Big Data : entre «buzzword» et marketing évolué

124

Evoquer aujourd’hui le «Big Data» est de bon ton. Pour certains, il ne s’agit que d’une mode, l'évolution de la Business Intelligence appliquée aux données collectées. Pire, un buzzword marketing, une expression utilisée, pendant un certain temps, comme slogan répétitif pour désigner une nouveauté. Pour d’autres, au contraire, c’est l’une des plus grandes évolutions du numérique dans l’univers de la data. Qu’en est-il ?

Big Data : entre «buzzword» et marketing évolué
Le terme de « Big Data » revient sans cesse aujourd’hui dans les articles de R&D, les commentaires scientifiques ou encore, la semaine dernière, à la conférence de rentrée Univ’AirPlus. Le terme en anglais fait savant, voire pédant. « C’est vrai que cela fait mieux que grosses données », reconnait en souriant Hervé Couturier, Head of R&D d’Amadeus qui y intervenait. Amadeus, qui a publié en juin une étude complète sur le sujet (voir ci-dessous), explique que le Big Data est un enjeu clair de demain : en exploitant des volumes importants de données non structurées, il devient possible de prendre des décisions plus judicieuses, en innovant davantage au niveau des produits et en renforçant les relations avec les clients. Selon Hervé Couturier, «On n’insistera jamais assez sur la capacité du Big Data à modifier radicalement la donne. Il peut permettre d'améliorer considérablement l’expérience de voyage et, plus généralement, les modalités de fonctionnement de toute la profession ». Pas moins.

Big Data, kezaco ?

« On parle aujourd’hui de Big Data en oubliant qu’il y a aussi du Small ou du middle data », remarque d’emblée Guillaume Bourdon, le patron de Quinten, une entreprise spécialisée dans la gestion de données. « Il faut comprendre que la valorisation de la donnée est devenue essentielle à l’entreprise, quelle que soit sa taille. Prenons l’exemple d’un laboratoire pharmaceutique qui récolte des informations sur un petit nombre de personnes qui testent un produit donné. Dans ce cas, les données ne se comptent pas forcément par millions mais elles seront essentielles à la commercialisation du produit ». Autrement dit, le Big Data n’est autre que l’analyse de données collectées.

« On fait déjà depuis longtemps de la Business Intelligence qui, d'une certaine façon, se rapproche du big data », note Steria dans son étude biMA 2013, « Dans 34 % des entreprises, il n'existe pas de processus formalisé pour adresser la qualité des données et 31 % d'entre elles déclarent que les problèmes de qualité de données sont très souvent détectés de manière aléatoire. Il est important de noter que 28 % des entreprises considèrent que le niveau de qualité des données est un sujet peu transparent ». Autrement dit il ne suffit pas de collecter les données mais de s’assurer de leur fiabilité. « Bien que la qualité des données constitue un enjeu de taille de la BI, c'est précisément ce sujet qui est le plus souvent sous-estimé par les entreprises", reconnait Steria. Les acheteurs et Travel Managers vont-ils devenir les Sherlock Holmes de la donnée ?

On le sait depuis peu, mais 90% des données récoltées dans le monde, sur tous les sujets, l’ont été ces deux dernières années même si l’on a commencé à traiter "mécaniquement" de l’information depuis le début du 20ème siècle. Seule différence, aujourd’hui on a compris que la data avait une valeur et que son exploitation, ou son enrichissement, permet une meilleure commercialisation d’une idée ou d’un produit. « Dans le monde du voyage, le yield est né de l'exploitation poussée de la data », souligne Guillaume Bourdon, « En fait, on a compris que l’afflux d’information a un moment donné générait aussi une information aux conséquences économiques. On a donc su qu’il était possible, avec les données actuelles disponibles comme l’adresse IP ou tout autre données de recherche d’aller plus loin dans une marketing commerciale. Bien évidemment, plus la donnée de voyage est renseignée, plus la compagnie aérienne ou ferroviaire positionne sa grille de commercialisation ».

Multiplier la data, pourquoi faire ?

Big Data : entre «buzzword» et marketing évolué
« Il y a deux formes de datas », explique Bill Ford, CEO de General Atlantic Partners aux USA, "Celle qui est propre en interne à l'entreprise et celle qui sera collectée à l'extérieur de la société. Les deux n'ont pas la même finalité, ni la même valeur ». De plus, comme le soulignent les experts du domaine, on se heurte aux données visibles, communiquées de façon volontaire, et aux informations plus discrètes, collectées par les Google et autre Facebook voire même par les entreprises soucieuses de mieux pister leurs clients. « On fait sembler d'oublier que tout ce qui transite sur le net est exploitable par Google ou les FAI », reconnait Guillaume Bourdon qui souligne que « Tout ce qui ne circule pas sur un réseau sécurisé est collecté ». De fait, l'explosion de la data est venue du net. Mais cela ne suffirait pas aux entreprises de base pour construire une politique d'exploitation des données recueillies. N’est pas Big Brother qui veut !

