Low Cost : des hauts et débat

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L’achat low cost, on le sait, se focalise sur la fonction produit ou service (simple) et le prix (bas). Crise aidant, le low cost est-il pour autant devenu une véritable philosophie de consommation ? Non, c’est d’abord une variable d’ajustement, répondent Karen Gombault, Directeur Général Ipsos Marketing CPG, et Olivier Lagrand Directeur des départements Ipsos Vantis et Quanti Industrie & Services Ipsos Marketing. Ils nous proposent réponses et analyses croisées sur un phénomène qui, au delà du voyage d'affaires, touche tous les services et toutes les industries.


La crise explique-t-elle principalement que les consommateurs se rabattent sur des notions d’économie ?

Karen Gombault : Fin 2011, 80% des Français estimaient que leur pouvoir d’achat avait baissé ; 65% déclarant avoir de plus en plus de mal à joindre les deux bouts (1). Il n’est donc pas étonnant que les consommateurs soient devenus si sensibles aux prix des produits courants, alimentaire en tête. Parallèlement, le Web renforce la volonté de consommer malin. 51% des Français (69% des jeunes parents) déclarent y passer beaucoup de temps pour dénicher les bonnes affaires (2). Mais c’est une tendance observé depuis quelques années, donc ce n’est pas juste la crise, mais un changement profond de comportement.

Olivier Lagrand : La crise a exacerbé les comportements d’ajustement : on n’hésite plus à se détourner du superflu au profit d’offres simples et significativement moins chères. Cela est facilité par les sites comparateurs qui risquent toutefois de résumer un produit à un prix et quelques attributs de qualité parfois caricaturaux. Certains acteurs publics contribuent à cette évolution, notamment à travers la multiplication des étiquettes informationnelles imposées par l’UE, qui va prochainement s’étendre aux pneumatiques (indication de la performance de chaque modèle en termes de freinage, bruit et consommation). On peut voir cette signalétique soit comme une menace pour les annonceurs si les marques low cost apparaissent aussi performantes sur l’essentiel, ou comme l’opportunité de démontrer la supériorité du premium sur ce qui compte réellement. Dans tous les cas, la place laissée aux composantes périphériques de l’offre se réduit. Les marques doivent s’adapter pour maintenir leur compétitivité, soit en justifiant et communicant mieux leurs qualités, soit en développant une riposte tarifaire adaptée.

Comment justifier le positionnement prix ? En apportant les preuves de la valeur ajoutée ?

Karen Gombault : Je confirme. En réaction à la conjoncture et aux assauts du low cost, les marques cherchent à se différencier pour générer plus de valeur et pouvoir assurer un développement. Elles ont surtout choisi de défendre les extrémités de leur gamme. Je pense aux boulangeries Paul ou à Mc Donald’s qui proposent des gammes étendues avec des produits basiques à des prix abordables, aux recettes très élaborées. Dans un tel contexte, le milieu de gamme tend peu à peu à disparaître puisqu’il est difficile d’apporter une réelle valeur ajoutée sur ce segment de gamme (justifier un prix supérieur au low cost pour une qualité intermédiaire). En revanche, le premium se développe : sa qualité, son innovation ou service supérieurs justifiant son prix élevé. Avec le low cost s’est en effet imposée l’idée d’une « juste valeur » pour chaque produit. Ce principe s’est retourné contre les marques les plus gourmandes en matière de prix ou de marge. Celles-ci doivent désormais justifier leur positionnement prix en apportant les preuves de leur valeur ajoutée. Ce sont le marketing et la performance = l’expérience du produit ou service qui doivent être redéfinis. D’un côté, le marketing doit apporter des promesses permettant de se différencier des autres produits (savoir-faire, valeur d’aspiration, expérience supérieure…). De l’autre, il est essentiel que ces promesses se vérifient par la performance du produit (design, longévité, goût…).

Quels sont les exemples de nouvelles lignes de produits ou d’ajouts de prestations pour mieux fidéliser ?

Karen Gombault : Vers le premium, il y a celui de Nestlé Grand Chocolat, une ligne de chocolat premium innovant aux nombreuses déclinaisons (pâte d’amande, nougat…). Ou l’extension de la gamme Nestlé Dessert (praliné, caramel…). Le groupe Kronenbourg a lancé diverses lignes de bière comme la 1664 Millésime, pour se positionner plus fermement sur le créneau haut de gamme. Nespresso a choisi d’étoffer ses services en proposant, par exemple, la livraison du café par coursier sous 2 h ! L’Oréal a lancé diverses gammes de produits de soins quotidiens accessibles : les soins Essentiels Garnier ou Vichy Essentiels. Certaines marques vont plus loin et créent des lignes ou marques filles de gamme inférieure. Exemple : Procter & Gamble avec Simply Dry, couches 20% moins chères que Pampers. Là, l’idée est de baisser le niveau de prix moyen grâce à la création de lignes de produits et services d’entrée de gamme, afin de s’ouvrir aux habitués du discount ou de ne pas se couper des ménages modestes.

