Cinq conseils pour décider vite et bien

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L’absence de décision serait, selon les psychologues d‘entreprise, le « mal du siècle » dans les petites comme dans les grandes structures. Décider n’est jamais chose facile d’autant qu’aujourd’hui, cette chaîne de décision peut avoir des conséquences sur sa carrière. A en croire les professionnels du management, «la peur de mal faire prime sur la finalité de la décision». Une vision complexe qui pénalise parfois les choix que doit faire l’entreprise. Décider, oui, mais comment ?

Lors du Forum Dimo Gestion en mars dernier à Lyon, Guillaume Mulliez le patron de l’entreprise avait fustigé «la peur qui bloque les décisions» et demandé aux participants «de s’engager sur l’avenir car attendre pénalise le développement et l’innovation». Mais la peur de décider ne se limite pas à la crainte des conséquences. Pour Alain Joyet, sociologue d’entreprise, elle va même au-delà : «Dès qu’un environnement économique est dégradé, l’entreprise préfère garder des ressources plutôt que de les engager sur des projets dont elle ne maîtrise pas toujours le résultat». Et de fait, à l’en croire, la question est : «Pourquoi changer une structure qui marche pour l’améliorer si l’on n’a pas de visibilité sur le futur ?».

Valider une politique voyages, décider de faire ou non un déplacement professionnel en jugeant de son ROI, autant de décisions à prendre qui engagent le budget et, parfois, des contrats. «Dès que décider fait appel à des analystes ou des conseillers, on introduit une notion de choix complexe à gérer», reconnait Alain Joyet, «Seuls les grands managers savent le faire d’un claquement de doigt. Ce sont des joueurs, des audacieux comme le feraient les participants à une partie de poker où les enjeux sont élevés».

La crise a bon dos

Depuis 2009, et le début d’une crise économique forte, décider passe aussi (et avant tout) par l’analyse des conséquences financières de la décision. «Il faut bien comprendre que depuis 1974, nous vivons une succession de crises, plus ou moins fortes», résume l’économiste François Lenglet dans son ouvrage Qui va payer la crise ? Et de fait, les jeunes générations, biberonnées à cette situation économique permanente, pourraient être habituées aux incertitudes et décider plus facilement que les autres. «Faux», tonne Alain Joyet, «La peur de perdre son emploi minimise cette vision d’une crise permanente que l’on devrait désormais considérer comme acquise». Alors qui croire ? Faut-il limiter les décisions en temps de crise ou au contraire les anticiper et les mettre en œuvre pour jouer un coup d’avance sur le marché ? A cette question, il y a autant de réponses que de managers et d’économistes. De fait, décider devient une arme de poids pour les carriéristes qui pourront, grâce à leur audace, se placer sur le marché des dirigeants d’entreprise qui osent, vite et bien.

Mais comment passer le cap de la décision ? Voici quelques conseils pour y parvenir.

1 - Écouter ses intuitions

«Errare humanum est», l’erreur est humaine… Que de fois cette phrase a-t-elle été utilisée pour justifier une erreur. On oublie souvent qu’elle est complétée par «perseverare diabolicum» que l’on pourrait traduire par «persévérer est aussi une erreur». Comme le dit Alain Joyet, la vie de l’entreprise est faite d’initiatives et d’une bonne mémoire pour ne pas écouter ou reproduire des erreurs déjà faites. Mais attention, une erreur d’hier n’est pas forcément une erreur aujourd’hui. Certains projets arrivés trop tôt, sont parfois à maturité au moment où ils reviennent sur le tapis. «En France, on a vite peur de l’échec et au final, l’erreur est vite là», remarque Pascale Auger, auteure du livre Manager des situations complexes. Assumer reste toujours difficile, surtout si la concurrence salariale au sein de l’entreprise est forte. Un bon manager sait passer la peur et c’est souvent ce qui lui donne une image forte, gommant ainsi les erreurs qui ont pu être commises.

