Tribune JL Baroux – Aérien : ne pas se tromper de combat

154
Accord européen sur le SAF : ce qu'en dit la GBTA

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il explique, dans cette tribune, pourquoi la baisse des volumes du transport aérien est une lubie et esquisse d'autres pistes pour améliorer l'impact carbone de ce transport par d'autres moyens.

La lutte entre le transport aérien et ses ennemis écologistes est engagée. Elle ne va pas s’arrêter du jour au lendemain et elle promet d’être de plus en plus dure. Elle prend des formes diverses, depuis la peinture sauvage sur des avions jusqu’à un très puissant lobbying auprès des gouvernements pour réclamer des interdictions de vols. Les responsables du secteur aéronautique ont depuis des années pris en compte le phénomène. D’ailleurs plus les professionnels seront acteurs de la décarbonation du transport aérien et moins les décisionnaires politiques s’en occuperont.

Vain combat

Tout d’abord il est vain de penser à ralentir la croissance de ce mode de déplacements au cours des 25 prochaines années. Certes les pays dits « occidentaux » largement pourvus d’infrastructures au sol iront vers une certaine stagnation, sauf que cela ne résoudra pas la décarbonation attendue. Les moyens de transport terrestres sont loin de ne pas polluer et ce, quel que soit le mode de propulsion. Mais les pays d’Amérique du Nord et l’Europe sont loin de représenter la réelle future demande de déplacements en avion. Celle-ci va s’accentuer dans les autres continents sous l’effet de la croissance économique où les distances sont importantes et les équipements terrestres trop coûteux à créer et à entretenir. Rappelons que, très récemment, l’Inde a passé la commande historique de 1.000 appareils, rien que cela !

Donc prenons en compte une croissance encore puissante pendant de nombreuses années. Les interdictions de vols pour les avions privés n’ont aucun effet significatif, si ce n’est de montrer du doigt, par démagogie sans doute, les personnes assez fortunées pour accéder à ce type de transport. Si l’on veut commencer à agir efficacement, il vaut beaucoup mieux interdire la publication par les transporteurs et d’abord les « low costs », de tarifs tellement bas qu’ils en sont aberrants, en tout cas largement inférieurs aux prix de revient. Au-dessous de 50 € par heure de vol les coûts ne sont pas couverts.

Il faut donc aller beaucoup loin pour arriver à une réelle décarbonation de l’aérien. Tous les acteurs doivent s’y mettre : compagnies aériennes au premier rang, mais aussi les constructeurs, le contrôle aérien, les aéroports et les innombrables fournisseurs de ce secteur d’activité.

Les voyageurs devront payer

Les transporteurs sont en tête de liste des acteurs car ils seront les premiers ciblés dans la lutte qui s’engage. Et puis ce n’est finalement que justice car ils sont les vrais acteurs des émissions de CO². S’il n’y a pas de vol, il n’y aura pas d’émissions. Or ils ne peuvent pas grand-chose, sauf à tuer un mode de transport dont l’utilité est si évidente. Mais ils possèdent un début de solution : ils encaissent l’argent des consommateurs. Il ne faut d’ailleurs pas s’y tromper, la recherche pour améliorer l’efficacité du transport aérien va coûter des sommes faramineuses. Elles devront être supportées par les utilisateurs, c’est-à-dire par les passagers.

La taxation pour financer la recherche semble indispensable. Or, ou bien elle est prise en charge par les acteurs directement, c’est-à-dire par les compagnies aériennes et alors les sommes collectées pourront être allouées à l’aéronautique, ou les états s’en chargeront et il est à craindre que les taxes aillent alimenter les caisses des concurrents du transport aérien, comme d’ailleurs la Première Ministre de la France l’a annoncé à l’Assemblée Nationale.

Ce qui devrait appartenir à SESAR

L’argent constitue certainement un moyen indispensable pour décarboner le transport aérien, il n’est pas le seul. Le contrôle aérien dépend des Etats et il doit être impérativement réformé, particulièrement en Europe. Les études ont montré que la mise en opération du projet SESAR, qui consiste à simplifier la gestion du transport aérien en Europe, permettait de gagner 8 minutes de temps de vol soit 13 % d’un vol moyen-courrier européen. La décision appartient aux gouvernements et on voit mal pourquoi le projet SESAR n’est toujours pas en service alors qu’il est décrit depuis des années.

Il faut une autorité mondiale pour gérer cet énorme défi. La taxation des transporteurs ne peut être un facteur de distorsion de concurrence. Toutes les compagnies doivent être traitées à la même enseigne. Dès lors il parait logique d’en confier les modalités d’élaboration à l’OACI (l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale) laquelle pourrait déléguer à IATA la collecte des fonds.

Reste un grand espoir pour atteindre les objectifs : le développement de l’Intelligence Artificielle qui va permettre de gagner un temps précieux pour modéliser ce colossal challenge.

Ne nous trompons pas de combat, plutôt que de nier ou de minimiser l’impact du transport aérien dans les émissions de CO2, prenons le sujet à bras le corps.