2020, l’heure des bilans (6/7) – L’hôtellerie

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2020, l'heure des bilans (6/7) - L'hôtellerie

Des montagnes russes, aux fonds de vallées profonds, aux sommets rabotés. Tel fut le parcours imposé aux hôteliers durant cette année 2020, chargés, en outre, d'un barda écrasant nommé "confinement".

C'est une année qui a débuté comme une mauvaise blague. Un chef de l'Etat s'adresse à un hôtelier et lui dit : "J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est qu'en dépit du confinement généralisé, ton établissement est autorisé à rester ouvert. La mauvaise, c'est que 100 % de ta clientèle potentielle est, sauf exception, assignée à résidence."

Ce n'est pas tout à fait vrai. En réalité, le vrai début de 2020 avait, lui, contrairement à cette plaisanterie de mauvais goût, de quoi donner le sourire aux professionnels de l'hébergement : les deux premiers mois de l'année furent excellents. Dans la continuité d'une année 2019 qui avait vu le nombre de réservation augmenter de 11 % pour les canaux de distribution hôtelière en général - intégrant, en grande partie, des hôtels de chaîne, et même de 22 % pour le Groupe Logis Hôtels fédérant des indépendants.

Le choc du 16 mars

C'est à cette date que le premier confinement devient effectif. "Notre activité a été réduite de 99 % du jour au lendemain, explique Ziad Minkara, DG de la solution de réservation (HBT) CDS Group. Plus aucune visibilité et, en toute logique, des annulations en continu à gérer."

Un coup terrible pour l'industrie qui n'empêche pas les principaux acteurs de réagir promptement, efficacement, éthiquement : les clients sont remboursés, les établissements, qu'ils soient de chaîne ou indépendants, se mettent en ordre de marche, établissent des protocoles sanitaires, avec ou sans labellisation extérieure. Du côté des HBT, on fait le job aussi d'une façon d'autant plus méritoire que, alors que les effectifs sont en activité (très) partielle, les annulations, les changements de réservation des quelques voyageurs d'affaires pour cause d'hôtels inopinément fermés sont lubrifiés à l'huile de coude : le offline est roi.

Mais l'énergie est là. Il faut dire qu'à ce moment-là, même si le Premier ministre de l'époque prévient qu'on devra "désormais vivre avec le virus", tout le monde croit en une parenthèse très délicate, certes, mais qui se fermera au bout de quelques semaines, permettant un lent mais certain retour à la normale à partir du mois de juin.

L'été en pente forte

C'est exactement l'inverse qui va se passer : la reprise ne sera pas longue à venir mais elle sera, elle aussi, une parenthèse. Dès juin, puis surtout en juillet et août, on n'est pas du tout revenu aux niveaux ante-crise mais la clientèle estivale répond présent plus vite et en plus grand nombre que ce qu'espéraient les plus optimistes.

Quoiqu'il faille distinguer entre localisations : les régions de villégiatures ont vu leurs hôtels atteindre des 70, 80, voire 100 % de taux d'occupation. Avec une appétences plus grande pour les destinations "nature" que durant les étés "classiques". Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpe s'en sortent bien. PACA et l'Ile de France, non : la clientèle internationale leur fait trop défaut et les 30 % de taux d'occupation sont parfois pénibles à atteindre. Un coup dur pour ces régions de MICE, de Comex, d'événements de toute nature, qui avaient déjà souffert davantage que les autres du printemps confiné. A cette tendance générale, il faut ajouter des situations particulières : le Grand-Est, par exemple, a souffert en été de l'abondante couverture médiatique de ses clusters du printemps. En dépit de ces disparités notables, le bilan estival, au global, est bon, au regard des circonstances.

Désillusions

Dans la foulée, les hôteliers sont sur le pied de guerre pour célébrer le retour des voyageurs d'affaires... Ils les attendent toujours. Modérons : "des VRP, des techniciens - dédiés à l'entretien de réseaux, notamment, des acteurs de la logistique, des PME - pour une question de survie, reprennent bien la route", précise Karim Soleilhavoup, DG du Groupe Logis Hôtels... Mais en nombre restreint et, surtout, les collaborateurs de grosses entreprises et de grands groupes ne sont pas au rendez-vous. Amer bilan auquel il faut verser la perte de la manne "MICE".

