Le droit de déconnecter, une protection pour les voyageurs d’affaires saturés

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Fatigué, pressuré, vous avez le sentiment de ne jamais arrêter. Mais le week-end ou le soir, vous ne renoncez pas à vous connecter pour vérifier si, par hasard, un dernier mail… ? La prochaine «loi Travail» en préparation prévoit de protéger le salarié pour lui permettre de ne pas répondre à ses emails professionnels hors du temps de travail. Une avancée ? En réalité, en travaillant sur ce sujet, notre avocate spécialiste en droit social a constaté que cette protection juridique existe déjà ! Démonstration.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) modifient notre mode de vie, et surtout notre manière de travailler. Désormais, nous pouvons travailler à distance parce que nous sommes potentiellement reliés à l’entreprise (entendue au sens large) et même au monde entier, 24 heures sur 24.
 
Pas facile du coup d’empêcher le travail d’empiéter sur la vie personnelle et familiale, lorsque les frontières disparaissent de toutes façons à la faveur d’une connexion permanente, simultanément personnelle et professionnelle:
  • Même « à la maison » chacun dispose d’un ordinateur, d’une connexion internet, d’un téléphone portable, en plus de tous ces mêmes instruments fournis par l’entreprise ;
  • Même en itinérance, un smartphone permet de passer des appels, de rédiger des SMS, de lire des mails, de faire des photos avec GPS localisant l’endroit, de rédiger des documents en traitement de texte, de consulter un agenda multi fonctions, de regarder des films en streaming, de réaliser des achats, de tchatter, de bloguer, de lire des romans, de « réseauter », de jouer etc…).
Nous sommes connectés en permanence et nous aimons bien cela aussi, surtout ceux d’entre nous de la génération dite « Y ».
 
On nous annonce pourtant un prochain « droit à la déconnexion ». Pour quoi faire ?
 
Pour protéger les salariés de la surchauffe : l’hyper connexion, en particulier au travail a été repéré comme facteur de stress et de dépassement d’horaires, provocatrice du syndrome d’épuisement professionnel, communément nommé « burn out ».
 
Sera t-il inspiré des expériences allemandes d’effacement des mails reçus pendant les vacances (Daimler), de coupure des serveurs en soirée et la nuit (Volkswagen) d’inscription des heures effectuées en dehors du bureau sur le compte épargne-temps via intranet (BMW)?.
 
En France, il semble que l’on s’oriente vers l’idée d’un « droit à la déconnexion » complété par un « devoir de déconnexion ». Le rapport récemment remis à la Ministre du Travail (rapport Mettling) sur «les transformations du travail à l’ère du numérique». souligne que « savoir se déconnecter est une compétence qui se construit également à un niveau individuel mais qui a besoin d'être soutenue par l’entreprise ».
 
Ceci dit et en attendant les négociations des partenaires sociaux, que peut faire le salarié soucieux de se déconnecter avant l’implosion ?
 
Rappelons que le droit à la « santé », au « repos » et aux « loisirs » est protégé par la Constitution (Préambule de 1946), et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union  européenne qui dispose dans son article 31 que « 1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. 2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».
 
La Cour de cassation rappelle de manière constante, à travers les litiges individuels, que la sollicitation excessive du salarié par l’internet peut constituer une violation des règles relatives au repos et avoir des conséquences financières pour l’entreprise. Ainsi, par exemple :
  • Les courriels peuvent attester de la réalité du travail effectué à des heures tardives de la semaine ou le week-end, et donner lieu à paiement d’heures supplémentaires;
  • Toujours au moyen des courriels tardifs, les juges ont pu admettre l’existence d’un harcèlement professionnel ;
  • Les forfaits jours, qui ont pour objectif de ne plus comptabiliser les horaires journaliers des salariés, ont été invalidés régulièrement par la Haute juridiction lorsqu’ils étaient prévus par des accords collectifs dont les stipulations n’assuraient pas « la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ». Ainsi ont été invalidés les accords des branches Syntec-Cinov, chimie, BTP, experts-comptables..
  • Pendant un arrêt maladie, le salarié n’est pas « tenu de poursuivre une collaboration avec l'employeur » ;
  • Refuser de participer à une réunion pendant le temps de repos n’est pas fautif ;
  • Il n’existe aucune obligation pour un salarié de travailler à son domicile ou d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail.
Les entreprises et les salariés disposent donc, d’ores et déjà, de quelques instruments juridiques de base pour essayer de respecter le droit et le devoir de déconnexion.
 
Jacqueline CORTES
Avocate à la Cour
PMR-AVOCATS.com