Tribune JL Baroux – Aérien : rien ne sera plus comme avant

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.

L'aérien vers un nouvel équilibre économiqueRien ne sera plus comme avant, c’est tout au moins l’avis de nombre d’experts. Oui mais alors à quels changements faut-il s’attendre ? A bien y réfléchir, ils toucheront la quasi-totalité des composantes du transport aérien, depuis son organisation, jusqu’aux appareils, depuis les aéroports jusqu’aux relations avec les distributeurs. Essayons de deviner le futur, peut-être pas si éloigné.

L’éclatement des grands groupes

Il a été frappant de voir, au cours de cette crise, comment et avec quelle rapidité les Etats se sont repliés sur eux-mêmes. Cela a été vrai pour la gestion de la pandémie : alors que tout plaidait pour une harmonisation des politiques sanitaires, chacun y a été de sa stratégie, ce qui a conduit à la fermeture des frontières et aux dégâts qui en ont découlé. Mais cela a été également constaté dans le soutien que les gouvernements ont prodigué aux compagnies aériennes. Chaque pays a soutenu sa propre compagnie, sans s’occuper de son appartenance ou non à un groupe. C’est particulièrement vrai en Europe. L’Autriche, la Suisse et la Belgique ont supporté leurs transporteurs alors qu’ils sont des filiales du Lufthansa Group. Il en est de même de la France et des Pays Bas. Les aides financières considérables ont été allouées aux compagnies nationales et non pas à Air France/KLM. La situation du groupe IAG est plus complexe, British Airways ayant refusé dans un premier temps l’aide de son gouvernement alors que les compagnies espagnoles du groupe ont obtenu une aide très importante de leur Etat.

Lorsque la situation sera redevenue normale en termes de trafic, il serait surprenant que les Etats qui ont financé les transporteurs en prenant au passage des participations significatives, veuillent lâcher le morceau. Dès lors, on ne voit pas comment les groupes constitués d’ailleurs de bric et de broc ne seraient pas conduits à éclater. Certes, cela ne mettra probablement pas en cause leur coopération opérationnelle et commerciale, mais chaque nation aura l’impression de retrouver ainsi une part de souveraineté.

Les rapports entre les compagnies traditionnelles et les « low costs »

Il est certain que les « low costs » se tirent mieux d’affaire que les compagnies traditionnelles. Ils sont plus souples, plus réactifs, en un mot, plus adaptables à toutes les situations. Ainsi, il est très probable qu’ils arrivent à contrôler une part encore plus importante du court et moyen-courrier. La question reste posée pour le long courrier. Mais alors ils deviendront des partenaires incontournables des transporteurs traditionnels pour alimenter les lignes long-courrier. Pour ce faire, ils devront abandonner une partie de leur stratégie de distribution directe pour entrer dans le système « Interline » et ainsi devenir accessibles aux agents de voyages soit via les GDS soit avec le NDC si ce dernier arrive enfin à se développer.

L’amélioration du produit

Le service s’est considérablement dégradé au cours des dernières décennies. C’était le prix à payer pour baisser les coûts, seule stratégie que les compagnies traditionnelles ont trouvée pour gagner de nouvelles couches de clientèle. Seulement le prix en a été payé par les consommateurs. Les appareils ont été densifiés au-delà du raisonnable, les prestations à bord ont été réduites à presque rien sur les longs vols et sont devenues payantes sur les petits et moyens parcours. Il fallait compenser les prix d’appel démesurément bas par des recettes annexes, les fameux « ancilliary products ».

On peut faire le pari que le balancier va revenir dans l’autre sens. L’offre de transport va, au moins pendant quelques années, être largement supérieure à la demande. Par voie de conséquence, pour équilibrer les comptes, les transporteurs seront amenés à augmenter leurs tarifs et pour justifier cette augmentation, ils seront inéluctablement conduits à améliorer leur produit à bord mais également au sol. Ce sera d’autant plus nécessaire que les contraintes sanitaires vont s’ajouter aux contraintes de sûreté qui rendent le transport aérien parfois si irritant.

Les relations avec la distribution

Elles se sont encore dégradées durant la crise sanitaire en se focalisant sur les politiques de remboursement des billets payés largement à l’avance. Ce n’est pas très raisonnable. Chaque acteur était responsable d’une situation que personne ne maîtrisait. Les agents de voyages n’ont eu de cesse de tirer les prix vers le bas en amenant les clients à payer longtemps à l’avance ce qui faisait bien les affaires des compagnies. Tout cela parce que le transport avait oublié que les distributeurs sont essentiels dans le modèle économique et qu’ils doivent être naturellement rémunérés. Pour remonter les tarifs, il faudra la complicité des agents de voyages et pour cela il faudra bien retrouver un système de commissionnement au moins pour les prix les plus rémunérateurs.

Et, pour conclure, IATA va changer de directeur général, Alexandre de Juniac cédant, au printemps prochain, sa place à Willie Walsh, ce qui constituera à coup sûr un grand changement pour cette organisation.

NDLR : Jean-Louis Baroux met aussi sa plume au service de la fiction : il vient de publier un thriller autour de la disparition du Boeing 777 de Malaysia Airlines, en 2014 : On a perdu le MH 370, aux éditions l'Archipel. Voir ici.