« Enfin, ne confondons pas les profils voyageurs aujourd'hui très utilisés dans l'entreprise avec le big data », remarque Scott Gillespie, fondateur et CEO de Travel Analytics, aujourd'hui professeur à Harvard et au MBA de l'Université de Chicago. « La valeur de la data existe réellement quand son utilisation permet d'optimiser une approche complexe comme une politique voyages associée à un outil de ROI ». Au delà, le big data est-il alors adapté aux entreprises pour leur voyage d'affaires ? Pour Scott, la collecte d'information doit avoir une finalité qui est le plus souvent commerciale. Et il le reconnait « Elle ne saurait s'adapter à la seule gestion d'une vision économique des déplacements professionnels. Les outils de reporting sont désormais puissants et la nature même de la data est maitrisée par l'entreprise ».

Et de fait, le reporting n'a pas grand chose à voir avec le big data. Les données sont fournies de l'extérieur (fournisseur) ou de l'intérieur (consolidation) et font partie d'une information négociée entre le fournisseur et son client. « Dans tous les cas, la data n'a de valeur que si elle est comparable », souligne Scott, « Ainsi le reporting ne prendra toute sa puissance que si les propres dépenses de l'entreprise sont benchmarkées avec celles d'entreprises comparables, que ce soit sur le prix moyen d'un segment aérien ou sur une réservation hôtelière. Attention à ne pas confondre l'origine des datas avec leur exploitation ». C'est l'étape attendue que développent aujourd'hui les TMC ou les spécialistes des moyens de paiment (Air Plus, Amex...).

Big Data, on en fait quoi ?

Big Data : entre «buzzword» et marketing évolué
« Il ne faut jamais oublier qu'on exploite de la donnée pour trouver de la valeur », note Guillaume Bourdon. « Dans bien des cas, la vision est commerciale. On trouve dans la donnée toutes les stratégies commerciales et marketing pour mieux vendre et mieux pénétrer un marché. Nous sommes à la fois dans l'univers du commercial mais aussi dans la recherche de tendance. Une sorte de veille et d'analyse des besoins ». Un besoin qui fera appel dès l'an prochain à plus de 500 000 "data scientist", des professionnels rompus à la collecte et l'analyse des données. Autant le dire, il faudra cinq ou dix ans pour atteindre le plein emploi dans ce domaine... Et encore !

Dans son analyse de l'étude d'Amadeus, Hervé Couturier souligne que le Big Data améliore la relation client, l'offre de produit, la distribution, le pricing, et permet l'aide à la décision et l'exploitation. « En fait, nous sommes plus des victimes du big data que des acteurs actifs », remarque Bill Ford, « Ce sont nos dépenses d'entreprises, et la façon de les faire, qui sont collectées par les compagnies aériennes ou les groupes hôteliers. Ce sont ces habitudes qui sont analysées et qui permettent l'ajustement d'un service ou d'un prix ».

Bref, le Big Data, si souvent évoqué, n'et pas forcément destiné aux PME/PMI dans la gestion de leurs déplacements professionnels et à en croire les experts, il vaut mieux s'en protéger. « Je dis à mes clients que la traque de la bonne data est préférable à la recherche de toutes les datas, du moins pour une gestion des dépenses », conclut Bill Ford, « Pour le reste, en business comme en marketing, plus on en sait sur un client, mieux c'est pour le séduire. Ici le big data prend toute sa valeur et reste une arme terriblement efficace ».

Dossier réalisé par Marcel Lévy et Philippe Lantris aux USA
Annie Fave pour l'éditing


Pour en savoir plus, sources et contacts

• Intitulée At the Big Data Crossroads: turning towards a smarter travel experience (Au carrefour du Big Data : vers une manière plus judicieuse de vivre le voyage), l’étude réalisée par Amadeus revient sur l’émergence des nouvelles technologies et stratégies de gestion du Big Data et précise la façon dont il peut permettre d'axer véritablement le voyage sur les besoins et les préférences du voyageur, plutôt que sur les process propres à la profession. Pour télécharger cette étude (en anglais), cliquez ici www.amadeus.com/bigdata
Dans son Avis d'expert, Hervé Couturier détaille les enjeux et les perspectives du Bid Data. Son analyse se télécharge ci dessous.

Quinten est une société de conseil spécialisée dans la valorisation des données biomédicales, dans les secteurs pharmaceutique, biotechnologique et cosmétique. Elle aide les entreprises à optimiser leurs décisions stratégiques tout au long du cycle de développement et de vie de leurs produits en exploitant le plein potentiel de leurs données.
guillaume Bourdon est le co-fondateur de cette société, il peut être joint par mail : [email protected]

Steria publie son étude annuelle sur la Business Intelligence, biMA, et pose la question : "Les entreprises européennes sont-elles prêtes pour le big data ?"