Comment l’intelligence artificielle va-t-elle révolutionner le voyage d’affaires ?

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Pour beaucoup de scientifiques, l'arrivée des ordinateurs dans les entreprises, il y a déjà plus de 40 ans, a développé un vieux rêve : concevoir des machines qui pourraient penser comme un humain et agir comme lui. L'imagination débridée des auteurs de science-fiction s'est très rapidement engagée dans la brèche ouverte pour développer une image parfois surréaliste du robot que l'on disait alors proche de l'homme. Une sorte de R2D2 capable de tout faire sauf… d'utiliser ses capacités d'intelligence artificielle (I.A) pour le dépasser.

Si l'on voit aujourd'hui quelques robots dans les hôtels ou les aéroports pour accueillir les voyageurs ou des machines destinées avant tout à amuser les enfants et occuper les parents par quelques tâches ménagères, la réalité de l'intelligence artificielle pourrait bien gérer demain une grande partie des fonctions professionnelles que nous connaissons. Et contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, l'univers des voyages pourrait être l'un des premiers concernés par l'événement. L'une des premières facultés de l'intelligence artificielle est en effet de s'enrichir des expériences de chacun des voyageurs. Peut-on pour autant parler d'une révolution ? Certainement, si l'on accepte l'idée que l'optimisation de l'achat de voyages pourra se faire par des machines programmées en fonction d'une politique voyages, enrichie de tous les déplacements déjà réalisés et capables d'analyser les besoins en fonction de la situation économique de l'entreprise à un instant donné. Une sorte de copilote de l'acheteur qui saura, en temps réel, les engagements à venir, ceux déjà réalisés et les volumes potentiels de déplacements à prévoir.
Exprimé de cette façon, on a le sentiment d'entrer de plain-pied dans un roman de science-fiction et pourtant: plus d'une dizaine de petites sociétés installées dans le monde, en Californie comme en Inde, travaillent déjà à la mise en place de ces systèmes qui, dès demain, permettront à une entreprise de connaître et d'analyser l'intérêt d'un déplacement professionnel, d'en chiffrer le coût prévisionnel, et de l'organiser simplement en entrant dans l'agenda la date du prochain rendez-vous prévu à l'étranger. Car l'I.A. est déjà dans les tuyaux. Google utilise un ensemble d'algorithmes sophistiqués pour analyser sa stratégie de développement. C'est l'intelligence artificielle qui va déterminer la nature de l'affichage en fonction des zones de revenus à augmenter. Une gestion fine des achats de mots clés qui ne doit rien au hasard.

De quoi parlons-nous ?

Si l'on regarde la définition de l'intelligence artificielle telle qu'elle est détaillée par Wikipédia on peut lire : "c'est la recherche des moyens susceptibles de doter les systèmes informatiques de capacités intellectuelles comparables à celle des êtres humains". On comprend mieux la finalité d'un tel outil en pensant à sa capacité à répondre aux besoins de l'entreprise. On sait aujourd'hui que l'historique des voyages d'affaires n'est tenu à jour dans les sociétés que de façon aléatoire. Si l'on en croit les TMC, à peine 5 à 10 % des géants du CAC 40, ou des établissements de taille intermédiaire, sont à même de résumer en quelques minutes 10 années de déplacements professionnels de l'un de leurs salariés et d'en tirer une analyse logique pour le futur. L'intelligence artificielle, elle sait le faire.
Au-delà de sa capacité à intégrer dans sa mémoire un historique complet, elle est aussi capable de mettre en œuvre des algorithmes pour faire correspondre le voyage à des résultats économiques ou commerciaux. Au-delà, elle pourra même estimer l'intérêt d'un déplacement professionnel en fonction d'autres éléments intégrés dans la machine comme la nature de l'entreprise que l'on va visiter, la situation économique du pays où est installé le client mais également des éléments plus personnels comme le caractère de l'acheteur. Elle établira alors des stratégies commerciales adaptées à son interlocuteur et ce, afin d'anticiper ses attentes et d'estimer le taux potentiel de réussite.
L'intelligence artificielle va bien plus loin car elle va permettre de créer des scoring cards pour chacun des voyageurs de l'entreprise, en fonction des objectifs qu'il doit atteindre. Le développement par une jeune société californienne d'un algorithme de réussite, capable d'anticiper le déplacement professionnel, donne le ton de ce qui nous attend.
Concrètement, à quoi cela va-t-il servir ? Dans un premier temps à juger en fonction des données connues, la capacité de l'entreprise que l'on ira visiter à répondre favorablement aux propositions qui lui seront formulées. Nous entrons de plain-pied dans un mélange savant de Big data et d'intelligence artificielle. Mais cet algorithme ne suffit pas à déterminer le bien-fondé d'un déplacement professionnel. Il faudra enrichir le savoir de la base de données de différents éléments dont l'analyse se fera en temps réel par la machine pour déterminer la nature du voyage d'affaires qu'il faudra réaliser.

