La grande bagarre des classes affaires

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Rarement sujet aura été plus sensible dans l'univers de l'aérien. Notre chroniqueur, Jean Louis Baroux, fondateur d'Air Promotion Group et auteur d'un excellent ouvrage sur le monde de l'aérien " Compagnies aériennes: la faillite du modèle" nous dévoile aujourd'hui les coulisses d'une bataille feutrée qui a pour enjeu le remplissage des classes avant.

La grande bagarre des classes affaires
Voilà bien où se situe la guerre entre les compagnies aériennes. Comment attirer et fidéliser la clientèle capable d’acheter des classes affaires que ce soit en court ou long courrier ? Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. En moyenne, le prix de vente d’un siège en classe affaires est plus de 4 fois celui de la classe économique. L’écart est encore plus important sur les courts courriers : plus de 6 fois alors que le siège est identique.

Comment dès lors d’abord ne pas perdre cette clientèle et ensuite gagner de nouveaux de clients. La difficulté est d’autant plus grande, tout au moins pour les grands transporteurs européens, qu’ils se heurtent maintenant à des obstacles considérables.

D’abord leur propre produit qui s’est en permanence dégradé non seulement par rapport à la concurrence asiatique, voire même sud américaine, mais également par rapport à ce qu’il était sur les mêmes compagnies dans le passé. En fait la baisse des coûts nécessaire à l’équilibre des transporteurs européens a été faite non pas sur les méthodes internes de management et l’amélioration de la productivité, mais bien au détriment des clients puisque les solutions apportées jusqu’à présent ont été de dégrader progressivement le produit pour le rendre moins coûteux.

Ensuite le comportement des entreprises qui acceptent de plus en plus difficilement de payer pour des « miles » lesquels vont dans la poche des salariés. Ceux-ci en effet on pendant de nombreuses années poussé les services achat à réserver en classe affaires afin de maintenir des privilèges de voyages gratuits. Or ces derniers qui étaient finalement très avantageux pour les consommateurs, mais pas les vrais payeurs seront de moins en moins un facteur de fidélisation car d’une part les employeurs sont devenus réticents à de telles pratiques et les pouvoirs publics ont une nette tendance à les considérer comme des avantages en nature et par conséquent à vouloir les taxer. L’affaire est d’autant plus dommageable pour les transporteurs que ces derniers ne provisionnent dans leurs comptes que 40 % de la valeur des « miles » attribués.

Enfin il y a la concurrence. Elle se fait durement sentir en Europe où l’inexorable dégradation du produit « affaires » a rapproché ce dernier du produit « économie » lequel est finalement très semblable à celui des transporteurs « low costs ». Ainsi comment justifier un tarif de 1498 € sur un Paris Rome en classe affaires alors que l’on peut l’obtenir pour moins de 200 € avec un transporteur « low cost » ? Certes l’effet fréquence et flexibilité des horaires peut encore jouer, mais pour combien de temps ?

Mais voilà maintenant qu’arrivent sur les marchés les compagnies « low cost » long courrier. Et on voit, comme par le passé, les transporteurs traditionnels nier la réalité, c'est-à-dire la venue inexorable de ces transporteurs. Le premier arrivé sur le marché français est Air Asia qui va opérer en vols directs entre Orly et non Charles de Gaulle et Kuala Lumpur. Or cette compagnie dispose d’une classe affaires appelée « premium » qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle d’Air France ou de Lufthansa. Je me suis plongé dans les sites internet des opérateurs sur la destination Paris – Kuala Lumpur. Les prix en classe affaires pour un vol aller le 10 mars et un retour le 20 mars 2011 sont de 3626 € pour Air France, 3533 € pour Emirates, 3648 € pour Lufthansa, 5816 € pour British Airways, mais seulement de 1518 € pour Air Asia !

Très probablement la compagnie Malaisienne gagne de l’argent avec un tel tarif et sa qualité de service n’aura rien à envier à celle des transporteurs européens. Ils ont en tous cas les mêmes sièges dits »presque plats », à l’exception de British Airways où les sièges en classe affaires sont eux totalement plats. Le « presque » fait toute la différence sur des vols très longs courriers : avec un siège plat on dort et avec un siège « presque plat » on a les pieds appuyés toute la nuit sur le repose pieds et on ne ferme pas l’œil.

Bref, jusqu’à présent le danger pour les transporteurs européens ne portait que sur les courts courriers, ce qui n’était déjà pas rien, voilà maintenant qu’ils devront s’affronter au même phénomène sur les longs courriers. Comment vont-ils réagir ? En niant la réalité comme ils l’ont fait pendant des années ? En baissant encore la qualité de leur produit pour diminuer les coûts et tenter de vendre au tarif des « low cost » comme ils le font maintenant en Europe ? Ou, le bon sens aidant, ils vont porter leur produit au niveau des meilleurs lesquels sont indubitablement les compagnies du Golfe ?

Voilà un sujet à suivre avec attention.


Jean-Louis BAROUX