#AWFT23 – Lucas Bobes (Amadeus) : « Le voyageur d’affaires peut accélérer la transition vers la durabilité »

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#AWFT23 - Lucas Bobes (Amadeus) :

En charge de la "sustainability" et de la RSE pour Amadeus au niveau global, Lucas Bobes explique, en marge du forum A World for Travel, comment son entreprise peut agir pour des voyages plus durables.

On comprend intuitivement en quoi un hôtel ou un transporteur peut contribuer à améliorer la durabilité du travel. Que peut-on attendre d’un acteur tech dans ce domaine ?

Lucas Bobes : C’est peut-être moins évident, c’est vrai, mais nous pouvons effectivement prendre notre part sur ce sujet. Au nom de la crédibilité, la première chose que nous faisons, c’est d’évaluer notre propre impact et de le réduire. Pour résumer, l’impact d’une entreprise comme Amadeus est lié à l’énergie que nous utilisons pour traiter et gérer la data pour servir nos clients. On agit de trois manières : on utilise la technologie la plus avancée en terme d’efficacité énergétique dans nos data centers. On utilise de l’énergie renouvelable dans notre principal data center dans le sud de l’Allemagne. Enfin, bien conscients de l’augmentation exponentielle de la data, nous migrons nos données vers le cloud, ce qui nous donne plus de flexibilité en même temps qu'une meilleure empreinte carbone. Nos data centers sont construits et même conçus avec l’objectif de durabilité.

Quelle économie, en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), de telles mesures permettent-elles de réaliser ?

Ce que je peux dire c’est que la consommation d’électricité d’un data center est d’environ 65 GW-h (gigawatt-heure) par an.Les émissions liées à cette consommation s'élèvent à 25.000 tonnes de gaz à effet de serre. Nous avons profondément atténué ces émissions en utilisant de l'énergie renouvelable dans notre centre de données. Ainsi, lorsque nous migrerons vers le cloud, nous obtiendrons avant tout une plus grande efficacité énergétique. Les 65 GW-h vont donc probablement augmenter alors que les émissions resteront inchangées. Et à terme, nous prévoyons de parvenir à un résultat de 0 émission, grâce à l'utilisation d'énergies renouvelables. 

Vous êtes aussi un fournisseur qui sert des clients - je parle des compagnies aériennes - très gros émetteurs. Comment pouvez-vous agir sur des émissions dont vous n’êtes pas responsables mais “complices” ?

Il faut effectivement avoir une vision globale des choses. Ces 25.000 tonnes d’émissions de GES que j’ai mentionnées, il est très important pour nous de les réduire. Mais nous sommes conscients que l’aérien émet 900 millions de tonnes de GES par an. Ce qui signifie que si nous sommes capables, avec les compagnies, de réduire une fraction de ces émissions, c’est bien plus que ce que nous ne pourrons jamais faire en interne. Comment agir en ce sens ? Il y a deux moyens. D’abord, en concevant des solutions pour encourager le voyageur à choisir l’option la plus durable, en lui proposant une information claire et transparente sur l’impact de son déplacement. Et c'est là que nous travaillons beaucoup en interne pour développer ce que nous appelons des services transversaux qui peuvent être appliqués dans toutes nos plateformes de distribution, et en particulier dans celles où nous pensons que l'adoption sera plus rapide et plus intense, comme les entreprises. En outre, nous développons des solutions informatiques pour les fournisseurs de voyages, en particulier pour les apprenants, mais aussi pour les aéroports et le secteur de l'hôtellerie, qui peuvent les aider à gérer leur propre impact. Pour nous, ce n’est pas uniquement une opportunité mais aussi, en toute sincérité, une responsabilité de contribuer avec notre technologie à une meilleure durabilité de l'industrie.

Pour réduire, il faut mesurer. Or, pour un vol, il existe quatre façons de comptabiliser…

Et même davantage ! Oui, nous devons nous mettre d'accord sur les sources à utiliser, nous y travaillons depuis de nombreuses années. L'ONU aussi, avec le lancement du calculateur de l'Organisation de l'aviation civile international (OACI) qui, selon nous, remplit les trois conditions principales pour un tel standard, à savoir : la légitimité de représenter l'industrie et la légitimité de l'agence des Nations unies; l'expertise; la neutralité, l'impartialité commerciale. Par exemple, le calculateur de l'OACI fournit le nombre moyen d'émissions par ville, ce qui signifie qu'il ne fait pas de distinction entre les compagnies aériennes, ne disposant pas de suffisamment d'informations accessibles au public pour le faire, contrairement à d'autres calculateurs permettant cette différenciation. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec eux. 

Ce qui est très important pour nous, ce n’est pas d'avoir un système parfait, mais de discuter avec les autres acteurs du secteur pour que nous utilisions le même. Pour que les voyageurs qui réservent par l'intermédiaire voient exactement le même chiffre d’une plateforme de réservation à l’autre. Pour des raisons de crédibilité et de clarté vis-à-vis du voyageur. C'est un sujet très compliqué, pour diverses raisons.

En fait vous parlez là du comportement du voyageur et de vos possibilités de l’influencer. Que pensez-vous des business travelers dans ce domaine ?

Je pense que les voyageurs d'affaires sont mieux placés que quiconque pour être moteur car leur entreprises subissent une pression croissante pour intégrer la durabilité dans leurs marques, leur proposition de valeur et leur culture. En outre, dans de nombreuses régions du monde, elles sont également soumises à une législation qui va les obliger à fournir des informations précises sur les émissions indirectes, comme les émissions du scope 3 relatives aux voyages d'affaires, et à mettre en place un plan de réduction de ces émissions. Il s'agit donc d'un segment de voyageurs qui peut accélérer de manière significative la transition vers la durabilité. En outre, une politique de voyage durable peut apporter des effets presque immédiats, infiniment plus rapides que dans le loisirs où le combat contre l’inertie comportementale est long. Nous y croyons donc fermement et nous travaillons en étroite collaboration avec nos entreprises clientes pour trouver des solutions qui peuvent les aider à répondre à ce besoin : réduire leur impact sur l'environnement pour se conformer aux attentes de leurs propres parties prenantes.

Mais pour le voyageur d’affaires comme pour les autres, c’est bien le fait de ne pas voyager qui est le plus vertueux…

Il n’y a pas une solution unique. La frugalité en est une importante mais elle ne peut pas être la seule. Le nombre de voyages va inévitablement augmenter. C’est pourquoi il est indispensable de décorréler le nombre de voyages, l’intensité des voyages avec les effets négatifs produits. Et pour cela, il faut que tous les acteurs de l’industrie apportent leurs solutions, travaillent ensemble pour réduire ces effets négatifs.