En fait, l'I.A. est une fusée à plusieurs étages. A la base, les datas (du big au small), à l'étage les objectifs et les résultats déjà réalisés, au sommet la finalité concrète de l'ensemble. C'est à niveau là que se situe l'I.A.

La fin des politiques voyages ?

On peut raisonnablement imaginer que l'intelligence artificielle va déterminer, en fonction du profil voyageur (c'est-à-dire la somme de tous les savoirs que l'on possède sur le salarié qui se déplace professionnellement), la meilleure solution à adopter pour le prochain voyage à réaliser. Si tant est que le déplacement est jugé nécessaire. Au-delà de la pure vision économique et logistique, c'est toute la stratégie du déplacement qui peut ainsi être suggérée par la machine. Quelles sont les arguments à exprimer à tel ou tel client ? Comment le convaincre ? Faut-il lui proposer des tarifs plus adaptés à ceux pratiqués dans son pays ? Autant d'éléments qui aujourd'hui nécessitent une veille puissante pour essayer d'établir un environnement économique et professionnel mais en aucun cas de répondre à toutes ces questions. Là où l'intelligence artificielle va montrer toute sa puissance, c'est dans sa capacité à récupérer sur des bases de données internationales, des éléments que l'entreprise ne possède pas directement. Par exemple, le taux d'endettement d'une entreprise cliente  associée à une stratégie évoquée dans la presse, pourront devenir des éléments référencés par le système et donc introduits dans la réflexion finale autour du déplacement professionnel. On entre de plain-pied dans les outils d'assistance à la décision qui deviendront de plus en plus important ces prochaines années.

Rêve ou cauchemar? Ces changements sont inéluctables. Ils existent déjà dans des sociétés américaines comme Coca Cola ou Monsanto et même dans la start-up Tesla. L'open booking, présenté comme un risque majeur pour les entreprises par les acheteurs, n'est qu'une petite composante de ce système de réflexion mondialisée. Qu'importe de savoir comment le billet a été acheté, à partir du moment où l'on sait très précisément où se trouve le voyageur, la nature de sa mission ainsi que l'environnement professionnel qu'il va rencontrer sur place. Avant même de partir, le salarié est déjà pris en compte par une fiche profil, elle-même renseignée par un outil d'intelligence artificielle.

Ne va-t-on pas trop vite en besogne ?

C'est incontestablement l'une des questions les plus complexes du système : cette vision d'un monde assisté par la machine ne va-t-elle pas mettre en péril la capacité de l'homme à réfléchir sur son environnement direct ? Si l'on regarde les chiffres publiés depuis quelques années autour des machines et de la place qu'elles prennent dans le monde du travail  (3 millions d'emplois menacés par décennie), on se rend compte que c'est l'évolution même de la réflexion professionnelle qui est aujourd'hui mise en cause. Sommes-nous toujours capables d'analyser avec justesse les décisions ou les situations que nous rencontrons ? La réponse, évidemment, est non. L'homme est, par définition, capable de se tromper. La machine, non ! Mais affirmer que l'ordinateur serait exempt de défauts est un mensonge grossier. Sa capacité à gérer beaucoup plus rapidement que nous une masse d'informations colossale ne lui donne pas pour autant la vérité. C'est ainsi que l'on voit des sortes d'I.A killer dont la seule mission est de chercher la faille dans les résultats obtenus au cours d'une analyse stratégique. C'est l'I.A appliquée à l'I.A. N'oublions jamais qu'une machine n'est que le résultat d'un savoir insufflé par l'homme à des composants électroniques. C'est sa capacité à analyser associée à la vitesse qui la rend unique.