Ziad Minkara précise : "En septembre, les collaborateurs de PME sont un peu repartis mais aussi, phénomène intéressant pour l'hôtellerie, pour des séjours plus longs - certainement dus à un regroupement de diverses visites en souffrance depuis le printemps. Les loueurs de voiture ont d'ailleurs constaté ce phénomène avec une surreprésentation des locations moyenne durée plutôt que courte. Autre caractéristique de cette rentrée : une attractivité accrue des apparthotels, gages d'autonomie et de distanciation physique."

Mais au global, cette rentrée est bel et bien décevante et, bien sûr, l'annonce, fin octobre, du second confinement ne vient que renforcer la tendance (on estime que la fréquentation des hôtels est passée de -70 % en septembre-octobre à -80 % à partir de novembre). Et elle se poursuivra au minimum jusqu'au mois de janvier puisque tout allègement des restrictions qu'il y ait, pour l'industrie hôtelière, un couvre-feu à 20 h à 6 h, tel qu'il est imposé depuis le 15 décembre ressemble à s'y méprendre à un confinement qui ne dit pas son nom.

S'en sortir

Quels sont les hôtels qui furent à même de traverser avec le moins de dégâts cette chaîne de montagnes russes ? Outre les particularités régionales de cet été, il semblerait qu'on puisse effectivement s'essayer à une typologie des plus résilients...

Localisation, une fois encore : l'impact de la crise sanitaire est inversement proportionnel à la taille de la ville dans laquelle l'hôtel se trouve : mieux vaut être situé à Nevers qu'à Lyon. En toute logique, plus on dépend de la clientèle d'affaires et - plus encore de sa catégorie MICE, plus on souffre. Ces deux premières distinctions se recoupent souvent, sauf dans le cas particulier de petites villes accueillant de gros événements, type Deauville ou Biarritz (mais la période estivale y a été plutôt bonne !). Enfin, bien sûr, les hôtels à proximité des aéroports sont quasiment au point mort.

Chaîne ou indé ?

Pour Ziad Minkara, cette distinction n'est pas efficiente. En effet "qu'il soit franchisé ou non, un hôtel reste une PME", considère-t-il. Karim Soleilhavoup n'est pas d'accord : "La surface financière d'un établissement de chaîne est plus importante, c'est un atout déterminant dans cette période." Il ajoute : "La restauration est une source de revenus énorme pour les indépendants : 50 % pour ceux du Groupe Logis Hôtels. La fermeture des bars et restaurants a donc beaucoup impacté nos hôteliers".

Pourtant, le même de relativiser : "Les établissements de capacité moyenne raisonnable, disons quand les chambres se comptent en quelques dizaines, ce qui est le fait des indépendants et beaucoup moins des hôtels de chaîne, ont la possibilité de réduire beaucoup plus efficacement leurs charges"... Et, donc, de rester ouverts malgré les circonstances.

Karim Soleilhavoup confirme la conclusion qui s'impose a priori : "Alors que notre clientèle, au global, a diminué de 50 %, notre clientèle d'affaires, elle, n'a diminué que de 18 %. C'est le signe qu'on a gagné des parts de marché sur le business travel, tout simplement parce que les hôtels indépendants étaient ouverts alors que les hôtels de chaîne, en raison de leur grande capacité et des charges inhérentes, étaient bien plus fermés."

Quant au sanitaire, donnée évidemment essentielle, en pareilles circonstances, pour attirer le voyageur, les avis divergent radicalement selon l'endroit d'où l'on parle. Pour les chaînes, la standardisation des protocoles, leur labellisation, souvent externe, est une source de réassurance pour le voyageur.

Les hôtels indépendants, certes pas forcément la mieux placée dans les sites économiquement les plus attractifs pour les voyageurs d'affaires - mettent en avant qu'un hôtel au nombre de chambres restreint, dont les employés sont en grande partie de la famille ou tout comme, offre des garanties sanitaires plus fiables que des protocoles dont on ne sait pas trop si et quand ils ont été vérifiés. De fait, quand nous avons posé des questions à quelques grands groupes sur leur procédure de vérification de la mise en place des procédures et dispositifs sanitaires, et - surtout - où on en était à date, on n'a obtenu que des réponses imprécises, évasives; pour ne pas dire louvoyantes...

