La prodigieuse décennie des compagnies du Golfe

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Avec comme fondamentaux le concept de hub et le rapport qualité/prix, les compagnies du Golfe, Emirates en tête, se sont imposées sur le marché mondial durant ces dix dernières années. Analyse d’une décennie prodigieuse.

Il faut bien le reconnaître et saluer l’exploit, au cours de la dernière décennie, les compagnies du Golfe ont imposé une certaine manière de faire du transport aérien, particulièrement sur le long courrier. Elles ont mis sur le marché un niveau de produit qui a rendu obsolètes les standards utilisés par les compagnies occidentales. Ainsi, à partir d’un tout petit marché, elles ont fait émerger des géants, à tel point qu’Emirates est passée au premier rang mondial pour le long courrier. Au fond le modèle est basé sur deux piliers : le concept de hub et un rapport qualité/prix imbattable. 

Certes tout n’est pas parfait et pour une réussite indéniable, Emirates, on constate un échec patent : Etihad Airways et une inconnue, Qatar Airways. Pendant la dernière décennie, Emirates a accumulé 10 milliards d’euros de profit net, développé son réseau pour couvrir tous les continents et transporté 60 millions de passagers par an tous sur de longues distances. Elle opère 259 appareils de deux modèles uniquement : 115 A 380 et 144 Boeing 777. Elle a étendu sa marque jusque dans les endroits du monde les plus reculés avec une politique de sponsoring d’événements sportifs inégalée. Bref, la réussite totale.

Ses deux concurrents ne sont pas en aussi bonne position. Etihad Airways s’est cassée les dents en essayant de grossir trop vite par la prise de participations désordonnée, qu’il a bien fallu solder devant l’incapacité du transporteur d’Abu Dhabi de rentabiliser ses investissements. Ainsi, entre 2011 et 2018, Etihad a perdu près de 4 milliards d’euros. Elle a dû replier son exploitation et renoncer à d’importantes commandes. Le cas de Qatar Airways est plus difficile à analyser car la compagnie ne publie ses résultats que depuis 2018, année où elle a perdu 252 millions de dollars. Elle mène, elle aussi, une stratégie de prise de participations qui paraît un peu dispersée entre le groupe IAG, Air Italy, LATAM et Cathay Pacific. Il reste que sa qualité de services est reconnue au point de rafler les récompenses mondiales.

Ces trois transporteurs ont, en dix ans, marqué fortement le transport aérien. Ils ont également assuré la reconnaissance de leurs pays respectifs, lesquels se sont énormément développés grâce à leur influence. Leur empreinte va-t-elle se poursuivre dans la prochaine décennie ? Rien n’est moins sûr. De gros obstacles s’élèvent devant eux.

Le premier est technique. L’arrivée massive sur le marché d’appareils long-courriers de petite capacité et d’une grande efficience comme l’A 321 NeoLR ou même le Boeing 737 MAX, s’il revole comme on peut le supposer, va porter un coup très sérieux à la stratégie de hub sur laquelle les transporteurs du Golfe ont bâti leur prospérité. Or ils ont continué à passer d’importantes commandes de gros porteurs : 224 pour Emirates, 61 pour Etihad et 126 pour Qatar Airways. Il faudra bien nourrir cet accroissement de leur outil de production et il est à craindre que, pour ce faire, il faille baisser sérieusement les tarifs. Par ailleurs je note que les trois compagnies en question opèrent toutes des A 380 dont l’arrêt est programmé.

Ensuite il y a les aspects géopolitiques. Le Golfe a toujours été instable et il semble bien que cela ne soit pas prêt de s’arrêter. Qatar Airways a été tout de même très impactée par le conflit diplomatique qui oppose son pays à ses voisins. La suspension des droits de trafic entre l’Arabie Saoudite et les Emirats de et vers le Qatar ne peut faire les affaires ni des uns ni des autres. Et puis il faut bien ajouter la tendance au repli sur soi des pays occidentaux au premier rang desquels les Etats Unis. Alors que l’on se dirigeait, certes lentement, mais surement vers un Open Sky mondial, l’administration Trump a donné un coup d’arrêt et on ne sait pas pour combien de temps.

Enfin les grands dirigeants qui par leur vision et leur capacité managériale ont créé ces transporteurs, ont pris de l’âge. Sir Tim Clark l’emblématique CEO d’Emirates prendra sa retraite en juin de cette année. Son remplacement n’est pas évident et n’est pas assuré. Le Cheick Al Maktoub qui dirige tout l’aérien de l’Emirat de Dubaï a le même âge que Tim Clark. Il sera amené lui aussi à se retirer dans les 10 ans qui viennent. Akbar Al Baker aura 60 ans en 2022. Cela lui laisse un peu plus de temps. Et Etihad a dû remplacer tous ses grands dirigeants pour changer totalement sa stratégie.

Saluons bien bas ce qui a été entrepris et dans l’ensemble très bien exécuté par des compagnies, certes soutenues par leurs Etats, mais qui ont dû conquérir leurs clientèles dans les pays lointains, en leur souhaitant encore 10 ans de prospérité.