L’APECA aux pros du BT : « Venez nous voir, sinon, en août 2026, vous aurez des problèmes… »

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L'APECA vient de créer le CAMP pour faire se rencontrer entités publiques et opérateurs de voyages. Car les besoins à venir vont changer et il faut s'y préparer. Sandrine Bailly, secrétaire générale de l'association, nous en parle.

Avant d’en venir à son actualité, pourriez-vous nous présenter brièvement l’APECA ?

Sandrine Bailly : L’APECA est une association professionnelle Loi de 1901 qui travaille sur la chaîne de la commande publique, sur les échanges “achats” et commerciaux entre structures publiques et entreprises privées qui répondent à des marchés publics. A ce titre, nous nous intéressons à quatre domaines d’expertise : d’abord, la commande publique en elle-même, de l'identification du besoin jusqu’au suivi dans le temps de la relation acheteurs / fournisseurs. Ensuite, les pratiques “achat durable” car la RSE se doit d’être intégrée dans tout le process d’achat public. Également, la mobilité publique et le déplacement professionnel, qui doivent offrir des solutions de mobilité douce, aussi bien pour les collaborateurs que les usagers. Et enfin, les moyens de paiement - des solutions digitalisées de types cartes logées, affaires, “mobilité”, etc. Nos adhérents représentent l'écosystème du marché - l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics… Et  des opérateurs économiques ou des établissements financiers qui proposent des solutions. 

Et ces opérateurs privés ne seraient pas armés pour répondre à un certain nombre de besoins. D’où la création du CAMP. Pouvez-vous le planter, ce CAMP ?

L’idée de ce Club APECA de la mobilité publique (CAMP) est motivée par des obligations qui s’imposent aux entités publiques, en termes de déplacements, notamment avec la loi LOM, ou le package législatif Climat et résilience. Dans ce dernier dispositif, on trouve des articles très spécifiques sur la commande publique. Son entrée en application est fixé au 26 août 2026. Elle impose l’intégration de composantes RSE dans tous les marchés - dans l’offre technique, dans l'évaluation et dans l'exécution. Le marché du déplacement professionnel est complexe et on a ressenti le besoin de créer un lieu d'échanges entre les entités publiques et les différents acteurs du marché pour travailler sur ce sujet. L’objectif : créer des outils, des référentiels et des marchés types. Par exemple, pour obtenir un reporting de l’empreinte carbone d’un voyage, nous avons besoin de règles communes car s’il y a une application anarchique des critères, les entités publiques en seront à comparer des offres incomparables ou à subir des appels d’offres infructueux car les  exigences ne seront pas satisfaites par les acteurs du secteur. On veut croire qu’au-delà de ce besoin impérieux, le CAMP peut aussi aider l’industrie à entrer dans cette démarche sociétale et environnementale. 

Ce n’est donc aujourd’hui pas le cas…

Le sujet RSE est à la mode, on y met tout et n’importe quoi… Mais même quand il y a de la bonne volonté, il y a aussi beaucoup de confusion. Par exemple, de nombreux acteurs confondent leur propre politique RSE et les critères RSE du marché. C'est mal connaître le fonctionnement. Quand on évalue un marché, ce qu’on évalue, ce sont les critères sociaux, sociétaux et environnementaux qui vont être mis en place dans le cadre de ce marché. Si, dans la politique RSE de l’entreprise il y a, par exemple, le versement de dons à une fondation, c’est certainement bien, mais ce n’est pas le sujet de la commande publique. Les questions seront : que mettez-vous en place pour réduire l’impact environnemental tout en répondant à mon besoin de service ? Êtes-vous d'accord pour embaucher durant 200 ou 300 heures, sur ce marché-là, une personne en situation de handicap, un allocataire du RSA, une personne sans qualification ?… C’est ce que les entreprises répondantes doivent comprendre. Alors j’ai envie de leur dire : “Venez nous voir sinon vous allez avoir des problèmes pour répondre à nos appels d’offres (AO), il est grand temps de vous préparer car l’échéance est donc au 26 août 2026 mais des AO suivant ces critères vont déjà être lancés très prochainement.

