La maladie du transport aérien européen

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Ne nous voilons pas la face. Le transport aérien européen traverse une mauvaise passe. Certes, la crise financière pèse sur le développement du trafic. Certes les bouleversements politiques qui ont agité le pourtour méditerranéen ont singulièrement affecté le marché touristique. Il n’empêche que le mal est sans doute plus profond. Il touche pour l’essentiel les grandes compagnies traditionnelles qui ont tant de peine à faire leur mutation. Et celle-ci est nécessaire. A l’exception de British Airways qui a fait sa cure d’austérité depuis quelques années, tous les transporteurs souffrent de surcharge de personnel et d’absence de stratégie. Et cela ne va pas s’arranger par un coup de baguette magique.

La maladie du transport aérien européen
Pendant des années, les transporteurs européens majeurs ont tous adopté un modèle d’exploitation en « hub ». C’était à la mode. Il fallait à toute force copier les américains. Avec cependant une grande nuance. Les aéroports américains ont été conçus pour une telle forme d’exploitation alors que cela n’était pas de cas des européens. Que ce soit Heathrow ou Roissy, les deux plus importantes plateformes, aucune n’est adaptée à un système de correspondance rapide. Trop de terminaux tous différents et tous trop petits, une architecture intérieure peu adaptée, des salles d’embarquement sous dimensionnées, bref rien qui puisse faciliter cette forme d’exploitation. Ce qui est vrai pour les deux grands aéroports s’applique à nombre d’autres, même si de nouveaux terminaux, plus adaptés ont vu le jour… juste au moment où le transport aérien s’interroge sur la pertinence du modèle.

La conséquence de cette politique a été double. D’abord un renchérissement des coûts d’exploitation, nécessaire pour faire fonctionner des aéroports peu adaptés avec pour corollaire un nombre de salariés disproportionné aux revenus attendus. Ensuite une dégradation inéluctable du produit. En effet, le modèle de « hub » a été, par la force des choses, appliqué à tous les passagers y compris ceux qui n’en avaient pas besoin car leur souhait était de faire du point à point. Et paradoxe formidable, ce sont justement les clients qui étaient le plus pénalisés qui ont subventionné par la cherté des billets, vendus la plupart du temps au plein tarif, les autres passagers lesquels avaient besoin des correspondances. Sur un trajet Milan New-York via Paris, la composante Milan Paris n’amène aucune recette à la compagnie. Par conséquent il faut bien compenser ce manque à gagner en « taxant » ceux qui ne sont pas en correspondance.

L’affaire aurait pu continuer si les transporteurs « low costs » ne s’étaient pas invités dans la partie. En dehors de l’aspect coût de revient proprement dit, ils proposent à leurs passagers des terminaux beaucoup plus simples, puisqu’ils sont calqués sur le strict modèle de point à point. Ce faisant, ils fournissent une prestation plus adaptée et ils n’ont pas besoin de la vendre très cher puisqu’ils n’ont pas à subventionner des passagers en correspondance.

Voilà bien où se situe le mal. La conséquence est assez évidente et elle est indépendante des capacités managériales. Les grands transporteurs traditionnels qui ont fondé leur avenir sur le concept de « compagnie globale », très défendue en son temps par Jean Cyril Spinetta, se trouvent dans la situation où leurs clients de haute contribution fuient vers la concurrence alors que leurs coûts de production ont été surchargés pour justement pouvoir écouler les passagers utilisateurs du « hub ». La situation devient d’autant plus préoccupante que, obnubilés par leur exploitation globale, les transporteurs européens ont négligé leur produit long courrier et qu’ils trouvent maintenant en face d’eux des compagnies asiatiques performantes, capables de mettre en œuvre des moyens importants et dont la qualité de produit est incomparable avec la leur.

Et les clients le savent car ils disposent à la fois de moyens électroniques sophistiqués pour faire la comparaison entre les transporteurs et de l’appui des agences de voyages qui, ne recevant plus de commissions de la part des compagnies, n’ont pour unique préoccupation que la satisfaction de leurs clients, sans chercher à promouvoir tel ou tel transporteur.

Rien d’étonnant alors à ce que tous les transporteurs européens soient en difficulté, à l’exception il faut le dire de Lufthansa et de Turkish Airlines. Les regroupements ne sont pas à long terme très profitables, même si dans une première phase, l’harmonisation des réseaux donne des résultats intéressants. Les relations forcées entre transporteurs de culture différente sont complexes et coûtent très cher au moins en réunions et en temps pour prendre les décisions.

Les contraintes sont considérables et les allègements des charges très difficiles à mettre en œuvre car les licenciements massifs sont impensables dans la conjoncture politique actuelle. Il faudra aux dirigeants de ces compagnies beaucoup d’imagination et d’obstination pour résoudre la quadrature du cercle.

Jean-Louis BAROUX