Compagnies aériennes et TMC : quel avenir à 10 ans ?

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C’est un thème qui revient aujourd’hui sur le devant de la scène sur la distribution des compagnies aériennes. Quel avenir pour les relations entre les transporteurs et les agences de voyage à l’heure d’internet ? Cet élément n’a pas échappé à la sagacité de Jean-Louis Baroux et DeplacementsPros.com a demandé à Jean-Pierre Sauvage, Président de l’Association des représentants des compagnies aériennes en France, le Bar France, de tabler lui aussi sur ce sujet.

Il ne se passe pas un mois sans que résonne une annonce spectaculaire de commandes d’avions : ici 200 moyen courrier nouvelle génération, là 83 milliards investis dans la nouvelle version du B777X, pour ne donner que quelques exemples. Nous assistons à une réelle frénésie dans cette course au gigantisme opérationnel à tel point qu’Airbus prévoit une demande de 28.000 avions nouveaux sur vingt ans. Mais selon l’adage boursier bien connu, les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel et l’on peut se poser la question de savoir si toutes ces annonces sont bien sérieuses et surtout, en phase avec les perspectives de développement du nombre de passagers aériens.

Tout pourrait laisser croire cependant que ces estimations sont justifiées si, sur la base d’un taux d’augmentation annuel de 5 %, les compagnies aériennes IATA transporteront plus de 5 milliards de passagers à l’horizon 2023 soit presque deux milliards de plus qu’aujourd’hui. Il convient toutefois de prendre en compte l’impact prépondérant dans ces chiffres des forts développements observés dans les BRIC et autre CIVETS (Indonésie,Vietnam,Turquie notamment), l’Europe évoluant sur un rythme beaucoup plus modéré(2,9%).
Comme disait Saint Exupéry, pour ce qui est de l’avenir il ne suffit pas de le prévoir mais de le rendre possible. Dès lors, face à la projection de ces chiffres spectaculaires se posent certaines interrogations quant à l’évolution de notre industrie qui s’inscrit dans une perspective de changements inéluctables des modèles économiques de tous les acteurs : compagnies aériennes et leurs partenaires agents de voyages distributeurs ou producteurs.
Mais auparavant il importera surtout de prendre en compte la modification profonde intervenue dans le profil du client et de son comportement d’achat induit d’une part par la formidable évolution de moyens technologiques qui lui sont offerts et d’autre part par les nécessités économiques découlant de la grave crise que nous traversons.

Les compagnies aériennes

Panam, TWA, Branif, Eastern, Western, Northwest, Sabena, Swissair, Malev, Spanair, Air inter, UTA, AOM, TAT, Air Liberté… Voici une liste non exhaustive de toutes ces compagnies, certaines légendaires, qui ont disparu de notre paysage soit par faillite ou absorption. Dans 10 ans, combien de compagnies actuelles brilleront encore dans le firmament aéronautique ? Un excellent rapport du Commissariat Général à la stratégie et à la prospective, publié récemment sous la présidence de Claude Abraham, posait clairement la question suivante : les compagnies aériennes européennes sont elles mortelles ?

Évoquant en corollaire leur futur, il propose 4 scénarios dans une perspective à 20 ans :

a) Les compagnies historiques européennes côtoient les low cost en moyen- courrier et les grandes compagnies étrangères en long-courrier.

b) Les compagnies historiques sont toujours présentes sur les marchés moyen et long-courriers mais ont du se regrouper pour faire face à la puissance des concurrents en fusionnant les trois groupes européens actuels et les dernières compagnies indépendantes.

c) Le trafic moyen-courrier est assuré exclusivement en low cost (filiales des compagnies historiques ou indépendantes). Le long-courrier est assuré soit par des «légacies» actuelles ou par des alliances renforcées soit par des compagnies non européennes plus performantes.

d) Le marché moyen-courrier est assuré par des compagnies low cost et le long courrier est largement capté par les compagnies américaines, asiatiques ou du Moyen-Orient. Les compagnies européennes sont marginalisées.

