Pourquoi les « legacy airlines » ont-elles perdu ?

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Depuis 20 ans la guerre fait rage entre les compagnies traditionnelles et les low-cost. Bagarre de marchés, de communication, d'image aussi, les dernières nées se voulant plus "modernes" que les compagnies "classiques". De nombreux analystes ont souligné comment, ces dernières années, les modèles économiques s'étaient rapprochés. Mais pour notre chroniqueur Jean-Louis Baroux, la cause est désormais entendue.

Pourquoi les « legacy airlines » ont-elles perdu ?
Lorsque la bagarre a commencé pour de bon, disons au début des années 1990, l’avantage des compagnies traditionnelles était considérable. Elles disposaient de la légitimité acquise au cours des 50 années précédentes, de la puissance, même si certaines d’entre elles, américaines pour la plupart donnaient déjà des signes de déclin, de la technicité et de l’appui des gouvernements. De plus, elles étaient reconnues par leur clientèle laquelle augmentait régulièrement.

Bref, elles avaient en main tous les atouts pour écraser de nouveaux venus qui arrivaient dans la cour de récréation avec des méthodes nouvelles, mais sans accès au marché, sans produit sophistiqué, sans réseau constitué et bien entendu, sans l’appui des pouvoirs publics, bien au contraire. Comment alors expliquer que 15 ans après, le modèle « low cost » se soit imposé comme l’avait annoncé d’ailleurs Mike Conway le fondateur d’America West Airlines lors du Cannes Airlines Forum de 2000 ?

Pour arriver à une telle situation, il a fallu que les transporteurs traditionnels additionnent les fautes. Et de fait, elles s’avèrent nombreuses : mépris de l’adversaire, choix erroné du combat, luttes fratricides entre les grands transporteurs, perte du contact avec les clients pour ne parler que des aspects majeurs de la stratégie développée par la quasi-totalité des compagnies traditionnelles.

Tout d’abord, elles ont mal choisi leur terrain d’affrontement, si affrontement il devait y avoir. Le premier effet des nouveaux transporteurs à bas coût était de stimuler une demande qui ne trouvait pas dans les transporteurs traditionnels de quoi assouvir son besoin de déplacement rapide. Au lieu de laisser prospérer ces compagnies qui amenaient au transport aérien de nouvelles couches de population, les compagnies traditionnelles, craignant probablement à tort de perdre leur clientèle, ont tout fait pour empêcher les nouveaux entrants d’exister. Elles ont, pour cela, multiplié des obstacles avec l’appui de leurs pouvoirs publics. Cela a été le cas de Swissair à Genève, de British Airways à Heathrow, voire de Lufthansa en Allemagne pour ne pas parler de notre compagnie nationale. Ce faisant, elles ont certes retardé le développement des low costs sans pour autant pouvoir s’y opposer car les clients du transport aérien y compris ceux de ces nouvelles compagnies, sont des électeurs et les responsables politiques ont bien du les laisser avoir accès à ce mode de déplacement.

Pour se défendre contre ce qu’ils estimaient être une agression, les grands transporteurs ont alors joué à qui sera plus gros que l’autre afin de peser encore plus à la fois sur les marchés et les autorités gouvernementales. C’est ainsi qu’ils ont inventé les alliances, les fusions et acquisitions de toutes sortes afin d’agrandir leur périmètre et retarder le moment où ils seraient attaqués, pensaient ils, sur leur cœur de cible. Alors, on a vu les majors américaines entamer un énorme ballet de rachats sans pour autant que cela les amène à une meilleure rentabilité puisque tous, sauf American Airlines, ont du passer au moins une fois par la procédure du « Chapter 11 » qui est ni plus ni moins que l’équivalent un peu édulcoré de notre dépôt de bilan. Cette stratégie se poursuit d’ailleurs maintenant sur le continent européen avant de s’étendre à l’Asie et à l’Amérique Latine.

Dans le même temps, conscients que pour lutter contre des compagnies aériennes nouvelles dont les prix de revient étaient de 35% à 40% inférieurs aux leurs, les transporteurs traditionnels ont cherché à faire des économies et comme il est plus facile de les faire en dehors des compagnies elles-mêmes, ils ont ciblé les grands postes de dépenses sur des fournisseurs extérieurs. Tout naturellement alors, ils se sont tournés vers les agents de voyages qu’ils rémunéraient à hauteur de 7% à 9% du chiffre d’affaires. Seulement ce faisant, ils n’ont pas vu que ces derniers étaient leur lien avec les clients et qu’ils n’avaient aucun intérêt à faire baisser les prix de vente, puisque leur rémunération étaient attachée au chiffre d’affaires. Ainsi, l’économie du montant des commissions a été compensée par un processus sans fin de baisse du prix moyen du billet car les agents de voyages se sont trouvés rémunérés par leurs clients et ils ont eu alors la nécessité de faire baisser les prix des compagnies aériennes pour sauvegarder leur revenu. La conséquence a été que pour économiser moins de 10% du chiffre d’affaires, les transporteurs ont baissé leur prix moyen de l’ordre de 25% à 30%. Beau calcul !

Et ce qui devait arriver est arrivé. Le modèle « low cost » s’est imposé au transport aérien d’abord sur le court courrier puis maintenant sur le long courrier. Les seules compagnies qui ont tiré leur épingle du jeu ont été celles dont la stratégie a été de protéger et d’améliorer leur produit pour que le différentiel par rapport au produit low cost justifie une tarification plus élevée. Les autres transporteurs ont, eux, fait la stratégie inverse : ils ont inexorablement dégradé leur produit qui est maintenant arrivé au niveau des transporteurs à bas coûts. Les économies réalisées sur les fournisseurs extérieurs ne suffiront pourtant pas à combler le différentiel de prix de revient.

Nous arrivons à la fin de la partie. Elle s’annonce très intéressante.

Jean-Louis BAROUX