Comment faire repartir le transport aérien ?

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect. Cette semaine, il analyse les conditions d’une reprise de l’aérien.

Il ne faut pas se voiler la face, le transport aérien est dans un état désastreux et le pire est peut-être à venir. Il a déjà essuyé un trimestre avec une activité proche de zéro et un autre à 20 %. Fin juin 12.000 avions étaient au sol, mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne coûtent rien, car ils doivent être capables de reprendre l’air à tout moment et pour ce faire il faut exercer des opérations de maintenance qui doivent bien être rémunérées. Certains scénarios prévoyaient une reprise rapide à partir du mois de juillet et au plus tard en septembre. Il n’est est rien. Après avoir touché le fond en avril et constaté un léger rebond en juin, le trafic remonte à une pente de l’ordre de 10 % à 15 % par mois. A cette cadence il faudra attendre le mois d’août de 2021 pour retrouver le niveau de trafic de 2019 et peut être jusqu’à janvier 2022 si la croissance reste vissée à 10%.

Comment dans ces conditions le transport aérien pourra-t-il survivre ? Bien sûr les Etats feront le maximum pour protéger leurs compagnies nationales, mais leur soutien restera limité à l’alimentation de la trésorerie au prix d’ailleurs de l’endettement des transporteurs. Les compagnies ont entamé des plans de licenciements et ces derniers vont inéluctablement se durcir. Le chômage partiel largement utilisé depuis 6 mois sera probablement prolongé jusqu’à la fin de l’année, mais après ? Et puis, ce n’est pas une solution pérenne. American Airlines annonce un licenciement de 19.000 salariés au 1er octobre si son gouvernement ne lui vient pas en aide massivement. Les autres transporteurs vont lui emboiter le pas. Le secteur aérien s’enfonce dans des pertes terrifiantes. Il survivra certainement mais au prix de dégâts considérables.

Il est plus qu’urgent d’accélérer le redémarrage de l’activité. Les transporteurs sont sur les starting- blocs, les aéroports ne demandent qu’à accueillir les passagers et les constructeurs veulent à toute force remettre leurs chaînes de fabrication en route. Il ne manque qu’une composante : les clients. Et ceux-ci ne font pas preuve d’enthousiasme à l’idée de reprendre la voie des airs. Ils ont d’ailleurs quelques bonnes raisons pour cela. D’abord l’incertitude quant à leur possibilité de revenir au point de départ. L’accueil de certains pays vis-à-vis des autres est changeant et personne n’a envie de subir une quelconque « quarantaine ». Et puis les protocoles sanitaires à bord des appareils et des aéroports sont pour le moins inconfortables. Enfin les gouvernements largement relayés par les médias ont instillé la peur de l’autre et les passagers se voient mal partager une certaine promiscuité avec des voisins inconnus.

Les compagnies aériennes ont dégainé leur arme favorite pour ramener les clients à bord : les tarifs promotionnels. Je ne suis pas certain que cela soit une bonne solution. D’abord parce que ces tarifs de couvrent pas les prix de revient et parce qu’ils mettent dans l’esprit des consommateurs des informations erronées quant aux tarifs raisonnables pour couvrir les coûts. Enfin, ce n’est pas pour cela que les clients vont se précipiter à bord des avions, les craintes qu’ils ont sont supérieures aux avantages tarifaires qu’on leur propose.

Il ne reste qu’une solution : redonner confiance aux passagers. Les gouvernements en portent la première responsabilité car après tout, c’est leur désastreuse gestion sanitaire qui est la principale cause de la situation actuelle. Au lieu de coopérer, de demander aux autorités internationales que sont l’OMS, l’OACI et IATA de définir et de faire appliquer un protocole sanitaire unique, ils se sont repliés sur leurs frontières respectives. Il est plus qu’urgent qu’ils fassent résolument machine arrière et qu’ils demandent et appliquent enfin un même et unique protocole sanitaire. Alors les pays, les aéroports et les compagnies qui l’appliqueront pourront opérer sans que leurs passagers risquent de se faire arrêter. Je ne vois pas d’autre solution pour le moment en attendant le vaccin qui libèrera tout le monde.

Il ne faut pas s’y tromper, le transport aérien devra changer sa manière de vivre. La course au volume est terminée au moins pour un bon bout de temps. Après la période de promotions tarifaires, les prix vont et doivent augmenter afin de maintenir la qualité de ce mode de transport si difficile et si coûteux à exploiter.

Il y a urgence à agir non pas comme on le voit actuellement en se repliant sur soi, mais en ouvrant largement la place à la coopération mondiale. Le virus est mondial et il a le même effet sur tous les habitants de la planète, dès lors la solution pour l’avenir d’un mode de transport par essence international, ne peut être que mondiale.