En revanche, là où indépendants et groupes hôteliers se rejoignent, c'est sur la gamme la plus impactée : les 4* et plus, par leur coûts fixes élevés et peu aisément réductibles, par leur dépendance aux voyageurs internationaux, par les revenus que génèrent chez eux une restauration high-standard, souffrent davantage.

30 %

Autre point d'accord : des habitudes de consommation différentes, dont on ne sait dans quelle proportion elles perdureront une fois la crise passée. Agathe Fabron, VP Business Travel and Meetings & Events chez Accor : "On a constaté un fort raccourcissement du lead-time (le temps séparant la date de réservation de la date de séjour, ndlr)". Karim Soleilhavoup estime que ce délai est désormais deux fois plus court et parle même d'un "phénomène last minute".

Ziad Minkara estime que "30 % des hôtels sont en risque de faillite". Une proportion élevée qui fait encore plus mal quand on l'applique à des valeurs absolues : la France compte quelque 18.000 établissements, ce sont donc près de 6.000 hôteliers qui pourraient être poussés à mettre la clé sous la porte. Un chiffre qui, malheureusement, n'est pas contesté par Karim Soleilhavoup dans le pire des scénarios.

Mais on n'en est pas encore là : "Quelques hôtels ont fermé lors du premier confinement et n'ont pas rouvert depuis et peuvent être considérés comme fermés définitivement, explique Karim Soleilhavoup. Mais ils sont rares." Les dispositifs d'activité partielle et les prêts garantis pas l'Etat produisent encore leur effet. L'heure de vérité adviendra plus tard... ""A la fin de l'année 2021", considère Karim Soleilhavoup qui considère que même un été plutôt bon comme en 2020, ne suffira pas pour reconstituer les trésoreries de certains établissements.

Nous parlons ici de bilan et pas de perspectives. Ce qui n'empêche pas, au demeurant, de tirer quelques leçons de cette annus horribilis. D'après Ziad Minkara, on a vu une certaine solidarité du côté acheteurs : "Aucun d'entre eux n'a profité de la situation pour renégocier des contrats de façon "sauvage", en bénéficiant de la baisse des prix des nuitées."

Solidarité aussi au sein de l'industrie, d'après le même témoin : "Accor a pris le lead vis-à-vis des pouvoirs publics et a plutôt bien fait le job." Il ajoute : "C'est même la première fois que j'assiste à une telle union de l'industrie". Les interlocuteurs parties prenantes que nous avons pu interroger au cours des derniers mois partagent cette analyse. Parmi eux, cependant, une voix dissonante, celle de Karim Soleilhavoup qui, rappelons-le, fédère au sein du Groupe Logis Hôtels plus de 2.000 indépendants : "Accor a surtout joué sa partie, on ne peut pas leur en vouloir mais il faut cesser de les considérer comme les grands frères de la profession alors que 80 % des hôtels français sont des indépendants : ils ne comprennent pas la réalité du tissu économique et social local que représente l'hôtellerie en France."

Monde d'après ?

Audrey Serror, du HBT HCorpo (appartenant au groupe Accor), considère que "cette crise a mis les compteurs à zéro. Désormais, ce qui compte pour les entreprises acheteuses, c'est : la sécurité du voyageur, mais aussi de la data et des process de l'entreprise; un traitement "en conscience" de l'offre hôtelière : pour prendre les deux extrêmes du spectre, une réservation ne se fera plus seulement selon un désir, ni seulement en fonction de règles; enfin, le prix restera un critère important mais ne sera que sur la troisième marche du podium".

Karim Soleilhavoup rétrograde le prix de la chambre au même rang. Unanimité encore pour considérer que le "bétonnage" des politiques voyage des entreprises va réduire le leakage. Ziad Minkara ne s'inscrit pas en faux par rapport à ces prospectives... Mais il les agrémente d'un constat doux-amer : "On n'en est plus, désormais, à ces histoires de monde d'avant et monde d'après qui truffaient nos analyses lors du premier confinement. Aujourd'hui, l'enjeu, c'est la résilience".