Puisqu'on parle de la maturité des répondants à vos AO, il est juste de poser la même question concernant les acteurs publics. Quand on interroge des opérateurs de voyage à ce sujet, les réponses sont très dissonantes…

Cette dissonance est logique. 36.000 communes, 13 régions, une centaine de départements, des communautés urbaines, des hôpitaux, des universités… L’univers public est très différencié avec des structures organisées très différemment. D’un côté, les interlocuteurs publics sont des acheteurs spécialisés dans tel ou tel marché au sein de centrales d'achat - c’est le cas, notamment de la  DAE (Direction des achats de l'Etat), l’UGAP… et des sphères publiques qui achètent seules. On ne peut pas comparer le marché émis par la DAE, ou l'UCANSS (Union des caisses nationales de Sécurité sociale), dont la vocation est d’acheter, composées de professionnels de l’achat, dédiés à une typologie d’achats à une région, une mairie dont la fonction n’est pas l’achat mais le service au public (enseigner, soigner, secourir, etc), dont les acheteurs sont polyvalents, et donc moins matures sur le marché du déplacement. Ce n’est pas exclusivement mais avant tout à eux que s’adresse l’APECA.

Diversité des acteurs publics mais aussi de leurs besoins en termes de déplacements. Qui sont, dans ce domaine, les plus gros acheteurs ?

Il y a la DAE avec les très nombreux personnels des ministères, amenés à beaucoup se déplacer. Egalement les grosses structures liées à la recherche et donc à la collaboration entre chercheurs, tels que le CNRS, l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique), les grosses universités, les gros CHU, mais aussi la Sécurité sociale ou encore les régions : il n'y en a plus que 13, donc elles sont vastes … En règle générale, les deux plus gros postes de dépenses liées au voyage sont le rail et l’hébergement. Le rail car les déplacements sont avant tout domestiques. Avec une dimension internationale et donc de l’aérien, pour certains ministères, les structures de recherche déjà citées ou encore en lien avec les DOM-TOM.

En revanche, la question de la micromobilité concerne dans les mêmes proportions l’ensemble de ces structures…

Nous avons une obligation de propositions de mobilités douces en vertu de la loi LOM. Ça se met en place mais plusieurs problématiques sont à prendre en compte. Géographiques : la plupart d’entre elles ne sont adaptées qu’aux gros centres urbains. Et celles liées à la notion de sécurité à l’usage (l’équipement de l’utilisateur (casque, etc) et, surtout, l’existence de parcours sécurisés). Donc, pour l’heure, le développement de ces mobilités pour le collaborateur se heurte à ces obstacles.

Ces besoins de micromobilité - notamment douce - sont-ils intégrés aux AO "déplacements professionnels” ?

Non, car la mixité en termes d'offres n'existe pas vraiment pour l’instant. Mais la demande existe, elle est réelle. Pour les déplacement quotidiens bien sûr, mais également dans le cadre du déplacement pro, en substitution des transports en commun - un des effets probables du Covid. Mais là encore, ce n’est pas que le problème des répondants : on manque de solutions selon les territoires.

Les effets du Covid. Outre celui que vous venez de citer, que constatez-vous comme tendances au sein des entités publiques ?

Première remarque : les entités publiques ont su réagir très rapidement au nouveau contexte sanitaire, les obligations de continuité du service public les y obligeaient. Sur le déplacement pro en particulier, c’est dur d’établir avec certitude un carte des tendances actuelles car on a été dans une période de stop and go perpétuel ces deux dernières années. Ce qu’on sait, c’est qu’on retravaille les politiques “voyages” dans le public. Le bilan qu’on pourra en faire fin 2023 sera différent du bilan qu’on fera à la fin de cette année, je pense. J’estime qu’on est dans une période d’ajustements qui durera encore 15 ou 18 mois. On observe d’ores et déjà à une remise à plat des critères concernant la nécessité du voyage et à des voyages moins fréquents mais plus longs - les réservations hôtelières l’attestent. 

Vous participez à un processus qui consiste à dépenser de l’argent public. Qu’est-ce que ça change ?

L’Etat, au travers de différentes réglementations, définit comment on peut dépenser l’argent public, quelle est la vocation de cette dépense et comment s'y prendre. Il y a 3 piliers : un libre accès à la commande publique, la transparence (vis-à-vis de tous les opérateurs, à égalité de traitement - tout est encadré, et même enregistré à des fins de vérification), et l’utilité de l’achat avec une composante sociétale et sociale très importante. Cela étant dit, ça se manifeste notamment, pour être concret, par une facilitation de l’accès à ces marchés pour les PME, acteurs actifs de tel bassin économique, qui constituent le tissu économique de notre pays, en concurrence avec de grands groupes bien mieux armés, a priori, pour répondre aux AO. Ça, c’est une vraie différence avec l’AO d’origine privée.