Olivier Lagrand : En dehors de la grande consommation, mon sentiment est que la riposte s’organise effectivement sur les bas prix, mais, sur la dimension qualité, plus sur la démonstration que sur la « premiumisation » à outrance. Il faut donc identifier les quelques composantes de l’offre qui feront vraiment la différence et concentrer la communication sur ces attributs clefs, rationnels ou émotionnels. Il s’agit en fait de tenir le « contrat de confiance » établi entre les marques et les consommateurs. Les marques continuent en effet d’attirer par la qualité de leurs produits (65% des Français y sont sensibles, + 5 pts vs 2008). L’autre stratégie consiste à occuper le terrain du low cost, avec évidemment le risque de dégrader le cœur de business. Il faut alors trouver le bon mix qui permettra de contrer la menace de manière dosée, d’où des stratégies de marque et de distribution différenciées, comme dans la téléphonie mobile avec les lancements de Sosh, B&You ou Red pour contrer l’entrée de Freemobile ; Dacia dans l’automobile ; Transavia dans l’aérien, etc… Les offres elles-mêmes sont construites pour que le compromis apparaisse clairement à des consommateurs qui doivent renoncer à des composantes fortes : absence de réseau physique, compromis sur le confort, etc... Dans les deux cas, et pour confirmer ce qu’observe Karen, le milieu de gamme est particulièrement challengé par le low cost, surtout si ce dernier est en mesure de combler certains vides dans son offre avec des options bien ciblées.

Consommateurs pas si modestes que ça. Qui au juste consomme low cost ?

Karen Gombault : Les achats dans les enseignes low cost sont plus le fait des ménages modestes. Elles constituent une réponse adaptée à leurs contraintes budgétaires fortes. Les foyers les plus modestes constituent un enjeu croissant pour les entreprises mais il ne faudrait pas imaginer pour autant que le low cost soit uniquement réservé aux budgets serrés. Tout le monde veut faire des économies. En réalité, ce sont les besoins et les motifs qui diffèrent. Le hard discount alimentaire est fréquenté par des ménages modestes comme principal type d’enseigne, et comme magasin complémentaire par les foyers plus aisés.

Olivier Lagrand : Dans les services, les clients du low cost ont en général des profils plus experts et éduqués. Ils peuvent se passer d’un service et d’un accompagnement parfois coûteux. On va ainsi trouver des technophiles chez Free, des CSP+ dans l’aérien, des cadres dans la banque directe et l’assurance directe : chez Monabanq, ils représentent ainsi pas moins de 57% des clients ! C’est finalement surtout une question de valorisation du contenu et de recherche de simplicité plutôt qu’un pur problème économique.

Au plus fort de la crise, le low cost semble parvenu à une PDM (part de Marché) pallier. La pénétration des enseignes de Hard Discount alimentaire a ainsi chuté, passant de 72,2% en 2009 à 70,5% l’an dernier, soit 500 000 clients de moins en deux ans. Comment expliquer ce repli ?

Karen Gombault : Côté prix, la forte inflation chez les hard discounters alimentaires (+ 4,2% en un an vs + 1,7% en hyper) tend à réduire les écarts de prix avec les enseignes classiques. Surtout, les distributeurs traditionnels se sont lancés dans une guerre des prix à coups de promotions et de produits accessibles. Système U et Leclerc ont ainsi relooké et augmenté le nombre de références de leurs MDD «BienVu» et «Marque Repère». Carrefour a lancé «Carrefour Discount» et Auchan son concept de magasins low cost «Prixbas». Boulanger et Darty ont accru l’offre des «Essentiels B» et de «Proline», etc. Tout cela a été facilité par la loi de Modernisation de l’Economie (LME) qui a renforcé le pouvoir de négociation des distributeurs, contribuant à faire baisser les prix. La LME a également permis à la grande distribution de se réimplanter au plus près de la population (centres urbains). Après les prix, elle s’approprie ainsi les autres atouts plébiscités par les clients du hard discount : proximité et taille réduite des magasins.

Comment les marques vous sollicitent aujourd’hui sur ce type de problématique ?

Karen Gombault: Pour les clients grande conso, nous testons plutôt des offres dans le moyen ou le haut de gamme. L’influence de l’offre low cost se fait sentir, notamment dans la façon dont les consommateurs réagissent face aux propositions et surtout au prix proposé. De plus, nous retrouvons dans nos problématiques beaucoup de démarches quali/quanti, et un retour aux questions fondamentales sur la compréhension des marchés et des comportements. Les industriels ont besoin de faire une mise à plat, un reset, de revenir aux basiques avant de pouvoir à nouveau innover.

Olivier Lagrand : J’ai l’impression que nous testons moins d’innovations superficielles, de services improbables. On se recentre un peu plus sur le cœur du débat avec des clients qui nous disent : «Voilà, dans ce package là, il y a ça. Combien ça vaut du point de vue du client ? Qu’est-ce qui est réellement important ? Qu’est-ce que je laisse à l’intérieur et qu’est-ce que je sors ?» C’est toujours le principe d’identifier ce qui crée de la valeur. La plupart des tests que nous faisons aujourd’hui sont dans cette perspective. Des études de type trade-off où nous allons justement chercher à situer le compromis optimal en termes de prix et de contenu. Et j’ajouterais que l’on est loin du «moins disant». On peut toujours se faire plaisir !
1. Le pouvoir d’achat vu par les Français à l’approche de 2012, Ipsos Marketing pour LSA, déc. 2011
2. Observatoire des 4500, vague 2010
3. Enquêtes LSA/Ipsos IECM, 2011
4. Observatoire 4500, 2010


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