2 - Savoir trouver l’information

Pour Warren Buffet, «On ne saurait décider sans avoir toutes les informations en main. Toutes, sauf une». Faisant planer le suspens, le financier a le sens de la formule : «La dernière que l’on ne trouvera nulle part, c’est le poids du risque sur sa propre vie». Mais de fait, trouver ce qui va enrichir la décision est essentiel. Les chiffres, les benchmarks, les exemples ratés ou réussis des concurrents sont d’excellentes sources d’information. Le net regorge d’articles de presse qui permettent d’analyser, d’enrichir ou contredire la décision que l’on veut prendre. Mais attention, trop d’infos tue l’info et sème le doute ! «Il faut réussir à passer le cap du doute immédiat pour passer au doute réfléchi», poursuit Warren Buffet qui insiste sur cette « notion de doute » essentielle à la prise de décision. «Trop de certitudes conduit à l’échec», termine-t-il. Il reste qu’écouter le terrain est essentiel pour trouver le bon équilibre entre l’interne et l’externe. Tester discrètement quelques clients ou fournisseurs proches de l’entreprise vont permettre de se positionner face à la concurrence ou au reste du marché.

3 - Construire un arbre de réflexion

C’est une étape essentielle et indispensable dans la prise de décision... Une fois que la collecte d’informations est terminée ou du moins bien avancée, il faut peser les atouts et les dangers. D’un côté les points forts du projet à engager, de l’autre les risques. Entre les deux, les conséquences liées à la décision, les bonnes et les mauvaises. Si vous restreignez les conditions de voyage, n’allez-vous pas limiter drastiquement le nombre de candidats au départ et donc le développement de l’entreprise?

Enfin, le but attendu de la décision. Moins de 5 minutes suffisent pour des décisions courantes d’un service mais le travail peut aussi se faire en groupe pour définir l’ensemble de la chaîne. Dans tous les cas de figure, l’arbre de réflexion doit être la dernière étape de la prise de décision. C’est lui qui apportera 90% de la visibilité du projet. Mais attention, analyser ne veut pas dire mesurer le retour attendu de la décision qui sera prise. La part d’inconnu dans la décision restera toujours forte à ce stade.

4 - Ne jamais s’arrêter au dernier qui a parlé

C’est malheureusement ce que l’on reproche souvent à des décideurs : se laisser entrainer par de beaux parleurs, proches de la direction. Si écouter est une qualité, s’arrêter aux affirmations du dernier qui a parlé est une faute professionnelle. «C’est là que joue l’intuition», remarque Alain Joyet, «Là que l’on sait ce qu’un manager a dans le ventre. Savoir rejeter des arguments au bénéfice de la vision dans le temps est une qualité rare». Mais au-delà, la notion de risque évoquée plus haut joue à plein. Mais il faudra assumer. «Croire que l’on pourra reporter l’erreur sur le dos d’un conseiller est une faute professionnelle grave», souligne Alain Joyet. D’autant, et les exemples le montrent, qu’en cas de succès, les collaborateurs ne manqueront pas de souligner la faiblesse du dirigeant et leur vision avancée du marché.
 

5 - Décider avec la maîtrise du temps

Quand décider ? Voilà la question majeure. Au dernier moment ? C’est risqué car la précipitation n’est jamais bonne conseillère. Trop en avance ? La décision risque de ne pas être bien perçue par l’entreprise qui la jugera inadaptée à la concurrence ou à son époque. On le voit, décider de manière fulgurante, sans analyse ni vision économique, n’est pas une bonne idée et serait suicidaire. «Lorsque l’on a le sentiment de tenir une très bonne idée, c’est qu’elle est dans l’air et que d’autres aussi y réfléchissent», commente Warren Buffet, «Le tout c’est d’aller vite et de savoir s’entourer d’une équipe de collaborateurs qui sauront porter l’idée». Facile à dire mais sur le terrain, les choses sont bien différentes. «Dans le cadre d’un processus de décision, je pense qu’il ne faut pas passer plus de trois semaines à analyser, une semaine à écouter le terrain et les salariés, et une semaine pour prendre sa décision. C’est le timing généralement constaté dans les entreprises».
Décider pour les voyageurs de l’entreprise

Si la politique voyages détermine les usages en matière de déplacements professionnels, elle ne permet pas toujours d’arrondir les angles surtout lorsque les décisions à prendre pénalisent les voyageurs eux-mêmes. «Nous ne sommes pas dans une décision cruciale pour l’entreprise mais dans la mise en place de mesures collectives», explique Alain Joyet, «Dans ce cas, nous avons une décision explicative qui doit être détaillée par le menu à ceux qui en subiront les conséquences». Les experts parlent d’une approche préparatoire construite autour de rencontres destinées à expliquer les raisons de la décision. Associer le voyageur à la modification structurelle d’une habitude est utile car elle évite la démoralisation et les craintes naturelles qu’inspire le choix de l’entreprise. Guillaume Mulliez a eu une jolie image sur scène : «Décider, c’est construire pour tous, pas pour soi uniquement ».