Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il s'interroge sur les difficultés rencontrées par Boeing et s'interroge sur le bénéfice que pourrait en tirer Airbus.
Le géant de la construction aéronautique américain traverse de très sérieuses difficultés. Boeing a énormément de peine à se relever de sa compétition malheureuse avec Airbus pour les appareils moyen-courriers, en clair : la classe B737 d’un côté contre les A320 du constructeur européen. Il faut tout de même remarquer que le fabricant américain a un peu cherché ce qui lui est arrivé.
Au fil des rapprochements et des absorptions de ses concurrents américains : Lockheed et McDonnel Douglas pour les avions civils et Rockwell International, entre autres, pour la partie militaire et spatiale, Boeing était devenu un monument indéboulonnable de la construction aéronautique. De la meilleure gamme d’avions civils, de l’excellent B737 court-courrier à l’incontournable B777 pour les long-courriers, à la fabrication des navettes aérospatiales (Columbia, Enterprise, Discovery, Challenger, Atlantis, Endeavour ou Pathfinder), sans compter toute la gamme des appareils militaires.
L'A320, puis les accidents...
Bref, tout allait bien jusqu’au moment où Airbus, bien inspiré, a développé sa gamme A320 Neo dont en particulier l’A321 Neo dans ses versions moyen/long-courriers. Les commandes ont afflué auprès du constructeur européen alors que Boeing ne disposait pas d’un appareil compétitif. C’est alors que, pour des raisons strictement économiques, une version aménagée du B737 a été créée en urgence sans prendre en compte toutes les précautions liées à la sécurité. Cela ne pardonne pas et deux accidents mortels ont frappé Lion Air et Ethiopian Airlines, respectivement en octobre 2018 et mars 2019. Comme il s’agissait de transporteurs, disons, "exotiques", Boeing a commis la grave erreur de prendre l’affaire avec une certaine arrogance, allant jusqu’à accuser les transporteurs en question de défauts dans leur organisation.
C’était sans compter sur les organismes en charge de la sécurité du transport aérien qui ont découvert de larges compromissions entre les autorités en charge des autorisations de mise sur le marché et le constructeur. Ainsi tout le programme du dernier B737 MAX a dû être révisé ce qui a entrainé non seulement des pertes économiques considérables (rappelons qu’un avion n’est payé qu’au moment où il est livré à son client), mais une énorme détérioration de l’image de Boeing.
Cette situation peut-elle bénéficier à son concurrent européen Airbus ? Ler constructeur européen fait la course en tête tout au moins quant aux commandes d’appareils. En fin d’année 2023, le carnet de commandes d’Airbus approchait les 9.000 appareils contre seulement 6.000 pour Boeing. On aurait pu s’attendre à ce que les constructeurs chinois ou russes bénéficient d’un report de commandes, mais ce n’est pas le cas et cette situation se maintiendra tant que les Comac ou MC21 ne disposeront pas d’un réseau de maintenance mondial et ce n’est pas pour demain.
Le mieux ennemi du bien ?
Pour autant, est-ce que cette situation est si favorable à Airbus ? Son carnet de commandes représente plus de 10 ans de fabrication à la condition que de nouveaux ordres ne viennent pas l’alourdir encore. Or, c’est bien ce qui se passe depuis le début de 2024. Quasiment pas une semaine sans que de nouvelles commandes viennent s’ajouter à l’énorme quantité de machines à livrer. Comme les appareils d’Airbus sont construits selon les mêmes schémas que ceux de Boeing, c’est-à-dire répartis dans des dizaines de sous-traitants, il suffit que l’un d’entre eux soit défaillant pour que toute la chaîne d’assemblage soit impactée. Alors comment Airbus pourra-t-il faire face à cette marée de commandes dans décevoir ses clients ?
On peut bien entendu se réjouir du succès actuel du constructeur européen, encore faut-il bien se garder d’une certaine arrogance comme celle qui a mené Boeing dans les difficultés dont il finira bien par se sortir. Gardons à l’esprit qu’un avion commercial est une machine d’une extrême complexité qui doit afficher une totale fiabilité. Ce n’est pas simple et cela doit amener tous les acteurs du transport aérien à une grande humilité pour faire fonctionner sans faille cette merveilleuse activité.