Le voyage d’affaires se met -il au vert ?

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Le Grenelle de l’environnement a fait des émules dans tous les domaines de l’industrie. Le voyage d’affaires n’échappe pas à la règle et se met, lui aussi, à penser vert. Avec une motivation véritable et des résultats en demi-teinte…

Le voyage d'affaires se met -il au vert ?
Dans une étude conduite au début de l’année 2008, le WWF l’affirme : il serait possible d’économiser 22 millions de tonnes de CO2 si 20% des voyages d’affaires étaient remplacés par des visioconférences. Damien Demailly, chargé du programme énergie et climat au sein de WWF France enfonce le clou et ajoute que les conséquences en matière de climat d’un vol en avion ne se mesure pas seulement aux émissions de Co2 et qu’il faudrait multiplier par 2 voire 5 les conséquences indirectes de ces émissions pour en connaître le véritable impact. C’est dire si le voyage d’affaires peut avoir un rôle à jouer pour préserver l’avenir de la planète. Encore faut-il que l’environnement fasse partie des priorités de cette population et, plus encore, des entreprises qui l’emploie. Et c’est là, il faut bien l’avouer, que le bât blesse…
Le voyage d'affaires se met -il au vert ?
L’environnement, oui mais…
Certains travel managers l’avouent sans détour : « l’environnement n’est pas notre priorité. Nous n’avons ni le temps, ni les moyens de nous consacrer à ses sujets. » Et d’ajouter : « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les demandes ne viennent pas non plus des voyageurs d’affaires. La compensation carbone pourrait éventuellement être une voie mais qui paye ? L’entreprise ou le voyageur. Dans le deuxième cas, les voyageurs ne sont pas chauds pour mettre la main au portefeuille ». La réalité serait-elle plus noire que verte ? Les mentalités commencent à bouger. Ainsi, dans l’étude qu’ils ont conjointement menée en janvier dernier auprès d’un groupe international de voyageurs d’affaires et de Travel Managers, l’Association of Corporate Travel Executives et KDS ont identifié un réel désir de réduire la fréquence des voyages et de sélectionner des options plus respectueuses de l’environnement. 45% des personnes interrogées considèrent que la culpabilité vis-à-vis du réchauffement climatique mondial a désormais une incidence directe sur les décisions individuelles en matière de voyages d’affaires. Dans les grandes entreprises du CAC 40, l’affaire est également prise au sérieux par les travels managers. C’est le cas de Michel Dieleman, travel manager au sein du groupe Orange. « Comme toutes les grandes entreprises, Orange se pose la question de l’environnement. Elle a mis en place un département développement durable et le voyage n’est pas éludé des interrogations. Du côté du travel management, on travaille en synergie avec ce département. » Principal axe de réflexion : comment éviter le déplacement ! Sur le sujet, Damien Demailly est formel : « Avant de prendre l’avion, il faut se poser les bonnes questions : est-ce que mon rendez-vous exige le déplacement ? Ne peut-il être remplacé par une vidéo conférence ? Si ce n’est pas le cas, dois-je impérativement y aller en avion ? » Un point de vue certes un peu radical mais adopté par l’entreprise autant par souci d’économies que pour des préoccupations environnementales. « Même si nous n’écartons pas la possibilité de se rencontrer, l’un des préambules de notre politique voyage, c’est d’éviter le voyage quand on le peut… », avoue Michel Dieleman.
D’autres se montrent plus pro-actifs et ont décidé d’accompagner une tendance qu’ils ressentent fortement depuis plusieurs mois. « Au moins deux à trois fois par jour dans nos hôtels, nos voyageurs d’affaires nous posent la même question : Qu’est ce que vous faîtes pour l’environnement ? » explique Michel Jauslin, Vice président régional du groupe Hyatt. « Depuis 18 mois, nous avons mis en place une cellule spécialisée sur le sujet à Chicago et, dans chaque hôtel, un comité environnemental chargé de trouver dix idées par mois sur le sujet. »
