Nous avons recueilli deux témoignages qui racontent les (més)aventures d'une business-traveleuse et d'un couple de business-travelers pris dans la tourmente du coronavirus entre Chine et Europe. Une version pathogène de Vent d'est, vent d'ouest qu'il est conseillé de prendre - puisque l'actualité n'est pas particulièrement riante - avec humour. Aujourd'hui, sur les traces de Li Yu...
Li Yu* est une cheffe d'entreprise chinoise originaire de la province du Zhejiang, au sud de Shanghai. Le principal client européen, pour sa production de pièces servant à la fabrication de douches, est situé en Italie. Evidemment, connaissant aujourd'hui le parcours du coronavirus et la succession de ses principaux foyers nationaux, ça ressemble à ces mauvaises blagues qui dévoilent leur chute avant d'avoir commencé...
Un client principal en Italie, certes, mais aussi une vingtaine de distributeurs en Chine continentale. Début janvier, elle visite l'un d'eux. Où ? Oui, c'est ça : à Wuhan. Sentant le vent tourner, le virus se propager (elle porte d'ailleurs un masque) et le confinement poindre, elle rentre de façon précipitée dans sa province d'origine puis, rapidement, pour échapper au climat anxiogène qui règne alors en Chine, elle décide de prendre l'air avec des amis à Dubaï. Elle y reste quelques jours et renonce à retourner dans son pays où la situation empire de jour en jour.
Europe : It's the final countdown !
Ce sera l'Europe où Li Yu compte quelques amis et de bonnes raisons business d'y joindre l'utile à l'agréable. Francfort, pour un salon pro, puis, évidemment, le gros client : l'Italie. En Lombardie, tant qu'à faire... Elle y débarque un jour avant que la Péninsule ne ferme ses frontières aux ressortissants chinois. Mais, rapidement, il apparaît que le virus trouve la Botte à son pied.
Li Yu n'a pas l'intention de rester dans un pays étranger qui se retrouve dans le contexte à cause duquel elle a quitté le sien propre. Alors : l'Espagne. Là, évidemment, on se dit qu'on y réfléchira à deux fois avant de suivre les préconisations de Li Yu dans notre choix de destination vacances. Faisait-elle du trekking en Islande lors de l'éruption de l'Eyjafjöll ? Mangeait-elle des sushis à Fukushima le 12 octobre 2012 ? L'histoire ne le dit pas.
Quoiqu'il en soit, à peine le salon professionnel auquel elle participait s'achève-t-il, que les choses se gâtent en Espagne aussi. Même motif, même punition, elle prend le premier avion pour... Non, Li Yu, s'il te plaît !... Eh, si : la France. Elle séjourne à Bordeaux, Paris et en Normandie, chez un ami, jusqu'à la mi-mars. Les road-trips, c'est bien beau mais Li Yu a quand même un business à faire tourner. De plus, le 16 mars, les mesures de confinement sont annoncées par Emmanuel Macron. Elle craint d'être bloquée en France, alors que la situation dans son pays est clairement à l'amélioration.
Back to China !
Elle décide de retourner dans son pays le 18 mars. Son ami normand utilise le numéro vert mis à disposition par le gouvernement pour demander l'autorisation de la conduire à Charles-de-Gaulle... "Il vaut mieux qu'elle prenne un taxi", lui répond-on. A l'annonce d'une course tarifée qui relierait Le Havre à Roissy, l'opératrice se fait plus compréhensive. En route avec, comme preuve de bonne foi, un signalement du déplacement dûment notifié auprès du service téléphonique gouvernemental ! Ils se font effectivement contrôler par les forces de police à la sortie du Havre : "Où est l'autorisation de son employeur ? - C'est, elle, Monsieur, son employeur". Ça passe.
Son vol, qu'elle doit effectuer sur Emirates puis Ethiopian Airlines, est prévu à 14h25. Mais à 13h, à l'aéroport, elle reçoit une notification de l'appli de réservation chinoise CTrip : on vient de lui rembourser son vol. Peut-être la première fois de sa vie que Li Yu se désole de voir son compte crédité de 1.500 € supplémentaires. Son vol est évidemment annulé. Pas trop de regrets à avoir : un appel au micro l'interpelle - ce genre de quart d'heure de célébrité dont on se passerait bien, le personnel au sol lui indique que les règles viennent de changer à Dubaï. Interdiction d'y passer plus de 12 heures, son escale durait près du double.
