Le contrôle aérien: un scandale au quotidien

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Spécialiste du transport aérien international, secteur dans lequel il a réalisé une longue carrière, Jean-Louis Baroux peut se permettre un regard acéré voire acide sur la situation de cette filière. Pour lui, les retards de l'été ont une explication très claire: le contrôle aérien, en panne.

Le contrôle aérien: un scandale au quotidien
Pendant tout l’été nombre de vols ont été retardés, tous les voyageurs un peu fréquents ont pu en faire l’expérience. Pour la première fois, cependant, les commandants de bord, d’Air France en particulier, ont dénoncé auprès des passagers, l’attitude des contrôleurs aériens qui appliquaient une grève du zèle, cause des retards. A quoi tient ce mouvement d’humeur ?

Deux raisons à cela : la création d’un espace aérien unique européen appelé FABEC et l’obligation de pointer appliquée depuis le 7 juin aux contrôleurs.

Les contrôleurs aériens français voient comme une agression la mise en place d’un espace aérien unique européen entre l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays Bas, la Suisse et la France. Et ils ont bien raison car la création de cet espace aura pour conséquence l’unification à terme des méthodes de contrôle aérien et une beaucoup plus grande fluidité, ce qui entrainera certainement une diminution du nombre de contrôleurs. Cela est obligatoire, est-ce pour autant injuste ? Le rendement des contrôleurs aériens français est de 27 620 passagers par contrôleur et par an contre 70 300 aux Etats Unis, 91 400 en Allemagne et 109 180 au Royaume Uni. Cette performance parfaitement médiocre s’explique aisément. Pour écouler un trafic ni plus ni moins important que dans les autres pays européens équivalents en taille, nous disposons en France de 4113 contrôleurs contre 1700 en Allemagne, 1600 en Italie, 1850 en Espagne et 1650 dans le Royaume Uni. Alors dans ces conditions, on comprend bien que si le FABEC est créé, les sinécures de cette profession vont devoir disparaître…et ce n’est pas du tout du goût des bénéficiaires, car elles sont tout de même impressionnantes.

D’abord la rémunération. Elle est de 2 667 € bruts par mois pour un débutant, mais elle passe à 6 552 € par mois au bout de 10 ans et à 7 467 € mensuels au bout de 20 ans. La retraite est obligatoire à partir de 57 ans et des indemnités compensatoires sont allouées pour perte de revenu car la rémunération est composée de 50% de primes qui ne sont pas comprises dans le calcul de la retraite… il faut bien que cela soit compensé, n’est-ce pas ? Cette rémunération qui n’est certes pas négligeable, est-elle justifiée par un temps de travail conséquent ? Il n’en est rien. Le récent rapport de la Cour des Comptes a bien décortiqué le mécanisme des « clearances ». En gros, il y a trop de monde dans les salles de contrôle et comme on n’a pas besoin de garnir tous les postes de travail, le responsable de salle octroie des jours de repos supplémentaires. Finalement, alors que le nombre de jours de travail théorique est de 155 jours par an, ce qui n’est déjà pas excessif, le nombre de jour travaillés réel est de 84 jours. Rapporté au salaire mensuel en milieu de carrière, cela fait tout de même 936 € par jour et 1 067 € au bout de 20 ans. Etonnez-vous avec cela que nos contrôleurs ne veuillent pas défendre bec et ongles ces avantages, qui ne pourront bien évidemment pas être maintenus en cas d’unification du contrôle multinational.

Cerise sur le gâteau, au lieu de rester tranquillement chez eux en cas d’astreinte, ne voila t-il pas que l’administration a imposé une présence dans les centres, assortie d’un pointage par badges. C’en est trop ! Aussi pour manifester leur mauvaise humeur, sans pour autant faire une grève qui aurait été malvenue, les contrôleurs ont mis en place une grève du zèle. En clair l’application stricte de toutes les procédures, même inutiles, afin de mettre en retard autant de vols que l’on peut. Et c’est ainsi que les passagers ont, cet été encore, été pénalisés par des personnels dont justement la mission est de fluidifier le transport aérien.

Le pire dans tout cela est l’impuissance des Pouvoirs Publics. Car ce service est payant et il doit être rendu. En 1964, le droit de grève avait été supprimé aux contrôleurs aériens en échange d’avantages matériels considérables. Mais en 1984, il a été rétabli, sans pour autant que les avantages concédés auparavant ne soient remis en cause. Seul un vague service minimum doit être assuré et celui-ci est tellement flou qu’en pratique, chacun fait ce qu’il veut ! L’aveu d’impuissance a été fait par le Directeur de la DGAC , Monsieur Patrick Gandil en personne, devant la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du Territoire à l’Assemblée Nationale le 13 octobre 2009. Je cite : « Je ne suis pas fier de ce que je vous dis. Mais c’est la réalité. Je dois composer avec un certain climat social qui rend la situation assez désagréable, mais les contrôleurs rendent un service assez performant quand on considère sa réalité ».

On voit ce qu’il en est.

Jean-Louis Baroux
Fondateur d'APG (Air Promotion Group)