Tribune JL Baroux – Dans quel état le transport aérien français va-t-il émerger de la Covid ?

471

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.

Dans cette période si troublée, il y a quand même une certitude : le transport aérien sortira durablement affaibli de la situation dans laquelle la gestion de la COVID 19 par les Etats l’aura mise. Pour une fois, ce n’est absolument pas de sa faute. Il subit les funestes décisions prises par les gouvernements qui se sont repliés sur eux-mêmes au lieu de collaborer de toutes leurs forces entre eux. La France est impactée au même titre que les autres pays, ni plus ni moins. Pour se remettre de cette situation il faudra selon les experts entre 2 et 5 ans. Autrement dit, on n’en sait strictement rien. Alors la belle construction patiemment édifiée au fil du temps et qui avait atteint une forme d’excellence ne va-t-elle pas tout simplement s’effondrer ? Ou à tout le moins rester atteinte pendant beaucoup plus longtemps que les optimistes ne semblent le croire ?

L’impact économique

Deux facteurs nocifs vont se conjuguer pour freiner le retour à la normale. D’abord le désastreux impact économique. Les compagnies aériennes auront, pendant la période de crise, perdu l’équivalent de la moitié de leur chiffre d’affaires alors que celui-ci ne génère en année normale que 8% de marge d’exploitation. Autrement dit plusieurs années d’exploitation sont parties en fumée, sans que cela puisse être rattrapé. Pour éviter les dépôts de bilan massifs, les Etats ont fait marcher la planche à billet et ils ont injecté, essentiellement d’ailleurs sous forme de prêts parfois à taux d’intérêt élevé, des sommes considérables. C’est ainsi, par exemple que le groupe Air France/KLM s’est vu doter par l’état français de 7 milliards d’endettement supplémentaire alors que le gouvernement néerlandais en rajoutait 3,4 milliards pour la partie hollandaise. Autrement dit, alors que le groupe était déjà largement endetté aux alentours de 5 milliards d’€, les mesures prises lui ont remis sur les épaules un peu plus de 10 milliards supplémentaires. Qui peut survivre à un pareil traitement ?

La seule solution sera sans doute de trouver un moyen pour effacer cette dette d’une manière ou d’une autre. Peut-être en créant une dette universelle qui serait gardée pour un temps infini. Mais alors il faudra sortir le Groupe des tenailles bancaires en convertissant au plus tôt les PGE en dette d’Etat. Tout cela ne peut être qu’un gros pansement sur une plaie jamais refermée. La conséquence sera l’affaiblissement de la valeur boursière de l’entreprise et la nécessite de recomposer le capital. Mais celui-ci est déjà largement atomisé entre les intérêts étatiques hollandais et français : 14% chacun, et les participations de Delta Airlines et China Eastern. Au fond, le groupe franco-hollandais n’est peut-être plus vraiment maître de son destin.

Open sky

Et comme si cela ne suffisait pas, les écologistes profitent honteusement des difficultés du notre transporteur national pour lui rogner les ailes. Bien entendu, ce n’est pas l’arrêt de la desserte d’Orly au départ de Bordeaux ou de Clermont-Ferrand, qui va bouleverser le paysage aérien français. Mais voilà un premier signe extrêmement inquiétant. Pour la première fois une mesure administrative coupe une exploitation qui ne demandait qu’à se poursuivre. On se demande bien, d’ailleurs sur quel fondement. Après tout, il existe encore en Europe un accord d’»Open Sky » qui permet à tout transporteur européen de desservir n’importe quelle ligne à l’intérieur du Continent. Alors pourquoi, justement empêcherait-on Air France d’en bénéficier ?

Les analystes pensent que les court-courriers européens reprendront plus vite que les long-courriers ? C’est possible et même probable si les gouvernements européens mettent toute leur énergie à harmoniser les protocoles sanitaires entre les Etats. Pour le moment on ne voit pas hélas, beaucoup d’initiatives dans ce sens, par contre les ministres abreuvent les dirigeants de belles paroles, en pensant que le verbe remplace l’action.

Il ne serait pas surprenant que les grands groupes européens ne soient amenés à se démanteler, chaque Etat cherchant à protéger ses propres intérêts au détriment du collectif européen. Aucun d’entre eux ne sortira indemne de la situation actuelle. Lufthansa et le Groupe IAG sont considérablement fragilisés. Les licenciements sont massifs et ils touchent d’ailleurs aussi bien le low »costs »

Que va-t-il ressortir de ce champ de ruines ? C’est ce que l’on aimerait bien savoir.