Alitalia… Et maintenant ?

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Les salariés d’Alitalia ont rejeté massivement le plan de restructuration proposé par leur direction et présenté comme celui de la dernière chance. Il faut dire qu’il était pour le moins brutal : 1.700 suppressions de postes sur 12.500 salariés, ce qui représente près de 15% des effectifs, le tout assorti d’une baisse de 8% des salaires du personnel navigant. L’approbation de ces mesures était le préalable mis par les actionnaires, au premier rang desquels Etihad, pour remettre encore de l’argent à hauteur de 2 milliards d’€ dont 900 millions d’euros cash dans la société. Eh bien, c’est raté !

On se demande bien comment cette compagnie a pu perdre de l’argent dans la conjoncture extrêmement favorable qu’elle a pourtant traversé. Les comptes ont été remis à zéro en 2014 lors de l’arrivée d’Etihad dans le capital, et depuis ce temps-là, le prix du pétrole n’a cessé d’être aux alentours de 50 dollars le baril contre 85 à 100 dollars précédemment. La marque Alitalia est toujours très forte et le marché italien a gardé son dynamisme y compris à l’international. Alors qu’a-t-il bien pu se passer pour qu’en dépit de tous des aspects positifs, la compagnie ait pu continuer à perdre de l’ordre de 500.000 € par jour ?

J’avoue bien humblement ne pas comprendre comment on a pu en arriver à cette situation. La stratégie imposée par Etihad consistait à s’appuyer sur les fondamentaux du luxe italien de manière à repositionner le produit en haut de gamme, et paraissait être la bonne. En effet, c’est encore le seul moyen de vendre à des tarifs qui permettent de couvrir les prix de revient, en sachant que le transporteur italien ne sera jamais en mesure de produire au même niveau de charges que les low costs.

Rajoutons qu’une forte proportion du trafic se fait sur du long-courrier et qu’Alitalia est le seul transporteur capable de couvrir ce segment de marché en Italie. La seule explication plausible est que le personnel de la compagnie n’a toujours pas compris, en dépit des avatars précédents, que le monde avait changé et que pour réussir, il fallait s’occuper d’abord et presque exclusivement des passagers et non du personnel.

La messe semble dite. Le refus du plan de restructuration entraine la mise sous administration extraordinaire publique pour une durée maximum de 6 mois, pendant laquelle les administrateurs désignés devront trouver des repreneurs. S’ils n’y arrivent pas, ce sera la liquidation, cette fois finale, de l’un des transporteurs majeurs du siècle dernier. Et alors, l’Italie risque de se retrouver sans transporteur national ce qui serait une première, d’ailleurs très fâcheuse, en Europe. Le marché court courrier italien est déjà passé dans le giron des low-costs, et finalement, les clients ne s’en portent pas plus mal.

Mais pour le long courrier, l’affaire est sensiblement différente car il n’y a pas d’accords « Open Sky » entre l’Italie et les autres pays actuellement desservis. Le nouveau transporteur doit être alors nommé par le Gouvernement Italien en tant qu’exploitant désigné des accords de trafic dont le pays bénéficie avec la quasi-totalité des autres Etats. On parle pour le moment d’une reprise par Lufthansa puisqu’Air France/KLM, en plein plan de reconstitution de ses marges, ne devrait pas disposer du cash nécessaire à la remise à niveau d’Alitalia. C’est d’ailleurs bien dommage car un groupe composé d’Air France, KLM et Alitalia aurait un vrai sens économique.

Si l’hypothèse Lufthansa se confirme, encore faudra-t-il soit que le transporteur allemand reprenne Alitalia ou qu’il crée une compagnie italienne, afin de bénéficier des droits de trafic. Tout ceci est très compliqué non seulement financièrement parlant, mais il faudra bien aussi tenir compte des inévitables délais administratifs pour mettre en place un autre transporteur, si c’était la solution choisie.

Quant à Etihad, cela signe la fin de sa stratégie de conquête. En effet Alitalia représente l’investissement majeur et le risque majeur, mais en échange de l’opportunité considérable que constitue la main mise sur un marché européen de premier niveau. La conjoncture pétrolière, favorable pour les transporteurs aériens, a par contre été fatale pour amener à bonne fin la stratégie d’expansion d’Abu Dhabi dans ce secteur d’activité.

Voilà la description d’un désastre dont au fond, seuls les personnels d’Alitalia et leurs syndicats sont responsables. En son temps, pour ne pas avoir voulu se réformer, les syndicats d’Eastern Airlines ont mené leur compagnie à la faillite. Les compagnies sont mortelles, faut-il le rappeler ?

Jean Louis BAROUX