4.500 €
Eh oui, les règles, ça change ! D'ailleurs, à CDG, alors que son vol vient d'être annulé, des voyageurs français l'informent que les Chinois n'ont désormais plus le droit d'entrer sur le territoire français... Elle s'y trouve déjà, certes, mais en pareilles circonstances, c'est le genre de nouvelles qui fait péter le stressomètre ! Pas le genre de Li Yu, heureusement, qui décide de prendre les choses en main : vite, un avion ! Le personnel des compagnies sur lesquelles elle devait voyager s'y emploie, en vain : tous les vols sont pleins. Sans trop y croire, elle empoigne son smartphone et interroge CTrip. En deux minutes, elle trouve un vol qui, mystère de ces temps troublés, n'apparaissait pas jusque là.
Les 1.500 € dont elle vient d'être recréditée serviront donc à financer le nouveau vol - enfin, une partie : avec ce Paris-Shanghaï d'Air China, elle se voit délestée de 4.500 €. Ça tombe bien : Li Yu aime bien voyager léger, elle n'a avec elle qu'un sac à main. Ayant anticipé que toutes ces opérations effectuées avec facilité en temps normal dans un aéroport ne seront pas aussi fluides qu'à l'accoutumée, elle a voulu s'épargner l'enregistrement de bagages. 4.500 € certes, MAIS les trois escales prévues dans le voyage initial se sont muées en un Paris-Pékin-Shanghaï et, s'il vous plaît, tout ça se passera en business et le soir même ! Covid-19 ? Même pas peur !
Une fois les contrôles effectués (précisons : les contrôles de sécurité, car de contrôles sanitaires, aucun... Après tout, les Chinois n'ont qu'à se débrouiller), Li Yu embarque dans l'appareil siglé Air China. Non sans avoir palabré de longues minutes avec le personnel Air China qui exigeait une carte d'embarquement sous format papier qui ne lui avait pas été remise puisqu'elle avait sauté l'étape "enregistrement". Apparemment, tout se négocie : elle grimpe dans l'avion quelques minutes avant son décollage.
Business class
Rarement décollage fut autant apprécié... On imagine Li Yu, confortablement installée dans son siège premium, bercée par le ron-ron de l'appareil, se laisser aller à une rêverie, flask-back de son séjour européen aux allures de course poursuite contre un Covid qui la talonne. Evidemment, depuis quelques jours déjà, ses amis ne se gênent pas pour la charrier avec une toute autre version des faits : le coronavirus, elle ne le fuit pas, elle le sème, au propre comme au figuré !
L'avion est plein, la centaine de passagers, chinoise à 95 %, et le personnel font bonne figure malgré les conditions particulières. Tout le monde est masqué. D'ailleurs, ces quelques heures passées à Roissy seront les dernières où Li Yu aura vu des visages sans masque jusqu'à un long moment. Jusqu'à aujourd'hui encore, d'ailleurs. Arrivée à Pékin, des bus attendent les passagers qui seront répartis dans chacun des véhicules en fonction de leur destination finale.
Lu Yi se retrouve avec une trentaine de voyageurs, presque tous étrangers, cette fois-ci, se rendant comme elle à Shanghaï. Ils sont "drivés" par dix personnes qui leur instillent avec beaucoup de tact et de gentillesse les consignes à respecter, leur proposent rafraîchissements et nourriture, portent leurs bagages. Ting ! Autre notification CTrip, autre somme d'argent recréditée pour compensation : pour ce Pékin-Shanghaï, Li Yu est déclassée en économique. On ne va pas faire la fine bouche. Avant, durant et après le vol, on aura contrôlé sa température à sept reprises...
La dérive des confinements
Aujourd'hui, Li Yu vit ses derniers jours de quarantaine dans un hôtel proche de Shanghaï. Un joli petit hôtel flambant neuf qu'elle a choisi dans une liste très restreinte de deux établissements. Le personnel est au petit soin. Tout juste faut-il s'habituer à leur tenue qui tient plus de la combinaison de taïkonaute que de la livrée. Sa température est relevée deux fois par jour. Elle ne peut sortir de sa chambre que pour aller chercher de quoi manger au sein de l'hôtel. Si elle décide de faire appel à un service de livraison du web, le livreur dépose la commande aux portes de l'hôtel et un membre du staff la lui apporte dans sa chambre.
La centaine de résidents forcés de l'hôtel ne sont ni stressés, ni abattus. "Ils ont juste le sentiment de traverser une période particulière durant laquelle il faut être fort. Chaque jour, on échange sur un webchat. On bavarde, on blague". Oui, parce que, comme dit plus haut, en pareilles circonstances, il est conseiller de prendre les choses avec humour...
* Le prénom a été changé
L'autre article de ce diptyque : Les tribulations de Français de Chine