« L’enjeu du paiement dans la location de voitures ? 10€ par facture traitée »

233
(Ph. Why Kei/Unsplash)

Par sa fonction de CTO de l'agrégateur de loueurs Carbookr, Frederi Villa Vega a une vision panoramique de ce marché. Il parle ici de la nécessité de digitaliser le paiement et fait le point sur les différentes solutions existantes.

En quoi le moyen de paiement utilisé dans la location de voitures pro constitue-t-il un enjeu ?

Frederi Villa Vega : Pour l’entreprise cliente, c’est très simple : ça relève du coût de traitement. Et il peut être élevé. C’est le cas du paiement par virement. Dans ce cas, on multiplie les interventions humaines et ça coûte. Il y a, par exemple, une vérification faite par l’utilisateur, puis le travel manager, puis la compta. On estime ce coût à 10€ par facture. Quand on sait que les négociation entre loueurs et entreprises se font parfois sur quelques euros, c’est un peu ridicule.

Et du côté du loueur, cette solution est moins désirable encore : les délais de paiement sont peu respectés et pour une entreprise, la meilleure qui soit, maîtriser les flux de cash est évidemment essentiel. En cas de non règlement, au coût de recouvrement, qu’il soit externalisé ou non, s’ajoute le coût de l’argent “dehors” : le prix du capital, tout simplement.

Ces archaïsmes sont-ils encore répandus ? En d’autres termes : quelle est la maturité du marché français dans ce domaine ?

Elle est médiocre. Le paiement par virement, que je prenais comme exemple ou plutôt contre-exemple, est encore très utilisé, notamment par les entreprises du secteur public. Les choses progressent, notamment sous l’impulsion des loueurs internationaux (Avis, Sixt, Hertz…) qui réussissent de plus en plus à imposer des prélèvements automatisés. Mais pour les nationaux - comme ADA par exemple, qui est important dans le business travel, ça reste fréquent.

Ce déficit de digitalisation, cette nécessité de moderniser le mode de paiement B2B en France dépasse de loin la location de voiture, d’ailleurs. Et c’est dommageable car ça freine l’économie.

La carte bancaire reste aussi très utilisée. Est-ce là aussi un archaïsme ?

C’est un moyen de paiement traditionnel mais je ne le qualifierais pas d’archaïque. Du, moins quand il s’agit d’une carte corporate car dans le cas d’une carte personnelle, l’avance de frais demandée au collaborateur est quand même problématique. Autre souci de la carte perso : il y en a beaucoup qui sont des cartes de débit. Or, s' il n’y pas de difficultés particulières à louer une voiture avec des cartes de débit en France, la carte de crédit est une quasi obligation pour les agences à l’étranger. La France reste une exception dans ce domaine.

Mais dans le cas d’une carte corpo, cette option offre un grand avantage : la responsabilisation des collaborateurs lors des déplacements professionnels. En effet, les frais liés au “refueling” ou les surclassements demandés en agence peuvent être à la charge du conducteur et non plus systématiquement de l’entreprise. Pour autant, les montants de garantie/caution nécessaires à la prise en charge du véhicule sont parfois très conséquents. 

De plus il y a un point noir dû à la nature décentralisée de ce mode de paiement : il nécessite plus d’efforts pour consolider les dépenses et donc piloter son budget. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nouveaux acteurs ont vu le jour, dans le but d’aider les entreprises grâce à des solutions intégrées de gestion des dépenses. C’est le cas de la fintech française Mooncard par exemple.

Et quand on quitte l’option “carte de crédit”, on bascule dans les modes de paiement centralisés. Outre le virement dont vous avez montré les limites, quelles sont les autres solutions ?

Le prélèvement automatique, tout simplement. C’est un mode de règlement très courant dans la location de voitures. Ses avantages sont liés à son caractère centralisé et au fait que le collaborateur n’avance pas les frais. Lorsqu’une entreprise et son fournisseur optent pour le prélèvement, les enjeux tournent souvent autour du délai accordé : prélèvement fin de mois ou à 30 jours. Ce mode de paiement permet d’oxygéner la trésorerie du client sans dégrader celle du fournisseur.

Et puis il y a la carte logée qui est certainement l’un des modes de paiement les plus avancés dans la location de voitures. Grâce à ses “tiers payeurs”, l’entreprise bénéficie généralement de délais plus souples : jusqu’à 42 jours avec Amex et Airplus (qui, avec BNP Paribas et City bank sont les opérateurs les plus couramment utilisés en France et en Europe) et surtout d’un niveau de granularité dans la donnée plus important. Matricule, centre de coût, d’imputation… Autant de data à analyser par l’entreprise, pour un pilotage plus fin de la dépense sur les différents segments du voyage (train, avion, location de voitures…).

Peut-on établir un mode de paiement préférentiel en fonction de la typologie du client ?

Si on laisse de côté certaines spécificités, assez clairement, oui. Le travel manager d’une grande entreprise sera davantage intéressé par un paiement par carte logée. D’abord pour la souplesse des délais de paiement mais aussi et surtout pour la remontée de données et l’exploitation des analytics liés aux déplacements des voyageurs.

Pour une PME, le chef d’entreprise choisira davantage le virement bancaire ou le prélèvement automatique, ce qui, selon moi, vous l’avez compris, est préférable. Avec des virements/prélèvements fin de mois au à 30 jours, la PME sécurise sa trésorerie.

Quant au travailleur indépendant, pour des déplacements ponctuels ou pour un faible volume de location à l’année, il préfèrera passer ses paiements en carte bancaire. Cette dernière étant à son nom, sa prise en charge se fera en valeur limitée et il se portera lui-même caution.

Et pour les TMC ?

Les TMC passent par différents modes de paiement selon la taille de l’agence et le profil de ses clients. Mais elle privilégiera dans tous les cas un paiement en compte centralisé : pas ou peu de carte bancaire, donc. Pour être vraiment complet, d’autres modes de règlements comme le chèque sont encore valables aujourd’hui mais ne représentent plus une solution de règlement crédible eu égard aux enjeux de paiement dans le voyage d’affaires.