Tribune JL Baroux – Le groupe Lufthansa va-t-il rafler la mise ?

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il fait ici le bilan de la sortie de crise du groupe Lufthansa et met en perspective ses appétences pour la compagnie italienne ITA.

La traversée de la période COVID a finalement été relativement rapide pour le Groupe Lufthansa qui a réussi à recouvrer sa pleine capacité d’action après une augmentation de capital réussie de plus de 2 milliards d’euros. Elle lui a permis de rembourser les prêts de l’Etat allemand, lequel envisage de sortir du capital d’ici à la fin de l’année 2022.

Le groupe en chiffres

Il n’est pas inutile de rappeler ce que représente cet ensemble. Outre la compagnie principale Lufthansa, se sont agglomérées Swiss International Airlines en 2006, Austrian Airlines en 2008 et Brussels Airlines en 2016. Voilà pour les plus gros transporteurs, mais il faut y ajouter Eurowings, Germanwings, Air Dolomiti et 50% de Sun Express en partenariat avec Turkish Airlines. Le tout a réalisé en 2019, dernière année significative, un chiffre d’affaires de plus de 36 milliards d’euros pour un résultat net de 1,213 milliard d’euros en transportant 143 millions de passagers avec un effectif de 135.353 salariés. A ce jour il dispose de 790 appareils auxquels il faudra rajouter les 256 en commande. Voilà qui écrase tous les autres transporteurs européens y compris les deux groupes concurrents : IAG et Air France KLM.

Recapitalisation

Les mesures prises par le management de Lufthansa pour survivre aux effets de la pandémie ont été rapides, importantes et brutales. D’ici à 2023, 150 appareils seront sortis de la flotte et pas moins de 25.000 postes de travail seront supprimés. Les fonds propres auront été reconstitués de la meilleure manière qui soit : une augmentation de capital souscrite sur le marché boursier. Il faut dire que l’offre était attractive, l’action étant proposée à 3,58 euros alors qu’au cours du 30 janvier elle était de 6,79 euros. Les actionnaires d’origine ont accepté de se faire diluer d’un bon tiers de leur participation mais le résultat est là : au début de l’année 2022, le groupe est prêt pour affronter la fin de la pandémie et conquérir de nouveaux marchés.

L’un des gros avantages de la composition du capital est que celui-ci est atomisé. Hormis Heinz Hermann Thiele qui détenait, avant sa mort le 23 février 2021, 15% du capital, et l’Etat Allemand qui en a encore un peu plus de 20%, le reste est réparti pour 30,5% entre 10 fonds d’investissement et le solde est dans les mains de petits porteurs. Autrement dit Carsten Spohr le patron du Groupe a les mains libres pour décider de sa stratégie.

Objectif ITA

Et l’opportunité se présente maintenant en Italie. Voilà que les circonstances sont favorables pour mettre la main sur le troisième marché européen en rachetant ITA Airways le successeur de feue Alitalia. Le groupe allemand a déjà une bonne expérience italienne avec Air Dolomiti rachetée en 1999. Et la proie italienne est tout de même bien tentante. ITA est encore en phase naissante et les syndicats qui ont fait tant de mal à Alitalia seront sans doute plus enclins à une attitude positive. La proposition de rachat, conjointe avec la compagnie de croisière suisse MSC, serait pain bénit car elle ne possède pas l’ingénierie pour diriger une compagnie aérienne de la taille d’ITA, même si elle entend peser de tout son poids sur les décisions stratégiques. Par contre, MSC Croisières qui est filiale de la Mediterranean Shipping Company, laquelle possède Bluvacanze, un voyagiste et deux compagnies de ferries - SNAV et Grandi Navi Veloci - a une bonne expérience de la culture et du marché italiens, et ce n’est pas rien.

Leader européen

Bref, si les dirigeants actuels d’ITA : Alfredo Altavilla, le Président et Fabio Lazzerini le CEO veulent bien accepter l’intégration de leur compagnie dans le giron Allemano-Suisse, le Groupe Lufthansa disposera d’une puissance européenne considérable. Il contrôlera tous les marchés du centre Europe, et ceux-ci sont les plus riches. Alors les deux concurrents européens IAG et Air France-KLM seront relégués en deuxième division.

Au fond qu’est-ce qui pourrait faire rater une telle opération ? D’abord que la Commission y mette son veto au prétexte que cela donnerait à Lufthansa une position trop dominante et on sait combien elle est attachée à une concurrence équilibrée. Et puis il ne faut surtout pas oublier la fierté italienne. Si la partie allemande arrive un peu trop en pays conquis, il est fort possible que les transalpins se rebiffent. C’est déjà arrivé par le passé. Ce pourrait être la chance d’Air France-KLM qui a besoin de temps pour être en mesure de se positionner sur le sujet.