Bertrand Mabille, CWT: « Il faut réadapter l’agence de voyages aux besoins de ses clients et aux évolution de son époque »

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Dans une récente chronique, Scott Gillespie s'interrogeait sur les évolutions possibles des TMC (Travel manager Company). Selon le spécialiste américain du voyage d'affaires, trois écueils apparaissent dans les projets de développement des agences.

Le premier concerne la montée en puissance des déplacements de "point à point" qui représente 80 des achats en entreprises et qui sont les plus faciles à traiter sur une chaîne totalement "off line" ou via les serveurs des compagnies aériennes. La seconde difficulté concerne la dématérialisation qui facilite l'achat immédiat des sociétés via les serveurs des fournisseurs et permet aux PME/PMI d'être en phase économique avec le marché. Enfin, la baisse annoncée des commissions (fees) devrait atteindre les 20 % (off line et on line confondus). De quoi obliger la TMC a revoir son business model pour coller aux demandes des clients. Pour réagir à cette analyse, nous avons sollicité Bertrand Mabille, Directeur général France de Carlson Wagonlit Travel.

Déplacements Pros : Les enjeux de la dématérialisation et de la numérisation du voyage d'affaires vont ils faire bouger les TMC ?

Bertrand Mabille : Je voudrais tout d'abord préciser que je suis, en partie d'accord, avec l'analyse de Scott Gillespie. Les voyages complexes représentent 15 à 20 % des demandes formulées aux agences. Même si un voyage de point à point n'est pas forcément un voyage simple et peut subir bien des modifications. Oui, les fees vont baisser avec la numérisation du voyage d'affaires et la montée du on line. Aujourd'hui, le on line ne représente que 25 à 30 % des transactions contre 60 % aux USA. Les analyses peuvent donc être différentes. Par contre, nous ne constatons pas chez nos clients cette envie de tout faire eux mêmes. Au contraire, ils nous demandent aujourd'hui d'être un guichet unique d'entrée pour gérer leurs déplacements professionnels.
Je crois que, pour comprendre l'évolution du rôle des agences de voyage, il faut bien comprendre leur métier. Le premier, le plus basique, reste le transactionnel qui devrait effectivement aller de plus en plus vers le on line. Nous savons que nous pourrons automatiser la plupart des demandes basiques de nos clients, même s'il faut rester prudent sur le besoin d'humaniser les front office qui doivent rester accessible aux clients. Le second métier que nous faisons, et non des moindres, c'est la gestion administrative et comptable de l'ensemble des demandes que nous gérons. Nous gérons de petits paiements à une multitude de fournisseurs et sur des systèmes différents. Cela n'a l'air de rien mais en entreprise, ce serait une activité forte, peu rentable et qui demande du personnel. J'ajouterais que nous jouons le rôle de banquier, ce qui est une réelle évolution de notre métier. Nous sommes également des conseils auprès de nos clients et au final des acheteurs avec l'obligation d'obtenir d'excellents prix pour nos propres clients. Toute cette chaîne s'intègre dans l'évolution professionnelle engagée.

Déplacements Pros : Cette notion de dématérialisation totale revient très régulièrement dans les demandes des entreprises. Comment l'entendez vous ?

Bertrand Mabille : Je crois sincèrement que nous allons nous développer en démontrant notre capacité à gérer les forces vives de l'entreprise, c'est à dire nos équipes. Nous identifions tous les jours celles et ceux qui pourront évoluer vers telle ou telle mission. Nous créons des zones de compétences qui devront s'adapter aux évolutions technologiques, à l'arrivée de nouveaux marchés, à notre rôle d'audit et de conseils. C'est la refonte permanente de nos savoirs qui garantit l'adaptation. Ce travail ne se fera pas en un jour. Il s'inscrit dans la durée et en fonction des nouvelles demandes qui émergent. Il faudra également reporter nos forces là où elles seront nécessaires : sur le commercial, l'IT, le front office... Nous aurons aussi à travailler à l'identification de nouveaux marchés. Nous le voyons bien aujourd'hui avec la montée en puissance de l'hôtellerie et une gestion complexe du domaine. Cette recherche de nouveaux marchés passera aussi par le développement des outils technologiques, très demandés dans les entreprises pour faciliter la gestion ou l'analyse des dépenses. Il n' a pas dans la dématérialisation totale du voyage d'affaires un risque nouveau pour les TMC. Au contraire, nous allons voir arriver de nouveaux services plus personnalisés et une humanisation de ces services que ce soit dans la gestion de VIP, la personnalisation des voyages, le MICE...

Déplacements Pros : Cela veut-il dire que la dématérialisation donnera naissance à des nouveaux services en agence ?

Bertrand Mabille : Ce serait un raccourci rapide mais assez juste. Il ne faut pas croire que les missions de la TMC vont être bouleversées simplement par la suppression d'un ensemble d'activités traditionnelles qui seront rapidement remplacées par la technologie. Cela veut dire qu'il nous faut à la fois anticiper les demandes à venir tout en assurant celles issus des 70% de nos clients qui attendent de nous un suivi total et permanent de leurs voyages. L'évolution des marchés de CWT en 2011, qui devrait être de l'ordre de 5%, colle à l'évolution du on line en France. La notion de dématérialisation reste encore un peu floue dans l'esprit de ceux qui n'y voient qu'une simplification administrative. Pour notre part, nous pensons qu'elle va au delà. Dans le cadre de notre mission de conseil et d'audit aux entreprises nous l'abordons de façon plus générique.

Déplacements Pros : Y compris quand vos clients vous en demandent une baisse des fees ?

Bertrand Mabille : Oui, bien évidemment, cette baisse des commissions est déjà engagée. Vous évoquez une moyenne de 17 % aux USA. En France, elle pourrait être plus forte sur le on line et plus faible sur le off line. Il est difficile de dire aux entreprises qu'elle payeront moins cher alors que leurs besoins de reporting et d'analyses sont plus forts et que le niveau d'exigence et de personnalisation est plus important. On le voit dans les comptes globaux où le besoin d'un reporting fin est nécessaire. Je crois également que le prix correspond aux services attendus. Il est indissociable du niveau attendu formulé par les clients. Indissociable de la qualité de l'offre que nous avons à offrir. C'est un challenge mais aussi une évolution naturelle de la TMC.

Propos recueillis par Marcel Lévy