entre janvier et mai qui étaient de 560 en 2019 sont tombées à 237 en 2020. Pire les commandes nettes chez les deux gros constructeurs Airbus et Boeing ont été réduites à une dizaine dans la même période contre 400 l’année précédente. Fin mai 14.200 avions étaient immobilisés sur les aéroports qui ne savaient d’ailleurs plus où les parquer. Et les conséquences sur l’emploi ne se sont pas fait attendre. En plus de la dizaine de compagnies aériennes qui ont dû déposer leur bilan (Chapter 11 compris), les licenciements massifs ont été annoncés : 30.000 chez Emirates, 12.000 à British Airways, 20.000 chez Air Canada et encore une vingtaine de milliers en additionnant les mesures prises chez Ryanair, SAS, Icelandair, Norwegian, Virgin Atlantic, et Wizzair, rien qu’en Europe. Et ce n’est pas fini, le plus dur reste à venir.

Turbulences en approche

Certes les Etats, d’ailleurs largement responsables de ce désastre, ont soutenu leurs transporteurs nationaux. Cela a évité de nombreuses faillites, mais les emprunts garantis devront bien être remboursés un jour ou l’autre. Le groupe Air France/KLM ne fera pas exception à la règle. D’ores et déjà, rien que pour Air France, des suppressions de postes ont été annoncées à hauteur d’une dizaine de milliers, nombre de lignes seront supprimées, certaines d’ailleurs non pas pour des raisons économiques, mais purement idéologiques, afin de donner des gages aux écologistes.

Le temps des vaches grasses est passé. Finis les tarifs prédateurs. Certains pays comme l’Autriche par exemple ont interdit les tarifs au-dessous de 40 €. Finies les publicités pour annoncer des prix qui ne couvrent pas les coûts de revient, et qui d’ailleurs tout en étant peu accessibles aux clients, donnaient des références incompatibles avec la complexité et la difficulté opérationnelle du transport aérien. Finie sans doute la position incompréhensible de IATA de ne pas mettre en route une caisse de garantie des transporteurs. Finies les alliances dont l’utilité principale était pour les compagnies aériennes de se montrer plus grosses qu’elles n’étaient en réalité. Finie au moins pour un bon bout de temps la course insensée au volume. Ce n’est pas parce qu’on est plus gros qu’on est plus rentable. Finis les coefficients de remplissage moyens annuels supérieurs à 80%. Finie la distribution de dividendes au détriment de la constitution de réserves financières. Il est tout de même inacceptable que les transporteurs qui encaissent l’argent de leurs clients plusieurs mois à l’avance n’aient disposé que de deux mois de trésorerie au mieux et qu’ils se soient trouvés dans l’impossibilité de rembourser les clients alors que ces derniers ne pouvaient pas voyager.

Et puis il faudra bien retrouver le bon sens commercial. Celui-ci commande de rémunérer convenablement les intermédiaires que sont les agents de voyages, au moins pour les tarifs les plus élevés, seul moyen d’ailleurs de relever la recette nette des compagnies. Quant à la centralisation des offres tarifaires au seul siège central, dans les mains des Yield Managers rivés à leurs courbes statistiques, elle devra bien à l’avenir être de nouveau partagée avec les responsables commerciaux en rapport avec les clients et qui connaissent à fond leur marché.

Il est temps de revenir aux fondamentaux et d’arrêter les dérives. Le transport aérien se reconstruira sur ce qui a fait sa réussite. Mais c’était au siècle dernier.