Ex-futur retraité d'Emirates, le CEO Tim Clark, présent au dernier APG World Connect, savoure aujourd'hui, après la pandémie, des temps autrement plus fastes pour sa compagnie.
Il devait prendre sa retraite en juin 2020 mais le Covid en a décidé autrement. Emirates n’allait pas se priver d’un tel commandant de bord en pleine turbulence pandémique : Tim Clark restera finalement à la barre de la compagnie émiratie, et y demeure jusqu'à aujourd'hui.
7 règles en 24 heures
Si cette forme de prolongation s’apparenta d’abord à la traversée d’un Pandemonium jonché d’avions au sol, le CEO goûte désormais le calme après la tempête : tout va bien pour Emirates, merci pour elle. Ce qu’il retient de cette crise ? La résilience de l’aérien et les difficultés posées par le manque de concertation des Etats pour la gérer en cohérence : “Au plus fort de la pandémie, nous avons été témoins du fait que les règles d’un pays donné pouvaient changer sept fois en 24 heures”, dira-t-il.
Mais ces atermoiements derrière nous, c’est donc un Sir Timothy Charles Clark particulièrement enjoué - autant que peut l’être un sujet de Sa Majesté - qui se présentait sur la scène du dernier APG World Connect qui se tint à Monaco les 2 et 3 novembre dernier. De toute façon, selon ses dires, il a toujours considéré la crise sanitaire comme un mauvais moment à passer, un tunnel aboutissant plein soleil :
“Je me souviens avoir dit qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Les choses vont rebondir [disais-je] et revenir à une hauteur et une vitesse de demande rarement vues auparavant dans le monde de l'aviation. C'est assurément ce qui s'est passé et la demande ne faiblit pas dans l’ensemble des secteurs de l'industrie aérospatiale : le fort volume de passagers stimule la demande d'avions”.
“Sorry tale” & “Good story”
“Les constructeurs n'ont pas été en mesure de répondre à la demande de la communauté aéronautique avant le milieu de la prochaine décennie, ce qui est une triste histoire (“a sorry tale”). En ce qui concerne Emirates, nous avons été en mesure de nous organiser assez rapidement et de nous mettre en ordre de marche, parce que j’avais anticipé que nous serions confrontés à une demande sans précédent à partir de la fin de 2021. Nous avons été pleins depuis, ce qui signifie bien sûr que nous avons été très rentables et que nous continuons à l'être.
Nous avons accepté la nécessité de revoir notre gamme de produits. J'ai toujours été le premier à essayer d'innover en matière de produits et à essayer de les rendre aussi attrayants que possible. Nous continuons à le faire. Il semble que cela fonctionne très bien. Je dois être honnête avec vous : certaines personnes paient leurs billets d'avion très cher. La demande de sièges est si forte que la loi de l'offre et de la demande entre en jeu [et elle nous est favorable]. C'est donc une bonne histoire en ce moment (“So it's a good story at the moment”)”.
Objectif “Ancillaries” : 20% du revenu
“La puissance informatique nous a permis de nous découpler. Ainsi, avec certains des principaux acteurs du système de distribution, nous réalisons désormais 60 % de notre chiffre d'affaires sur une base BtoC. Nous traitons donc directement avec les consommateurs, nous désintermédions le commerce du mieux que nous pouvons et nous nous adressons à eux. En faisant cela, (...) nous pouvons extraire de la valeur. Et c'est quelque chose qui connaît une croissance exponentielle, je suis très heureux de le dire et de voir où cela nous mènera : en termes de revenus, je pense que les revenus ancillaires devraient atteindre environ 20 % de nos revenus dans les cinq ou dix prochaines années.
“En maîtrisant la technologie pour personnaliser notre capacité à réagir à ce que les clients veulent vraiment, et non pas à ce que nous pensons qu'ils veulent. Une fois que nous y serons parvenus, nous pourrons créer un flux de revenus très volumineux. C'est donc très important. C'est quelque chose qui était en gestation depuis longtemps. Nous savons que nous pourrions le faire là où nous avions la puissance de calcul nécessaire. La puissance de calcul augmente sans cesse et l'intelligence artificielle nous aidera à évaluer ce que nous devons faire à l'avenir et comment créer de la valeur en conséquence”.
Le chien dans un jeu de quilles
“Lorsque nous avons créé Emirates en 1985, nous avons été confrontés à d'énormes obstacles politiques. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de les résoudre, ce qui nous a permis de mettre en place un cadre politique bien avant de commencer à planifier l'évolution de la flotte, afin que tout soit en place. Ce modèle, conçu à la fin des années 80, est toujours en vigueur aujourd'hui. Il s'est juste développé à un rythme que nous ne pensions pas aussi important qu'il l'est devenu, mais au fur et à mesure que nous nous sommes développés et que nous avons rendu ce modèle opérationnel, il est devenu évident que c'est quelque chose qui manquait dans le paysage de l'aviation mondiale à ce moment précis.”
“Il y a cette sorte de modèle de pensée prédéterminé à propos de la manière d'accorder des droits d'accès aux transporteurs qui pourraient être considérés comme privant les transporteurs nationaux de leur part légitime. Lorsque nous nous sommes adressés aux gouvernements allemand et français, et à beaucoup d'autres, dans les premiers temps, la chose qui brillait par son absence était… la présence même de leurs transporteurs sur les marchés que nous avons visités par la suite - l'Australie, la Nouvelle-Zélande. Ils avaient été abandonnées par tous les transporteurs européens parce qu'ils n'arrivaient pas à les rendre rentables.”
“Lorsque nous avons relié l’Europe à l’’Océanie - et nous y avons une énorme activité aujourd'hui, certains d'entre eux ont décidé de crier au scandale (...) Nous avons dit : “Eh bien, vous savez, en fait, il y a un autre moyen [de faire tourner notre modèle], c'est ce que nous allons faire”... et c'est ce que nous avons fait”.
Compagnie modèle
“Je pense que nous avons peut-être redéfini ce à quoi les gens aspiraient et nous avons créé ce super hub de connectivité à Dubaï, qui dessert la plupart des villes du monde. Et cela fonctionne vraiment bien. Maintenant, nous avons des gens qui nous suivent, au Moyen-Orient et ailleurs, et d'autres qui arrivent, qui ont tendance à copier-coller le modèle d'entreprise. Je n'ai aucun problème avec le fait que l'imitation est la meilleure forme de flatterie.
“Mais si vous pensez sincèrement que [ce modèle] vous l'avez figé comme une gelée pour les 10, 15 ou 20 prochaines années, détrompez-vous (...) D'autres entreront sur le marché, pensant qu'ils peuvent faire mieux, d'autres encore, et beaucoup d'entre eux malheureusement, échoueront. Pour toutes sortes de raisons dans notre secteur. Ce n'est pas facile : les barrières à l'entrée sont très élevées, de même que la capacité à maintenir un modèle d'entreprise dans un paysage en constante évolution. Donc, pour ce qui est des autres transporteurs qui nous imitent ou qui sont meilleurs que nous, on verra. Rien n'est éternel.”
Il y a quelques semaines, nous demandions à Jean-Louis Baroux, organisateur d’APG World Connect, quelle était, d’après lui, la meilleure compagnie du monde. “Emirates !”, nous avait-il répondu sans hésiter. Apparemment, Sir Tim Clark est sur la même ligne que son hôte d’un jour.