A vrai dire, tous ces scénarios sont possibles mais sans vouloir faire offense aux experts responsables de ce rapport, je pense que le temps sera plus rapide dans leur réalisation. Nous sommes témoins de la transformation radicale et ultra rapide des modèles moyen-courrier pour penser qu’il faille attendre 20 ans pour leur concrétisation. Cela dit, je me souviens qu’il ya quelque décennies, Mr Carlson président de la SAS, prédisait qu’à 5 ans de vue, il n’existerait plus que 4 ou 5 grandes compagnies en Europe !!!!!!!

Ce rapport a par ailleurs mis l’accent sur ce que l’on pourrait appeler la problématique des compagnies aériennes dans la chaine de valeur du transport aérien en mettant particulièrement en exergue les handicaps rédhibitoires dont elles souffrent et que nous retrouvons en partie dans les 9 propositions du rapport du CGSP :
- Concurrence anarchique par la faiblesse des barbières à l’entrée
- Activité fortement soumise aux cycles économiques
- Lourdeur des investissements technologiques
- Fluctuations du prix du carburant
- Coût des redevances aéroportuaires et aéronautiques
- Difficulté d’accès aux marché des capitaux en raison des faibles rendements des investissement
- Faible valeur capitalistique
- Faibles marges et déficits chroniques
- Pas de propriété de leur fonds de commerce principal : les créneaux opérationnels
- Contraintes environnementales sévères
- Réglementation européenne contraignante : droits des clients , ETS
Chacun de ces items pourrait faire l’objet d’une analyse plus large mais cette tribune n’y suffirait pas.
Toutefois , concernant le carburant, même si la consommation a été réduite très sensiblement par des nouvelles motorisations(NEO/MAX ) ou technologies aéronautiques plus performantes (B787/A350), nous pouvons nous interroger sur la réelle possibilité d’utiliser des biocarburants sachant que l’Europe a déjà limité sa production. Quant aux carburants de synthèse, on n’en parle plus beaucoup : peut-être que les motoristes et avionneurs préfèrent vivre de leur rente de situation avec les modèles déjà existants. Face aux monopoles ou duopoles, que peuvent faire les compagnies ?

La distribution par les agents de voyages

Internet, OTA, GAFA (Google/Apple/Amazon/Face book), geek, génération Y, smarthones, tablettes etc… Autant de sigles ou néologismes qu’il faut maintenant intégrer dans les business plan de toute entreprise traitant du voyage affaires ou loisirs et il n’aura échapper à personne que depuis quelques années déjà, la commercialisation du produit aérien est complètement bouleversée par ces nouvelles technologies plus ou moins maîtrisées selon les motivations de voyages ou l’âge de l’utilisateur.

Dans le voyage d’affaires ce sont plus de 50% des transactions qui s’effectuent aujourd’hui par la canal internet et sans jouer les oiseaux de mauvais augure, on peut se risquer à prédire que d’ici à 5 ans - ou peut-être avant - il n’y aura plus ou quasiment plus de place pour du brick and mortar dans ce segment d’activité.

Ceci a poussé les TMC a réviser et repenser intégralement leur modèle, les poussant à créer de nouveaux services ou produits si elles veulent survivre. Le best buy ou le best available rate (BAR) sont devenus la norme en Europe avec les conséquences, malheureusement inéluctables, sur les recettes unitaires des prestataires et également des compagnies aériennes.

Dans une vision à 10 ans, il est impératif d’avoir en tête que la majeure partie des clients de demain procédera de cette génération des 18/34 ans d’aujourd’hui, qui ne fonctionne qu’avec ces moyens technologiques en perpétuelle évolution et amélioration

C’est une clientèle autonome, extrêmement experte dans le maniement de ces concepts et par essence, peu encline a rechercher des intermédiaires qui ne parlent pas le même langage. L’agent de voyage devra donc, sous peine de disparaitre rapidement, être en mesure de lui fournir encore plus que ce qu’il peut obtenir lui-même. Il n’aura pas beaucoup d’autres alternatives et le temps lui est compté pour s’y préparer.

Jean-Pierre SAUVAGE
Président du BAR France