L’épreuve de vérité pour Air France

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Alexandre de Juniac n’y a pas été de main morte lors de son discours devant l’Assemblée Générale d’Air France/KLM le 22 mai dernier. Il pouvait le faire car sa reconduction, que certains disaient un peu incertaine, a été largement approuvée. Et le voilà donc à la tête de la compagnie pour encore au moins 4 ans. Et ce ne sera pas une partie de plaisir.

Pendant longtemps, trop longtemps, la croyance générale était qu’Air France/KLM était trop grosse et trop stratégique pour mourir. Or que vient de dire au fond l’ancien et nouveau Président ? Tout simplement que sa compagnie était, elle aussi, mortelle. Plus même, il a marqué que sans l’appui des pouvoirs publics, elle aurait beaucoup de mal à s’en sortir. Je le cite « Nous demandons donc à l’ensemble des parties prenantes, les pouvoirs publics, l’aviation civile, les aéroports, le système aérien, de contribuer, comme nous allons le faire, à la réussite et à la compétitivité de l’activité sinon, j’insiste, en Europe, s’il n’y a pas une mobilisation de tous les acteurs, la survie des compagnies aériennes sera un jour et à moyen terme remise en cause ».

On ne saurait être plus explicite. Reste qu’Alexandre de Juniac ne peut pas faire allusion au groupe IAG mené par British Airways, ni même à au groupe Lufthansa qui tous deux gagnent de l’argent. Donc suivez mon regard, l’avertissement ne peut s’adresser qu’à Air France/KLM. Et le discours est nouveau. C’est même un cri d’alarme. Coincée entre des charges encore beaucoup trop élevées, certes dues pour la plupart à l’histoire, un personnel pléthorique et pas seulement le personnel navigant, et l’offensive très dangereuse des compagnies « low cost » sur le segment bas de la grille tarifaire et des compagnies du Golfe sur le haut de gamme, la compagnie nationale ne sait plus à quel saint se vouer.

Certes la stratégie enclenchée depuis quelques années qui consiste dans le même temps à faire baisser les charges et à améliorer le produit est la seule valable. Seulement voilà, se greffe sur cette direction à long terme, la contrainte du temps. Pour ce qui concerne les charges, il faudrait faire de la chirurgie lourde alors qu’on a une impression de médecine douce. Bien entendu, le gouvernement veut éviter à tout prix une explosion sociale comme celle qu’on a vue en septembre dernier et dont il n’est pas certain que la compagnie se relèverait. Oui, mais il faut alors être cohérent. Si les pouvoirs publics empêchent la direction de mener à terme ce qu’il faudra bien appeler un jour un plan social, ils doivent alors fournir à la compagnie les moyens compensatoires à cette surcharge budgétaire. Mais, le peuvent-ils, ont-ils des moyens d’action ? Ceux-ci sont à coup sûr limités par les réglementations européennes qui ont été signées avec l’aval pour ne pas dire plus du gouvernement français. Peut-on baisser les charges sociales sans que cela soit requalifié d’une aide déguisée forcément remboursable, comme d’ailleurs l’ont expérimenté d’autres transporteurs, par exemple Alitalia en son temps et Malev plus récemment ?

Et puis il y a cette lancinante question de la qualité du produit. Après l’avoir nié pendant des années, la direction du groupe admet maintenant que, pour garder la clientèle, il faudra bien améliorer singulièrement le niveau. Seulement cela coûte cher, très cher pour rénover une cabine, même si les efforts sont prioritairement affectés au long courrier. Pendant des années, on a essayé de nous faire passer pour un standard de bon niveau des sièges en classe affaires inclinables à 167° alors que les autres compagnies s’équipaient de sièges à 180°. Que de temps perdu à ne pas voir la réalité en face ! Seulement pendant qu’Air France/KLM se met péniblement aux normes d’il y a dix ans, les autres concurrents font eux de nouvelles améliorations. Ainsi les compagnies européennes courent après une excellence de service dont se sont emparés les transporteurs du Golfe alors que, pendant des décennies, le niveau d’excellence se mesurait à l’étalon français.

Il ne sert à rien de se plaindre des autres, il faut trouver le moyen de les égaler et même de les dépasser. Alexandre de Juniac a raison de vouloir appeler tous les acteurs du secteur d’activité à se mobiliser pour soutenir et ramener le pavillon français là où il devrait être: la première place. C’est d’ailleurs une des clefs sinon l’essentielle de la réussite des compagnies du Golfe qui bénéficient des moyens et du support des acteurs aéronautiques de leurs pays. L’Etat a un grand rôle de coordination et d’impulsion à donner. Encore faudrait-il écouter non pas les fonctionnaires, mais d’abord les clients. Eux seuls prononcent et exécutent les sanctions : ils achètent ou non. Et la voix de ces derniers n’est pas vraiment entendue.

Jean-Louis BAROUX