Vers une bulle de la construction aéronautique ?

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Le salon du Bourget est propice aux annonces de commandes et c’est à qui, entre les deux grands constructeurs que sont Boeing et Airbus, fera le meilleur score en nombre d’appareils et en valeur de ces appareils. Et on ne peut manquer d’être étonné par les volumes en jeu.

Vers une bulle de la construction aéronautique ?
En bref, chacun des deux principaux protagonistes a annoncé des ordres à hauteur de plus de 400 appareils : 466 pour Airbus et 442 pour Boeing. En ajoutant les 365 avions vendus pas Embraer, les 173 écoulés par ATR et les pauvres 14 achetés chez Bombardier, on arrive à un total de 1 460 appareils commandés chez les principaux avionneurs en moins d’une semaine, 4 jours pour être précis. Je me suis livré à un petit calcul simple. Sachant que les courts courriers font en moyenne 6 étapes par jour et que les longs courriers en font 2, en prenant en compte les capacités des appareils commandés, on arrive à un ajout de sièges offerts de plus de 383 millions en base annuelle, soit 11% du total de sièges offerts actuellement en ligne, le tout en une semaine.

Certes on sait bien que les commandes sont retenues pour être annoncées à grand renfort de trompe lors des grands salons internationaux, certes également, nombre d’avions commandés ne seront jamais livrés à leurs clients, soit parce que ces derniers ont disparu avant la date de livraison, soit parce qu’ils sont amenés à y renoncer. Il n’empêche, on ne peut qu’être frappés par cette boulimie d’achats.

Alors, bien sûr, on ne sait rien du fond des transactions. Entre l’effet d’annonce et la signature réelle du contrat, il s’écoule fréquemment plusieurs mois. Or les dépôts de garantie ne sont payés qu’à la signature réelle, ce qui fait qu’une compagnie peut faire un effet d’annonce sans grand risque. On ne connait pas non plus le montant réellement payé. En fait personne, sauf les protagonistes ne sait ce que coûte réellement un avion. Les chiffres publiés, et encore avec parcimonie, ne portent que sur la «valeur catalogue» dont on est au moins certain qu’elle ne sera jamais réglée. Selon les estimations les plus fiables, le prix réellement payé correspond de 50% à 60% à la valeur annoncée. Et puis il y a tous les montages financiers destinés pour la plupart à faire de l’optimisation fiscale qui contribuent - et pas qu’un peu - au financement des appareils. On est finalement dans l’opacité la plus totale. Et cela arrange tout le monde.

Il reste qu’on peut se demander comment toutes ces commandes, forcément suivies un jour ou l’autre par la livraison des appareils, pourront être absorbées par le marché. Si durant un seul salon, certes le plus important, on peut rajouter 11% de la capacité du transport aérien, cela signifie que sur un an on doit friser les 20%. Alors, bien sûr, il y a le remplacement des appareils anciens, mais le marché de l’occasion est tout de même très dynamique et les avions construits depuis une bonne vingtaine d’années ont une durée de vie bien supérieure à celle de leurs prédécesseurs. La course au modernisme a été longtemps tirée par une prévision d’augmentation continue des prix du pétrole, ce qui justifiait de mettre au rancart les appareils dès qu’ils pouvaient être remplacés par de nouveaux avions faisant une économie de l’ordre de 15% de consommation. Ceci permettait grosso modo de soutenir les frais financiers considérables de l’acquisition des flottes nouvelles.

Mais que se passerait-il si le prix du pétrole devenait simplement stable ? D’ici à 2016, les Etats Unis, jusque-là les plus gros importateurs de produits pétroliers, deviendront exportateurs. Les nouvelles ressources récemment découvertes dans les schistes bitumineux sont relativement faciles et peu onéreuses à exploiter. Et si le prix du pétrole se mettait à baisser ? Beaucoup des appareils actuellement en service n’auraient pas besoin d’être remplacés. Ils sont amortis et leur coût d’exploitation reste raisonnable à prix du carburant constant. Pourquoi alors les remplacer ? Cela ne fera certainement pas l’affaire des banquiers et autres institutions financières pour lesquels le transport aérien est un marché juteux.

La croissance du trafic est de l’ordre de 5% par an avec une grande constance. Cela signifie qu’il double tous les 12 ans et c’est déjà considérable … à condition que les infrastructures aéroportuaires veuillent bien suivre. Comment avec 5% de croissance absorber un surplus d’offre de transport de 15% à 20% ?

A un moment où à un autre, la bulle risque de se dégonfler. Ce n’est certes pas souhaitable et j’espère bien avoir tort dans mon analyse.

Jean-Louis BAROUX