Qui met la panique sur le marché ?

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La vie n'est pas toujours un long fleuve tranquille pour les acheteurs et travel managers. Les voyageurs, ces empêcheurs d'acheter en rond, remettent parfois en cause des choix mûrement réfléchis. De quoi faire cogiter notre acheteur-contributeur, Yann Le Goff.

Au fil des articles et des commentaires, je vois de nombreuses réactions de personnes qui se révulsent à l’idée de payer un vol plus de 800€ quand une low-fare le propose à 200€. Idem pour les frais d’agence, les sign-in bonus, les surcharges… Pourquoi payer un service quand on peut l’avoir gratuitement ? Pourquoi utiliser les canaux classiques quand l’économie collaborative ouvre de nouvelles voies ? Pourquoi privilégier l’open booking plutôt que de passer par des agences ou des SBT/OBT ?…

Il y a clairement une incompréhension entre les acteurs. Mais qui en est responsable ? Et bien nous tous, qui ne voyons pas le marché évoluer ou pire, qui n’acceptons pas cette nouvelle donne technico-commerciale.

La raison est pourtant simplissime : au risque de provoquer, nous sommes devenus « has been » ! En clair, nous sommes dépassés, hors-jeux, out ! Et le responsable est connu… Il s’appelle « Y »  car le problème est tout simplement générationnel ! Analysons, au travers de cet article, cette affirmation.

Une génération est définie par l’âge de ses membres (c’est l’ensemble des personnes nées dans une période donnée) ou bien par un ou des événements historiques qui ont marqué l’enfance et l’adolescence de ces membres. Voici comment sont définies les générations par les sociologues.
En France, la génération Y regroupe environ 13 millions de personnes soit près de 22% de la population française. Il s’agit de la génération la plus importante depuis la génération du baby-boom. A titre de comparaison, la Génération Y comprend environ 70 millions de personnes aux Etats-Unis et 200 millions de personnes en Chine.

De par leur importance et leur potentiel commercial, le marketing s’adapte aux besoins de cette génération Y qui crée elle-même les outils dont elle rêve. Nous n’avons pas d’autre choix que celui de nous adapter au fonctionnement des Y car les comprendre permettra d’anticiper les changements de marché, de les manager voir d’influencer sur leur façon de percevoir le monde de l’entreprise. Le but est simple : garder un minimum de contrôle et de stabilité tant dans les outils que dans les process...

Pour mieux comprendre l’incidence de la génération sur les affaires, analysons les grands traits de caractère de leurs membres.

Les Baby Boomers : Ils sont présentés comme optimistes et sûrs d’eux. Loyaux envers leur employeur, ils sont prêts à travailler dur tout en recherchant à faire leur travail le mieux possible. Le moyen de fidéliser cette génération est la sécurité de l’emploi, la promotion et le salaire. Ils n’avouent pas leurs faiblesses et valorisent la hiérarchie, la réalisation…
 
La génération X : Elle est composée de créatifs et d’indépendants qui sont généralement inquiets pour la sécurité de leur emploi et leur salaire. Ils se débattent chaque jour pour rester adaptés aux changements de la société qui vieillit, créée par les Baby Boomers. Les moyens de motivation les plus communs sont de leur confier des responsabilités, de l’autonomie et de reconnaître leurs compétences.

La génération Y : Ils viennent généralement de quitter le cocon familial. Ils sont surqualifiés, ouverts sur le monde et sont très informés. Ils sont motivés à apprendre et pour leur permettre de prendre leurs responsabilités, il faut les considérer comme des collègues, des partenaires. Ils utilisent les technologies à toutes les sauces pour jouer, communiquer, apprendre, bâtir des réseaux de relations et s’informer.

Le modèle de communication des X est vertical (la hiérarchie dit, Les N-1 déploient, les autres exécutent). Celui des Y est horizontal (le réseau, la sphère sociale). De fait, les évolutions sont lentes chez les ainés (la lourdeur de l’organisation impose le suivi de process complexe imposant des étapes de validation hiérarchiques) mais ultra –rapides voir incontrôlées chez les Y (la communauté en a besoin, je le fais. Ou bien pire : Je crée un besoin que la communauté adorera !). Résumons les différences générationnelles.
La pire des attitudes à adopter est donc clairement celle de critiquer ou de s’offusquer. La pire des parades à faire est celle de dénigrer une innovation ou une tendance. La meilleure des solutions est de faire réfléchir le marché en coût total. Cela impose une montée en maturité que le marché n’a pas forcément mais que les Y possède car ils sont généralement sur-diplômés et à même de raisonner en coût complet. La preuve : ils éliminent les intermédiaires si ces derniers n’ont pas de valeur ajoutée…

Donnant des cours dans des universités et côtoyant pas mal de ces Y, je me permets de vous donner quelques recettes, prises aux travers de mes différentes recherches, pour mieux vivre ce virage générationnel et survivre dans le maelstrom dans lequel ils nous entrainent, de gré ou de force.

Bulle de protection : L’enfance des Y a été caractérisée par une importance accrue accordée à la sécurité de l’enfant dans tous les aspects de sa vie, du jeu (casque de vélo), en passant par l’école et le travail. Grâce à l’action de leurs « parents hélicoptère », ils n’ont pas toujours eu à assumer les conséquences de leurs mauvaises décisions.

