Tensions Iran-Etats-Unis, quel impact pour les voyageurs d’affaires ?

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Impact de la crise au Moyen-Orient sur le voyage d'affaires
Une marée humaine a rendu hommage au général Qassem Soleimani, lundi à Téhéran. Photo ATTA KENARE / AFP - AFP

[NDLR : Dans la nuit du 7 au 8 janvier, des missiles iraniens ont frappé deux bases militaires américaines d'Irak. Cet article paru mardi 7 janvier au soir est donc en partie obsolète mais garde par ailleurs toute sa pertinence. C'est dire, en tout cas, combien la crise moyen-orientale se caractérise par son imprévisibilité et la rapidité de son évolution].

L'assassinat du général Qassem Soleimani, tué vendredi 3 décembre à Bagdad lors d'un raid américain, relance les tensions au Moyen-Orient. Bassem Laredj, enseignant universitaire et spécialiste MENA (Middle East and North Africa) chez Anticip nous livre son analyse.

A l’assassinat de Qassem Soleimani a succédé un appel à la vengeance du régime iranien. Comment voyez-vous la situation évoluer ?

L’expérience montre que les menaces iraniennes sont toujours mises à exécution. La question est donc de savoir quand et comment. Quand : l’Iran a l’habitude de ne pas précipiter les choses en la matière. Elle préfère prendre le temps nécessaire à l’organisation minutieuse de ses opérations pour en maximiser l’impact matériel et médiatique. Comment : l’éventail est large. L’Iran peut frapper les intérêts américain de la Caspienne à la Méditerranée. Mais le régime peut frapper plus loin par l’intermédiaire de ses nombreux alliés régionaux : groupes rebelles au Yémen, Hezbollah au Liban, Jihad islamique et Hamas dans les Territoires palestiniens... Mais c’est surtout en Irak que les relais sont nombreux, d’autant qu’il ne faut pas oublier que dans l’attaque contre le général Soleimani, Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi, une coalition paramilitaire irakienne pro-Iran, a également été tué.

L’Irak comme théâtre d’opérations pour ses nombreux relais pro-iraniens mais aussi pour la présence de cibles américaines…

Effectivement, 5 000 soldats américains sont postés en Irak. On peut imaginer des tirs de roquettes sur la quinzaine de bases dans lesquelles ils sont répartis, ou encore des attaques en extérieur sous forme d’embuscades. Mais l’Irak peut aussi faire le choix de frapper les intérêts des alliés américains dans cette région, Arabie Saoudite et Israël au premier chef, Emirats Arabes Unis dans une moindre mesure.

Il y a quelques semaines, l’attitude plus conciliatrice de l’Arabie Saoudite pouvait faire croire à une accalmie dans la région… L’imprévisibilité de Donald Trump, n’est-elle pas l’un des plus gros facteurs de désordre dans cette région ?

L’imprévisibilité d’une part, mais aussi la non concertation. Il semblerait que Benyamin Netanyahou ait été prévenu avant l’attaque de vendredi dernier mais cela reste à prouver. Sinon, le monde entier, y compris les alliés des Américains, a été mis devant le fait accompli. Ce qui met en porte à faux l’Arabie Saoudite, effectivement, qui, depuis quelques semaines, adoucissait ses positions face à l’Iran, le Qatar et le Yémen. D’ailleurs, dès après l’attaque américaine, le royaume wahhabite s’est empressé de préciser qu’il n’avait en rien été prévenu de l’initiative américaine. Cette façon de faire place les alliés des Etats-Unis dans une situation de grande insécurité. C’est certainement pourquoi, dès après vendredi, l’Allemagne a annoncé le retrait de ses troupes d’Irak et leur redéploiement en Jordanie. Les Britanniques pourraient prendre une décision similaire… Ce choix de Donald Trump d’agir seul sur la scène internationale est aussi à chercher dans son contexte domestique : la procédure d’impeachment dont il est l’objet, la proximité de l’élection présidentielle américaine l’incitent à apparaître comme un chef de guerre derrière lequel le plus grand nombre de ses concitoyens devraient se ranger.

Les actions de représailles iraniennes peuvent-elles se dérouler en-dehors du Moyen-Orient et viser d’autres cibles que militaires ?

Dans un premier temps, je ne le pense pas. Ce sont sur des cibles militaires de la zone que des actions vont être menées. Mais en cas d’escalade, si la réplique iranienne est jugée disproportionnée par l’administration américaine et qu’un cycle de violences s’enclenche, on peut imaginer des frappes extérieures qui, je pense, pourraient viser des personnalités militaires ou politiques américaines.

Les entreprises européennes et françaises en particulier ont de nombreux intérêts et donc de nombreux collaborateurs au Maghreb. Le risque y est-il accru depuis vendredi dernier ?

Le Maghreb et le Sahel sont des zones à risque, quoiqu’il en soit, avant tout en lien avec la présence de groupes terroristes émanant d’Al-Qaeda ou de l’Etat islamique. En cas d’embrasement, on peut imaginer que le risque terroriste deviendrait plus grand encore, que l’anti-américanisme gagne du terrain et que tout élément occidental soit assimilé aux Etats-Unis, mais nous n’en sommes pas là. Pour des voyageurs d’affaires en Afrique du Nord, les précautions à prendre sont, pour l’heure, les mêmes que ces dernières années.

Et en cas d’un déplacement prévu ces prochaines semaines dans l’œil du cyclone, Iran ou Irak ?

Nous avons atteint un seuil critique qui fait que ces deux pays sont à éviter à tout prix tant que la tension n’est pas retombée. Même s’il existe des régions, telles que le Kurdistan irakien, qui devraient se maintenir dans une certaine stabilité, il faut proscrire ces destinations pour les voyageurs d’affaires tant que l’évolution de la situation reste si floue. Mais l'optimisme n'est pas de mise car non seulement le régime iranien sort renforcé de cette attaque mais ce sont avant tout ses éléments les plus durs qui en tireront le plus de bénéfices.