Une démarche aboutie puisque les meilleures idées sont ensuite appliquées dans tous les hôtels du groupe et les résultats de ces mesures environnementales sont, le plus souvent possible, en « libre-service ». Et de poursuivre : « Nous avons par exemple mis en place des réducteurs de pression pour les douches que les voyageurs sont libres d’accepter ou non. Une façon aussi de ne pas passer pour un mauvais élève… ».
Le voyage d'affaires se met -il au vert ?
Vive le train ?
A l’image de la poule et de l’œuf, difficile aujourd’hui de savoir qui, des voyageurs d’affaires, des travel managers ou de leurs fournisseurs, est à l’origine des demandes en matière de produits verts. Les transporteurs sont souvent les premiers exposés à ces questions de par leur image de « premiers pollueurs ». « C’est vrai que nous avons une véritable demande aujourd’hui pour une flotte de voitures vertes », souligne Jean-Marc Crescent, directeur commercial Hertz France. Ces véhicules, à plus faible émission de CO2 entrent à 25% dans la composition de notre flotte. « Pourtant », ajoute-il, « il est difficile de savoir si cette demande est le résultat d’une véritable politique au sein des sociétés ou une simple façon de faire bonne figure ». La bascule écologique serait-elle une manière de se donner bonne conscience ? Peut-être. Mireille Faugères, directrice de la SNCF l’explique en ces termes : « je reçois des directeurs d’achat qui ont donné des consignes en faveur du train pour être plus dans le ton dans leurs rapports annuels d’entreprises ». Comme si les sociétés avaient obligation de faire du vert, envers et contre tout… Les commerciaux de la SNCF ne s’y sont d’ailleurs pas trompés et se promènent avec un logiciel qui permet d’aider leurs clients potentiels à faire leur bilan carbone…
Une offre à laquelle les travel managers sont évidemment sensibles sans pour autant céder aux sirènes du « tout vert ». Pierre Blondeau, en charge de la coordination des achats chez Limagrain l’explique en ces termes : « L’environnement est une préoccupation forte chez nous et nous travaillons beaucoup à sensibiliser nos voyageurs à l’intérêt de la visioconférence par exemple. Pour autant, il y a des domaines sur lesquels notre marge de manœuvre est faible. Notre siège social est à Clermont-Ferrand et pour nous rendre à Paris, nous privilégions encore l’avion car le trajet en train est encore beaucoup trop long… ».
Le voyage d'affaires se met -il au vert ?
Le compensateur, une fausse bonne idée…
Reste, quand le voyage en avion est inévitable, la possibilité de compenser… Une idée qui fait son chemin, en théorie plus qu’en pratique car rares sont les entreprises qui compensent financièrement les pollutions engendrées par les voyages de leurs collaborateurs… La compensation serait-elle une fausse bonne idée ? Peut-être. Damien Demailly lui, est formel : « la question de la compensation doit se poser en bout de chaîne. Avant, il faut se demander si le déplacement est vraiment nécessaire, s’il existe d’autres alternatives, si le train est possible… Et si l’entreprise décide au final de compenser son voyage et d’investir dans un projet de réduction d’émissions de CO2, il faut qu’elle soit vigilante. Aujourd’hui, ce marché est une immense jungle et il n’existe pas de véritable cadre juridique. » Alors plutôt que compenser, la tendance aujourd’hui est au remplacement du voyage par une « cyber-rencontre ». Une façon de polluer et de dépenser moins.

La crise économique comme réponse à la crise environnementale ? Peut-être… « Est-ce pour le côté vert ou pour le côté prix que le train est si demandé aujourd’hui ? » s’interroge Mireille Faugère. « On ne le saura jamais ». Et la question n’a peut-être qu’une importance relative tant qu’elle sert la double cause du porte-monnaie et de l’environnement.

Stéphanie Clément