==> Les Y souhaitent que les vendeurs et les acheteurs se préoccupent d’eux en tant qu’individus. Toutefois, il est possible que les vendeurs aient à accompagner les Y dans leur actions afin de les aider à faire face aux conséquences de leurs décisions. Il est donc préférable de les aider à sécuriser un choix et une implémentation plutôt que de les laisser indépendants. Ce point est crucial car si  cela n’est pas fait, le Y prendra peur et se tournera vers la solution plébiscitée par son réseau. Un plan de communication spécifique doit donc être utilisé avec ces Y. Idem côté acheteurs où, si un Y fait partie de votre équipe, il est essentiel de le supporter dans sa mission pour le mettre en confiance et en sécurité. En clair, intégrez son réseau ou plutôt, faites-vous intégrer dans son réseau.
 
Confiance : Les Y évitent les risques et ne sortent pas trop des sentiers battus. Ils sont parfois moins créatifs (sauf si toutes les barrières sont ôtées). Pour eux, l’important dans la vie est de faire une différence plutôt que de gagner sa vie.

==> Les Y ont parfois besoin d’être poussés à stimuler leur créativité. Ils veulent aussi comprendre l’importance de ce qu’ils ont à apprendre ou à faire (« Si j’apprends ça, en quoi ça va m’aider à améliorer le monde? »). Là encore, leurs idées peuvent vous paraître farfelues mais elles ont, en général, l’ambition de combler un manque. Or si un Y y pense, il est fort à parier que son réseau partagera et diffusera sa solution.
 
Grégaires : Les nombreuses activités structurées auxquelles ont participé les jeunes de la génération Y étaient axées principalement sur la collaboration et l’interaction avec un groupe de pairs. Depuis l’école primaire, ils sont appelés à faire des projets et des travaux en équipe. Ils sont aussi de grands utilisateurs de sites internet tels que Facebook ou les plateformes collaboratives. Ils apprécient de travailler en équipe et sont généralement fidèles à leur équipe de travail.

==> Nous le disions, les Y apprécient énormément de travailler en équipe au travail ou dans des associations professionnelles. Puisque ces Y sont à l’aise pour communiquer avec des groupes de pairs, on peut saisir cette opportunité pour leur faire véhiculer un message positif. Attention, la réciproque est vraie ! Ce sont les meilleurs supports possibles pour diffuser une politique ou une stratégie. Encore faut-il les y intégrer en respectant les points précédents.
 
Pression : Depuis le début de leur scolarité, les Y subissent une importante pression de performance académique en raison des attentes élevées de leurs parents. Aussi, puisque les attentes de performance sont très élevées, certains développent un faible sentiment d’efficacité personnelle devant les tâches à accomplir. Ceci peut les pousser à abandonner certaines tâches plutôt qu’à faire des efforts pour s’améliorer et réussir à les compléter.

==> Les Y, qui craignent l’échec, doivent comprendre que ce n’est pas essentiel de toujours obtenir 100% pour considérer ce qu’ils font comme une réussite. Il faut les accompagner dans ce sens. De cette façon, plusieurs abandons par crainte de ne pas réussir pourraient être évités sauvant ainsi des implémentations et permettant de bâtir la réputation d’une solution au niveau d’une génération qui aime reconsidérer et challenger l’existant.
 
Ambition : Cette génération semble accorder beaucoup d’importance aux études et à l’accomplissement personnel, ce qui se reflète dans un plus grand pourcentage de jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études post secondaires en comparaison avec les générations précédentes. Ils sont impliqués dans des activités para-professionnelles de toutes sortes.

Les Y s’attendent à une utilisation accrue et plus efficace de la technologie. Ils souhaitent pouvoir accéder à l’information rapidement et facilement. Ils recherchent un environnement professionnel qui leur permettra de se réaliser, tant sur le plan professionnel que personnel. La mobilité et l’avant-garde est donc essentielle.
 
En conclusion, ne tentez pas de résister au changement mais tentez plutôt de l’accompagner car sinon, vous perdrez le contrôle et comme la nature a horreur du vide, elle le comblera par une innovation visant à contourner la solution que vous promouvez. Vous vous retrouverez alors hors-jeux et ne pourrez pas faire grand-chose pour revenir dans la danse.

Ne pas aller à contre-courant est essentiel. Aller dans le sens de la marche tout en gardant le contrôle afin que tout ne soit pas ravagé l’est également.

Quant à vous Y, vous avez, au travers de cet article, les armes pour non pas imposer votre diktat mais pour intégrer au mieux les acteurs de l’entreprise dans votre aventure professionnelle qui nous réserve, j’en suis persuadé, de très belles heures.
Tout cela n’est qu’une question de survie et d’adaptation au changement. Mieux vaut prendre le pas au plus vite car « Y » est déjà de l’histoire ancienne… Les « Z » débarquent. Je les ai en classe et je vous assure qu’ils ont un comportement encore différent. C’est passionnant !

Yann Le Goff,
Directeur des achats.
Mes lectures et sources :

Marketing
  • MARCONI, Joe (2001), Future Marketing : Targeting Seniors, Boomers, and Generation X et Y, Chicago, Ill : NTC Business Books.
Société
  • SERIEYX, Hervé (2002), Les jeunes et l’entreprise : des noces ambiguës, Paris : Eyrolles.
Gestion d’entreprise
  • THIERRY, Dominique (2002), 20 ans, 40 ans, 60 ans : dessinons le travail de demain, Paris : Éditions d’Organisation.
  • ZEMKE, Ron, Claire RAINES et Bob FILIPCZAK (2000), Generation at Work : Managing the Clash of Veterans, Boomers, Xers, and Nexters in your Workplace, New York :Amacom.
  • TULGAN, Bruce et Carolyn A MARTIN (2002), Managing the Generation Mix : from Collision to Collaboration, Amherst, Mass: HRD Press.
  • TULGAN, Bruce et Carolyn A MARTIN (2001), Managing Generation Y, Amherst, Mass : HRD Press.