Low-cost ou luxe, il faut choisir

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Le groupe Lufthansa, en proie à de grandes difficultés sociales avec son syndicat de pilotes qui, pas plus que les Français ne veut admettre l’absolue nécessité de se réformer, vient de concrétiser l’un de ses objectifs : le long courrier "low cost". La nouvelle avait déjà été annoncée l’année dernière. Elle devient réalité avec le regroupement des activités à bas coûts sous la marque Eurowings.

Les ambitions sont fortes : monter à une flotte de 100 appareils long-courriers. Le démarrage se fait avec 3 destinations : La Havane, Bangkok et Dubaï au départ de Cologne.

Cela nous conduit à nous interroger sur la capacité de réflexion des compagnies aériennes. Pendant des années les transporteurs européens ont doctement expliqué que le phénomène "low cost" court courrier n’était pas viable sur notre continent alors qu’il prospérait aux Etats Unis. Devant le succès des Ryanair, EasyJet, Vueling et autres, ils ont bien dû se rendre à l’évidence. Seulement ils l’ont fait trop tard. La place était déjà occupée par les nouveaux entrants et ces derniers ont dicté leur loi tarifaire au marché. Alors, bon an, mal an, les transporteurs traditionnels ont dû adapter leur offre de prix pour s’aligner plus ou moins sur les nouveaux venus, sans pour autant que le niveau de leurs coûts ait baissé en conséquence.

Et puis on nous a rabâché que le long courrier ne se prêtait absolument pas au "low cost" et ce, avec force démonstrations sur l’impossibilité d’améliorer le taux d’exploitation des appareils. Seulement le marché est plus fort que les analyses et il demande une offre de ce type sur les longues distances. A vrai dire, les clients se fichent un peu du type de machine qui va les transporter. Pourquoi ne pas traverser l’Atlantique avec un Boeing 737, comme cela a été lancé par Norwegian ou tout bêtement par Europe Airpost qui a desservi Terre Neuve cet été à partir de l’Irlande ?

La cause est entendue. Le phénomène "low cost" s’imposera sur le long courrier comme il l’a fait sur le court-courrier. C’est d’ailleurs la seule façon d’expliquer le taux de croissance de 5% par an sur lequel surfe le transport aérien. Rappelons que c’est sur ce constat que les constructeurs ont basé leur outil de production et que les compagnies ont passé des ordres tout simplement phénoménaux. Le marché affaires va certes continuer à se développer mais à un taux beaucoup plus faible que le marché personnel qu’il soit pour des motifs ethniques, familiaux ou touristiques. Et c’est ce segment qui réclamera une offre "low cost". Lufthansa a commencé, les autres compagnies vont suivre.

On voit bien se dessiner une nouvelle segmentation du transport aérien futur, au moins pour le long courrier. D’un côté, une offre extrêmement sophistiquée tirée pour le moment pas les compagnies du Golfe et certaines asiatiques et de l’autre par un produit totalement dépouillé dont le seul attrait sera le tarif. Bien entendu, l’un et l’autre garderont les fondements de la sécurité qui sont dans les gènes du transport aérien. Alors les transporteurs devront bien choisir. Ou bien ils veulent couvrir tous les marchés et dans ce cas, ils devront mettre en opération deux offres séparées sous une marque différente, c’est ce que tente la compagnie allemande, soit ils devront opter pour l’un ou l’autre modèle. Je fais le pari que les compagnies européennes opteront pour la première solution.
La France ne manque pas d’atouts pour entrer dans cette future bagarre. Il y a d’abord la compagnie nationale dont la vocation est certainement d’évoluer vers le luxe, quitte à abandonner une partie de son exploitation. Et les autres compagnies long courrier françaises, Air Caraïbes, Air Austral et XL Airways, pour ne pas parler de Corsair dont la stratégie dépend de son actionnaire TUI, qui peuvent porter le projet de "low cost". Air Caraïbes a déjà annoncé ses intentions en la matière.

Il reste une opportunité pour Air France, si elle veut couvrir également le "low cost" long-courrier : c’est de racheter en totalité ou en partie XL Airways qui est très proche du modèle. La compagnie doit reconstituer son capital et la mise de fonds est certainement à la portée d’Air France. Mais la réussite d’une telle affaire repose sur un postulat : que la compagnie-mère  reste totalement séparée de son outil "low cost". 

 Jean-Louis BAROUX