Agnès Viottolo, avocate associée du cabinet Teitgen & Viottolo, nous a accordé une série d’entretiens sur le droit et la mobilité. Sixième d’une série de sept, cet entretien aborde le sujet problématique, juridiquement parlant, du sexe dans le cadre du déplacement professionnel.
Il y a quatre ans, à travers une série de trois articles, nous avions évoqué des cas problématiques où sexe et déplacements professionnels se rencontrent. Ainsi avions-nous abordé en particulier le recours à la prostitution et le MICE. Nous reprenons ici ces thématiques au regard du droit…
Relations sexuelles et travail ne sont pas des notions exclusives l’une de l’autre. Une jurisprudence de 2019 le démontre spectaculairement…
Agnès Viottolo : Oui, c'est un arrêt de la Cour d’appel de Paris. Les faits : un salarié rencontre une inconnue lors d’un déplacement professionnel. Ils ont un rapport sexuel chez la dame en soirée, l’homme est victime d’une crise cardiaque et décède. La veuve a alors initié un recours pour la prise en charge, au titre de la législation sur les accidents du travail. La cour a alors considéré que l’entreprise n’apportait pas les éléments selon lesquels le décès de son collaborateur était totalement déconnecté de son activité professionnelle : l’accident du travail a été reconnu, alors même que le décès a eu lieu en dehors des heures de travail et, mieux encore, en dehors de l’hôtel réservé par le salarié. Cette jurisprudence a le mérite de démontrer le caractère extensif de la notion d’accident du travail en général, et en particulier pour les salariés en mission.
Venons-en à des faits malheureusement plus fréquents… Quelle est, dans le cadre d’un événement professionnel, la responsabilité de l’entreprise en cas d’agressions sexuelles entre collègues ?
La question est trop large. Et on ne peut pas a priori faire de distinction entre agression de la part d’un collègue ou d’une personne extérieure à l’entreprise durant l’événement. Etant donné qu’une entreprise, selon le droit du travail, est soumise à l’évaluation des risques, que son obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés est très large, tous les recours sont possibles en pareil cas.
Mais y a-t-il des obligations formelles que l’entreprise se doit de respecter. Par exemple, dans le cas d’un événement résidentiel, un appartement partagé par plusieurs salariés doit-il être unisexe ?
Je pense que la seule obligation, dans ce cas, est la même que sur le lieu de travail : des sanitaires distincts sauf dérogation par l’Inspection du travail. Globalement, si une agression advient lors d’un événement professionnel et que la victime se retourne contre son entreprise, c’est sur celle-ci que pèse la charge de la preuve : à elle de démontrer que l’agression ne pouvait pas être prévue. C’est difficile.
L’entreprise peut-elle interdire les relations sexuelles entre ses salariés ?
Dans les pays anglo-saxons, les clauses qui interdisent des relations sexuelles entre salariés d’une même entreprise ou du type “si un couple se forme, l’un des deux doit quitter l’entreprise” sont fréquentes. En France, elles sont impossibles. La question a été réglée dans les années 1970 : Air France interdisait les mariages entre stewards et hôtesses, le Conseil d’Etat a jugé cette interdiction illicite.
Le recours à la prostitution n’est pas rare dans le cas de déplacements professionnels. Qu’encourt, dans ce cas, le salarié concerné ? Et si le recours à la prostitution est permis dans le pays destination ?
Ca peut être un recours à la prostitution, une relation avec un ou une mineure ou toute autre infraction pénale, en France ou à l’étranger, le principe est toujours le même. Et ce principe est simple : si le salarié commet une infraction pénale en dehors du lieu et du temps de travail (le soir), ça ne regarde pas l’entreprise : ce n’est pas un motif de sanction, ni un motif de licenciement. Il y a cependant deux exceptions. D’abord, la notion de trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. L’employeur peut avancer que le salarié, dans sa vie personnelle (on parle bien de ça), perturbe la vie de l’entreprise. Je n’ai pas trouvé de jurisprudence concernant la prostitution en particulier mais c’est typiquement une activité pénalement répréhensible du salarié, qui est relayée dans les médias avec citation du nom de l’entreprise : atteinte à l’image. Ou encore il y a des cas en jurisprudence où des salariés, spontanément, pétitionnent ou se mettent en grève pour dénoncer le comportement d’un collègue, et demander une réaction de l’employeur. Dans ces cas, ce ne sera pas une sanction disciplinaire, un licenciement pour faute, mais un licenciement à raison d’un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. En conséquence, comme ce n’est pas un licenciement pour faute, il entraîne nécessairement le paiement des indemnités de rupture.
En dehors de cette exception, si l’infraction est commise durant les heures de travail et qu'aucun trouble objectif au bon fonctionnement de l'entreprise n'est constaté ?
On entre alors dans la deuxième exception : le manquement à l’obligation de loyauté du salarié. Si le salarié a recours à la prostitution, par exemple, alors que, considérant l’horaire, il est censé travailler, on est clairement dans ce cas. Si on caractérise le manquement à l’obligation de loyauté, on réintroduit le pouvoir disciplinaire et on pourra donc aller à l'avertissement, la mise à pied… jusqu’au licenciement pour faute et éventuellement pour faute grave privative des indemnités de rupture.
Les autres articles de la série "La mobilité face au droit" (MFD) :
> MFD (1/6) - Contrôler le travail effectif des salariés en déplacement, ça va changer radicalement
> MFD (2/6) - Travailler dans le TGV, est-ce travailler ?
> MFD (3/6) - La mobilité, c'est tous les ans qu'il faut en parler en entreprise
> MFD (4/6) - Bleisure : un saut dans le vide (juridique)
> MFD (5/6) - Travail à l'étranger : suis-je un malade français ?