Pourquoi Cegid rachète Notilus

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Business model des TMC : Manor veut mettre les pieds dans le plat
(Ph. Artem Zhukov)

L'industrie du business travel (BT) continue d'être secouée par des mouvements qui forment un ensemble plutôt cohérent. Mais le dernier en date sort du lot : l'impétrant n'a rien à voir avec le voyage d'affaires. C'est Cegid, leader des solutions de gestion d'entreprise, qui rachète Notilus.

Déjà, un panoramique des années 20-21. Amex GBT qui rachète Ovation Travel et Egencia, Tripactions qui s'offre Reed & McKay, Resia AB et Comtravo, Travelperk qui mange NexTravel et Click Travel. Tout est alors affaire de rapprochements entre acteurs tech et TMC "traditionnelles". 

Puis, ces derniers mois, notamment en France : Traveldoo qui vit ses derniers jours, Rydoo vendu à la découpe, Swile qui s'empare d'Okarito. Là, c'est davantage une redistribution entre solutions end-to-end et "briques" de l'écosystème BT qui semble s'opérer.

Autosatisfaction

On sait cependant que ces deux guidelines, qui auraient orienté la main invisible du marché, se recoupent. On en tirait alors, plutôt autosatisfait, deux leçons :

  • 1/ Le service, les gars, le service ! La tech ne suffit pas : il faut aussi du premium, du sur-mesure, délivré par de l'humain. Ou bien, en verlan : de l'automatisation, messieurs-dames, lâchez vos téléphones à cadran circulaire !
  • 2/ Que c'est dur de vivre en pure player techno dans le monde du BT ! L'expense sans le travel ? On gagne des clopinettes quand on n'en perd pas, et, dans ce cas, éventuellement, plus que des clopinettes. Du travel sans expense ? Modèle de rentabilité introuvable, demandez à KDS et autres Traveldoo.

Ces doctes enseignements, nous ne les renions pas. Non pas uniquement parce que l'autosatisfaction est généralement chose chevillée au corps. Egalement parce que le rachat de Notilus en confirme le deuxième point : Notilus et ses quelque 120 salariés ne vivaient que chichement de leur expertise expense, malgré leur position de quasi monopole dans le domaine des ordres de mission (ODM).

Bowling

Sauf que. Sauf que dans le cas du rachat de Notilus par Cegid, étranger en terre BT, on voit arriver un chien dans un jeu de quilles (certes comme Sodexo avec l'achat de Rydoo il y a 4 ans, qui a fini par ranger les boules, cirer le parquet, les pompes moches, et fermer le bouclard à l'automne dernier). Du coup, l'analyse doit se renouveler.

Tant que ça ? Pas sûr. Il y a a quand même un précédent dans la série "De quoi tu te mêles ?" ... Il y a huit ans, le groupe allemand SAP, numéro un mondial des logiciels d'entreprise, qui rachète la société américaine de gestion des notes de frais Concur, ça vous parle ? Cegid n'est pas SAP, Notilus n'est pas Concur, mais enfin, en termes de source d'inspiration - comment dire ? - ça inspire.

Cegid, une entreprise lyonnaise, rachète donc Notilus, une entreprise lyonnaise. On peut déjà se féliciter que cette affaire soit drapée de tricolore. Mais au-delà ? On se doute que tous gones qu'ils sont, l'objet n'est pas l'ouverture d'un bouchon rue Mercière. S'il faut donc faire le deuil d'une cervelle de canut ou d'un saucisson pistaché par ce mariage proposé, à quoi faut-il s'attendre ?

Scénarios

On n'en sait rien. Mais on suppute. Prudemment, avec différents scénarios. Cegid qui crée son SBT et se diversifie au point de devenir une TMC end-to-end ? En toute hypothèse, il faut envisager cet horizon. Mais aucun des acteurs et experts consultés (il nous manque cependant Cegid itself, ce n'est pas mince, reconnaissons-le, mais ça viendra, sans aucun doute) n'y croit. La possibilité existe pourtant.

Plus probables sont les deux ou trois autres perspectives qui ne sont pas exclusives les unes des autres...

Cegid intègre la solution expense de Notilus et y noie sa dimension "BT" (après tout, Notilus n'a que des connecteurs avec des SBT qui lui sont extérieurs). Cegid pourrait y gagner quelques fonctionnalités supplémentaires. Pourquoi pas ?

Cegid profite de la position dominante de Notilus en matière d'ODM. Et de son excellente connectivité avec quelques outils travel, au premier rang desquels Rydoo. Si c'est le cas, Ziad Minkara, boss de CDS qui vient d'acquérir la partie "travel" de Rydoo, peut se frotter les mains. Mais Cegid aussi : cette association Rydoo-Notilus, à laquelle il faut ajouter, en l'occurrence, la TMC FCM Travel, a permis, il y a un an, de décrocher le juteux marché CNRS/Universités, 100 M€ de voyages sur 3 ans.

Gagnant-gagnant

La troisième option n'en est pas une supplémentaire, elle n'est qu'un parapluie bienfaisant chapeautant les deux autres : la formule magique du win-win. En termes d'ODM, Notilus s'est imposée au niveau des marchés publics. Une forme de standardisation dans la validation des voyages et de leur coût prédictif d'autant plus impérieux qu'il est encadré par la Loi : ici, on dépense l'argent du contribuable, faut pas déconner. Si Notilus est roi de l'ODM, son royaume est donc le domaine public. Pour Cegid, c'est, potentiellement, un pied dans la porte pour proposer ses autres services aux dispendieuses institutions. Et aussi profiter de l'immense data d'un outil relié au BT. C'est la win Cegid.

Et pour la win Notilus ? Distraits que vous êtes, il suffit de se reporter quelques lignes plus haut, le précédent SAP/Concur : l'adossement à un groupe international dont la force de frappe est, par définition, internationale.

Pour conclure, on assiste peut-être, au niveau français, ou européen, à l'émergence d'un troisième acteur majeur du BT. Après Amex GBT/KDS, SAP/Concur et, finalement, Cegid/Notilus. Sera-ce structurant ou sclérosant ? Notre boule de cristal s'embrume...