Match Taxis/VTC: l’arbitre va-t-il encore siffler penalty ?

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Yves Weisselberger, Président de SnapCar et bien connu des professionnels du voyage d'affaires à l'époque où il dirigeait KDS, s'interroge ici sur l'avenir de la relation taxis/VTC. C'est cette semaine que le député Thomas Thévenoud devrait rendre son texte final sur les propositions visant à apaiser le conflit, risquant de décevoir les deux parties sans pour autant régler le problème. Yves Weisselberger nous livre ici son analyse sur un sujet complexe.

“La cohérence est le dernier refuge de ceux qui manquent d’imagination”
Citation d’Oscar Wilde. Parfois source d’inspiration de nos gouvernants.


En Février dernier, suite à une double grève des taxis avec lancer d’œufs, pneus crevés et tutti quanti, le gouvernement nomme un Médiateur afin d’apaiser les tensions entre taxis et VTCs: le député Thomas Thévenoud. J’ai vécu avant et après toutes les étapes du conflit. J’ai donc eu tout loisir d’apprécier la stratégie du suppositoire, avec une compréhension d’autant plus fine que nous - VTC - sommes du côté du patient et non du médecin.

Le Médiateur exerce sa mission et produit mi-avril un rapport avec 30 Propositions, sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer ici. Où en sommes-nous depuis?

Comme il s’agit à l’évidence d’un problème plus urgent que la transition énergétique ou le Pacte de Compétitivité, on fait l’impossible et l’agenda parlementaire libère un miraculeux créneau permettant l’adoption en urgence d’une loi dès la session parlementaire en cours, mi-juillet. Sans parvenir toutefois à égaler la merveilleuse date du 29 Décembre 2013, qui vît la signature de l’infâme décret des 15 Minutes. Ce décret fût, il est vrai, suspendu lors d’une séance homérique en Conseil d’Etat que je racontai de l’intérieur.

Fine mouche, Thomas Thévenoud nous présente cette loi à venir quelques jours avant la grève des taxis du 11 Juin, mais sans nous en montrer le texte: “Si le texte ne vous convient pas, vous pourrez convaincre des Députés de l’amender”. Ben voyons !

Il nous en donne néanmoins le contenu. La loi contient 5 articles sur les taxis et 5 articles sur les VTC. Pour les taxis, Open Data (nous allons y revenir), couleur unique et futures licences non cessibles. Pour les VTC, un grand nombre d’obligations nouvelles qu’il serait trop long de décrire exhaustivement dans le cadre de cet article, les principales étant:

● Interdiction de ce que la loi appellerait la “maraude électronique”, c’est à dire la capacité pour les clients de localiser précisément les véhicules
● Contrôles assurances et capacités financières des sociétés de VTC
● Article orwellien sur les types de facturation autorisés: forfait OK, à la minute OK, à la minute et au kilomètre pas OK. On voit que les parlementaires seront amenés à adresser des questions stratégiques
● Dissolution de l’organisme d’Atout France en charge de délivrer les autorisations pour les entreprises de VTC et direction la Préfecture de Police de Paris qui - on s’en souvient - plaidait contre les VTC dans la procédure en Conseil d’Etat évoquée plus haut.
● Interdiction du co-voiturage professionnel et des sociétés facilitant la mise en relation, avec sanctions très fortes (bref article anti Uber-Pop).

A ce stade, vous vous dites sans doute qu’après les 5 décrets pris en 2013 qui ne facilitaient pas non plus la vie de SnapCar et de ses confrères, la coupe est pleine. Le Médiateur indique rechercher un juste équilibre et nous voyons bien que le point d’équilibre en question est situé à la limite de notre seuil de tolérance à la douleur.

Les taxis ont néanmoins fait grève le 11 Juin, se déclarant insatisfaits. Le mouvement du 11 Juin est d’ailleurs un peu plus compliqué à décoder que les précédents. Les taxis français se sont d’abord joints à une initiative européenne. Dans un second temps, à la thématique habituelle anti-VTC s’est ajoutée à l’initiative des Compagnies de Radio Taxis une résistance à l’Open Data, un des articles prévus dans la loi Thévenoud.

L’idée de la proposition “Open Data” est de géo-localiser l’ensemble des taxis et de mettre cette information à la disposition d’applications qui souhaiteraient offrir des services de réservation électronique. Les taxis entreraient de plain pied dans l’univers des nouvelles technologies, la seule voie pour être à niveau avec les solutions eVTC.
Simultanément, on crée un vrai univers concurrentiel en faisant exploser le monopole de G7 et Taxis Bleus - mêmes actionnaires - sur le taxi parisien. Ces derniers ont rapidement repris en main la situation en s’appuyant sur une intersyndicale à leur botte, comme expliqué dans cette tribune.

Le soir du 11 Juin, les syndicats après avoir été longuement reçus par les Services du Premier Ministre, déclarent avoir obtenus notamment les éléments suivants:
● L’Open Data ne sera pas obligatoire
● Couleur unique des taxis non obligatoire
● Rédaction de la loi modifiée (tiens, nous on l’avait pas vue la rédaction en question)
● Poursuite du gel des immatriculations de sociétés VTC
● Renforcement des sanctions
Ca ne s’arrête pas là. Les taxis exigent qu’entre deux courses, un VTC soit contraint de rentrer à son Siège social. Il n’est pas encore acquis qu’ils aient satisfaction sur ce point mais seul le texte final de la loi permettra d’en juger.

Nous en saurons plus cette semaine, puisque Thomas Thévenoud prévoit de rendre public son texte. Quels sont les grands enjeux des décisions qui vont être prises?

1) D’ores et déjà on peut craindre que l’opportunité d’une vraie réforme ne soit à nouveau manquée. Si le rapport montrait une bonne compréhension du sujet, la loi semble vouloir reculer sur la modernisation des taxis et en revanche introduire davantage de freins au développement des eVTC. Pro(ré)gressant donc à l’ inverse du sens de l’histoire. Au nom d’une hypothétique paix sociale, une loi sans souffle viserait davantage à perpétuer le passé qu’à préparer l’avenir.

2) A quelle échéance les enregistrements de nouveaux chauffeurs seront-ils libérés ? Quelles seront les conditions exactes d’installation appliquées à ceux qui exercent le métier de chauffeur VTC? Le besoin en véhicules est considérable compte tenu de la croissance exponentielle du marché* (+ de 10% mensuels chez SnapCar). Va-t-on bloquer le système en asséchant l’offre?

3) Enfin il faudra se méfier de la rédaction de l’article traitant de l’interdiction de stationner entre deux courses pour les VTC. Ce point ne fait pas la une de la presse mais peut à lui tout seul rendre l’exploitation de nos entreprises quasi impossible.

Voilà un sujet à propos duquel le Gouvernement Valls a l’opportunité soit de donner la priorité à l’emploi et au développement économique, soit de se soumettre aux lobbies et au corporatisme.

Yves Weisselberger, Président de SnapCar

* On notera d’ailleurs à quel point les taxis se tirent une balle dans le pied en refusant tout relâchement de leur numerus clausus. La nature ayant horreur du vide, d’autres se chargent de satisfaire une demande qui selon eux n’existe pas.