Le recul d’Air Canada ou les voies tortueuses de la transition NDC

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Le recul d'Air Canada ou les voies tortueuses de la transition NDC

A notre connaissance, Air Canada est la première compagnie aérienne à opérer une forme de retour en arrière concernant NDC. La preuve que la mise en place de la New Distribution Capability n'est pas un long fleuve tranquille, sur les rives du Saint-Laurent comme ailleurs.

Air Canada a annoncé la semaine dernière un moratoire sur les surcharges liées aux réservations effectuées sur EDIFACT pour les tarifs négociés. Un revirement qui interroge... Mais commençons par le commencement. 

Carotte et bâton

En avril 2023, Air Canada décidait de passer la seconde sur le circuit NDC. Après avoir noué un certain nombre de partenariats avec des acteurs technologiques, y compris des fournisseurs de GDS, tels que Sabre (leader incontesté au Canada) ou Amadeus, la compagnie allait manier la carotte et le bâton auprès des agences.

La carotte : à compter du 14 juin qui suivait, les agences réservant soit directement via l'API NDC de la compagnie, soit par le biais d'un acteur agréé, se voyaient gratifiées d'un bonus incitatif de 2 $ par réservation. Le bâton : à partir de la même date, toute réservation via EDIFACT était lestée d'une surcharge de 20 à 30 $.

Depuis la semaine dernière, pas de changement... ou presque : les réservations pour le compte d'entreprises sous contrat avec Air Canada ne seront plus soumises à ce coût supplémentaire, bénéficieront, pour le dire en termes européens, d'une private channel. C'est donc, effectivement, d'un rétropédalage qu'il s'agit.

Tout bâton qu'elle contienne, la méthode d'Air Canada se voulait plutôt douce, à l'image des propos que tenait alors sa VP Sales Lisa Pierce : « Nous sommes conscients des efforts de transition et des risques de perturbation [pour les agences]. [Mais] nous ne voulons laisser personne de côté. ». Méthode douce, surtout si l'on considère ce qui se faisait à la même époque de ce côté-là de l'Atlantique : après l'avoir annoncé quelques mois plus tôt, American Airlines retirait alors 40% de son offre des canaux EDIFACT.

"Geste commercial"

Mais la question est : pourquoi ce retour en arrière ? Et la réponse avancée par le transporteur coule de source : la constat d'une impréparation de l'écosystème "business travel". Par l'emploi du terme "écosystème", on s'autorise un certain indiscernement fort bienvenu en langage diplomatique : on y englobe les agences, autant que les fournisseurs technologiques aussi bien des agences que de la compagnie.

Sauf que si les règles de la langue de bois sont respectées, celles de la logique sont quelque peu malmenées. Car enfin si les limitations technologiques existent pour les uns, elles existent pour les autres - pas plus ni moins dans le cas d'entreprises partenaires d'Air Canada.

Tac ! Pas de côté, on passe de l'argument techno à la raison commerciale qui a ses raisons que la raison ne connaît point : Air Canada sacrifie le bon sens sur l'autel des revenus. La volumétrie de ses gros clients compensera, parie-t-elle, le non paiement des 20 ou 30 $ de DCR (Distribution cost recovery - recouvrement des coûts de distribution). Et tant pis pour les autres.

Les acteurs tech en question

Reste que demeure la question de l'impréparation technologique. On ne peut pas dire qu'en matière de NDC, Air Canada soit un "early adopter". Certains observateurs américains estiment même que son retard sur les compagnies les plus avancées s'élève à 4 à 7 ans. La mise en place de la surcharge annoncée en juin dernier n'aurait donc pas dû être de nature à perturber le système... Et pourtant.

Récemment, le dirigeant d'une agence corpo, à jour en termes de connectivité NDC, regrettait les manquements concernant l'accès au NDC de Qatar Airways via Amadeus : "Les notifications en cas de retards ou d'annulations ne fonctionnent pas. Du coup, tout est arrêté depuis des mois jusqu'à résolution du problème".

Faut-il, dans ce cas précis, incriminer le manque de savoir-faire d'un "GDS" dans le monde NDC ? Pas évident, les acteurs plus récents ne s'en sortant pas forcément mieux : "Il y a aussi des problèmes de combinaison de tarifs ou de cabines (sur un aller-retour) pour American Airlines via Fairlogix", poursuit le même.

A tout prendre, espérons que ces limitations technologiques de "l'écosystème", pour reprendre la belle expression d'Air Canada, soient le fait des agences et de leurs partenaires tech, plutôt que des fournisseurs de la compagnie. Car dans ce cas, le maintien de la surcharge EDIFACT ne serait plus uniquement onéreuse : elle serait injuste.