Que se passerait-il si les voyages d’affaires s’arrêtaient ? (2/3) – No travel, business as usual?

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Que se passerait-il si les voyages d'affaires s'arrêtaient ? (2/3) - No travel, business as usual?
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Que se passerait-il si les voyages d'affaires s'arrêtaient ? La question est un peu provocatrice. Mais elle apparaît, malheureusement, moins fantaisiste aujourd'hui qu'elle ne l'aurait été il y a une dizaine de mois. Outre la mort d'une industrie, l'arrêt du BT signerait la fin d'un puissant levier de croissance économique.

En septembre dernier, le groupe Dubreuil Aéro (propriétaire de French Bee et Air Caraïbes) annonçait l'entrée à son capital de la CMA-CGM à hauteur de 30 %. Ce rapprochement entre le transporteur aérien et le leader français du transport maritime de marchandises (et l'un des champions mondiaux), apparaît comme un prolongement de la création de Hi-Line, en 2017, la filiale fret de Dubreuil. Et son objectif est de créer des complémentarités - un Europe-Asie prend quelque 24 heures en avion, quand il faut 42 jours par bateau.

A cette époque, Mathieu Munos, DG d’Air Caraïbes nous disait : "La crise sanitaire valide notre stratégie". De fait, alors que l'Iata (Association internationale du transport aérien) table sur une chute de près de 70 % du transport de passagers en 2020, elle n'estime cette baisse, pour le fret, "que" d'une trentaine de pourcents. Et encore cette chute s'explique-t-elle bien moins par une baisse de la demande que par l'arrêt des vols passagers, le fret aérien s'effectuant désormais, presqu'exclusivement, dans des avions mixtes (la soute contenant 70 % de marchandises pour 30 % de bagages passagers comme, par exemple, pour les A350-900 et A350-1000).

Trompe-l'œil

Alors qu'on en est à se demander, par hypothèse, ce qui se passerait si le BT s'arrêtait, cette actualité du transporteur aérien français, en pleine glaciation du voyage d'affaires, ne pouvait que nous interpeler. Alors quoi ? Ce serait donc ça, l'arrêt du BT : plus de voyageurs d'affaires mais un commerce international qui continuerait, imperturbablement, sa marche en avant ? Une perspective d'autant plus crédible, en apparence, que le transport maritime, qui représente 90 % des échanges internationaux de biens, connaîtra une baisse en 2020 qui ne devrait pas dépasser les 5 %.

On a vu, dans le premier article de cette série, que le BT a généré 1.650 milliards US$ de revenus en 2019... Mais en dehors de cette manne sui generis, est-ce à dire que l'arrêt du BT n'impacterait pas les échanges ? La question est abyssale puisque le BT est bien sûr un moyen, dont la fin ultime est la signature de contrats commerciaux...

Cet apparent manque de corrélation entre le volume du BT et l'intensité des échanges et donc la création de richesses est évidemment un trompe-l'œil. Il y a un décalage dans le temps entre le voyage d'un collaborateur et l'impact qu'il produit sur son entreprise et, par suite, l'économie en général. Quel décalage ? Le directeur commercial d'un groupe industriel français nous rapporte : "J'ai le cas d'un énorme contrat décroché aux Etats-Unis au bout d'un seul et unique voyage de 48 heures et celui d'un autre signé après 10 ans de déplacements à "travailler" des prospects saoudiens".

Empirisme

L'équation étant impossible à élaborer, il faut en passer par l'étude empirique. C'est ce qu'a fait, en 2013, l'Oxford Economics and Tourism economics en s'intéressant à l'impact du BT sur les entreprises américaines. Il en est ressorti que pour chaque dollar dépensé dans un voyage d'affaires, une entreprise réalise 12,50 dollars de revenus supplémentaires. Si, en considérant une rentabilité identique dans le reste du monde, on applique ce rapport aux dépenses BT au niveau mondial en 2019 (1.650 milliard US$, donc), on obtient un résultat vertigineux : 20.650 milliards US$ - pour un PIB mondial, cette année-là, de 87.752 milliards US$ !

En outre, l'étude a établi que "l'entreprise moyenne aux États-Unis perdrait 17 % de ses bénéfices la première année où les voyages d'affaires seraient supprimés". Et qu'il faudrait "plus de trois ans pour que les bénéfices se rétablissent". Empirisme pour empirisme, cette année quasi blanche en termes de BT, expérience grandeur nature, pourra donner du grain à moudre aux chercheurs s'intéressant à la question.

Zoom, Team, etc

Mais il serait aberrant d'envisager la fin du BT sans la mettre en perspective avec l'explosion de l'utilisation des outils de communication à distance qu'elle impliquerait. Durant le printemps dernier, les +1.000 % de vidéoconférences Teams entre février et mars, que Microsoft a annoncé dans un tweet triomphal, ont marqué les esprits. De même que la multiplication par 5 des clients payants de Zoom (des entreprises d'au moins 10 salariés) entre mars 2019 et mars 2020. On pourrait poursuivre la litanie des croissances folles avec Meet, Skype et autres Bluejeans...

Tout porte à croire, cependant, que ces centaines de millions de vidéoconférences supplémentaires soient, dans leur immense majorité, internes aux entreprises - à notre connaissance, la qualification de ces communications est inconnue (ce qui restreint l'analyse mais rassure sur leur caractère confidentiel !). Mais les mœurs ne demandent qu'à changer et le business a horreur du vide : en cas de "no go" du BT, Zoom et consorts auraient vite fait de se substituer aux billets d'avion et nuitée d'hôtel. Sauf que...

Sauf que le voyage d'affaires ne se résume pas à une discussion formelle entre un fournisseur et un client qui cherchent un terrain d'entente qu'ils traduiront par la signature d'un contrat. Le voyage d'affaires, c'est aussi une rencontre, un échange, un transfert de connaissances et de savoir-faire qui, lui aussi, est chiffrable... et considérable. C'est ce que nous verrons dans le 3ème volet de cette série.

Les autres articles de cette série :