Et demain, comment allons-nous faire ?

Il est tout naturel de se demander si cette intelligence artificielle existe déjà. À l'évidence, bon nombre d'entreprises dans l'univers des hautes technologies l'utilise. L'association du Big data, c'est-à-dire la collecte d'un grand nombre de données personnelles ou professionnelles, à l'intelligence artificielle conduit tout naturellement des sites Internet à proposer des pistes de recherche en fonction de ce qu'ils savent de vous. Il y a la fois une part de technologie dite de tracking et une part d'analyse structurelle de l'information. Au-delà, dans l'univers de l'hôtellerie, des jeunes sociétés comme Airbnb ou booking.com vont analyser en fonction des informations qu'elles possèdent sur une ville ou sur une destination, les potentiels hôteliers pour, à chaque visite d'un voyageur, optimiser l'offre en fonction des informations possédées sur ce client potentiel. Mais prudence, il ne s'agit là que du B.A B.A. de l'I.A. Une période où l'on ne fait pas la part des choses entre ce qui tient du savoir informatique et ce qui est du ressort de l'analyse des données. 
L'analyse, la vraie, va bien plus loin. Elle va permettre de croiser l'ensemble des datas que l'on possède autour du voyageur et de l'entreprise cliente pour optimiser la stratégie, analyser le nombre de déplacements nécessaires et faire en sorte que l'information qui sera communiquée au voyageur et au client permette d'atteindre un maximum de réussite commerciale ou technologique. C'est, entre autres, ce que font des entreprises comme Sales Forces dont la capacité à analyser une masse d'informations permet de déterminer des stratégies marketing adaptées en fonction des marques et de leurs clients. Plus proche de nous, une entreprise comme iAlbatros construit autour des scoring cards la politique hôtelière d'une entreprise en intégrant tout ce qui a été consommé par le voyageur, de ses choix hôteliers à ses préférences personnelles voire même en intégrant les recherches formulées par le concierge.

A MIT de Boston, les étudiants se sont lancés il y a deux ans dans la mise en place d'un ordinateur géant capable de lire en temps réel ce qui est publié par plus d'un million de médias dans le monde, en 85 langues différentes. La machine ne fait pas que stocker la data: elle l'analyse, la classe et la hiérarchise en fonction de son importance. Quand on sait qu'il faut 480 heures (soit 20 jours) pour lire tout ce qui est publié en une journée sur le web, on comprend mieux le pouvoir d'analyse de l'I.A.!

Vous l'aurez donc compris, nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux balbutiements de cette intelligence artificielle appliquée à l'ensemble de nos tâches quotidiennes. Mais un balbutiement bien plus évolué que l'on ne peut l'imaginer. Aujourd'hui, on sait que d'ici cinq ans, les outils d'aide à la décision autour du business travel seront proposés par les agences ou intégrés dans les systèmes de door to door. C'est toute la relation entre le client et son fournisseur voyage qui va ainsi être modifiée. C'est la vision engagée par 3mundi et son Lab barcelonais. La jeune TMC veut ainsi réfléchir a des applications concrètes capables de s'enrichir et de s'inspirer de tout ce que l'on sait sur le déplacement et celui qui l'exécute. Bien évidemment, il serait présomptueux de dire que l'intelligence artificielle sera demain ou à très court terme dans tous les bureaux, sur nos ordinateurs personnels ou nos smartphones. D'autant qu'en terme de développement technologique, demain ne veut pas dire grand-chose. Seule certitude, cette évolution est en marche.

Philippe Lantris