Accor : le « show Bazin » ou les Dix commandements de l’hospitalité

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Sébastien Bazin (à gauche), CEO d'Accor, au Global Meeting Exchange 2023.

En conclusion du Global Meeting Exchange du groupe Accor, qui s'est tenu au Pullman Montparnasse, le CEO du groupe hôtelier s'est exprimé devant les quelque 300 participants... Toujours avec un certain sens de l'entertainment.

Il n'a pas recours aux déambulations striant la scène de la cour au jardin. On est très loin aussi de la casquette de baseball vissée sur le crâne. Son rôle de patron charismatique, Sébastien Bazin l'endosse avec un style moins "show-off" mais pas moins efficace.

Il a pour lui son exercice à la tête du groupe depuis 10 ans qu'il le dirige. De l'asset light (s'inscrivant, certes, dans une tendance générale dans l'hôtellerie) à son acquisition de marques tous azimuts (de 10 en 2013 à 46 dix ans plus tard), en passant par une ascension de l'Amérique du Nord par la face "premium" ou sa réorganisation en profondeur de son entreprise l'an dernier (rien moins qu'une scission en deux entités, notamment), le palmarès en impose.

Alors forcément, quand il s'exprime, notamment pour développer sa vision de l'industrie, on l'écoute. Ce n'est pas tout : ce statut de patron visionnaire et successful se conjugue à une volubilité faisant la part belle à l'humour et à une liberté de parole qu'on ne saurait résumer mieux que cette expression de journaliste : Sébastien Bazin est un bon client. Dès lors, quand il s'exprime sur scène, on n'est pas loin du prophète s'adressant à ses disciples. Recension sous forme de Tables de la Loi...

Les bonnes personnes au bon poste tu placeras

Si Sébastien Bazin décerne un satisfecit à son groupe en termes sociaux, d'inclusion et de diversité, il reconnaît que sur les questions environnementales, il aurait pu faire mieux ces dix dernières années. Et le CEO d'en prendre sa part de responsabilité. Conscient du chemin à parcourir en la matière, "nous nous sommes dit que nous avions besoin d'une incarnation, d'une personne. d'un visage, d'une personnalité. Nous avons besoin de quelqu'un de fort qui connaît le sujet (...) Je me suis tourné vers le gouvernement français et j'ai proposé cette mission à Brune Poirson. Elle a l'expertise, la volonté d'être en pointe sur ces sujets (...) Elle est l'élément qui manquait à notre architecture."

Les bons chiffres tu choisiras

"Les émissions carbone des hôtels Accor, je vais vous en donner le chiffre : 7,3 millions de tonnes. Mais je vous aurais dit 2,5 ou 10 millions que ça n'aurait pas eu plus de signification pour vous. Alors j'ai dit : 'arrêtez de me parler de ces 7,3 millions. Donnez- moi plutôt l'outil pour me donner les émissions par marque (...), par destination'. Maintenant je peux vous dire qu'un Rafles émet 8 fois plus qu'un Ibis". 

Par la RSE tu survivras

Pour vendre une chambre d'hôtel, considère Sébastien Bazin, les trois éléments essentiels sont le prix, la localisation et la marque. Mais "il y en a quatrième qui va peut-être devenir le premier. Qu'est-ce que vous faites en termes de valeurs, de préservation, d'engagement ? Si vous n'avez pas la valeur RSE, les gens n'iront tout simplement pas dans votre hôtel. Et vos employés ne feront pas confiance à votre marque, ne voudront pas travailler pour elle si ces valeurs ne sont pas explicitement énoncées et appliquées."

Ta tirelire tu casseras

Concernant les investissements consentis par Accor pour le retour sur les rails de l'Orient-Express (en 2025) et la construction de deux voiliers géants zéro émission (opérationnels en 2026), Sébastien Bazin choisit d'en parler avec humour, déclenchant l'hilarité de l'auditoire : "Le train va nous coûter une fortune. Mais c'est un pur bijou. Ca va nous coûter 5 millions par cabine. Quant au bateau... Le train était une demi erreur, le bateau c'est une erreur complète ! Il va nous coûter 8 millions par cabine". Il précisera que son choix a été de diminuer le nombre de cabines prévu initialement : elles seront finalement 54 par bateau (alors que les navires auraient pu en contenir 130). Mais quelles cabines ! Leur surface moyenne est de 70 m², et la plus grande en compte... 1.500.

Pour concevoir ton hôtel, la clientèle locale tu viseras 

Depuis 45 ans, estime Sébastien Bazin, la conception des hôtels s'est faite en fonction des attentes supposées des clients. Mais il y a 6 ans, le CEO a eu une sorte d'épiphanie qu'il décline ainsi : "Inversez simplement votre façon de penser. Presque à 180 degrés. Tout ce que nous allons construire dans l'avenir - marque, hôtels, nouveaux postes - doit être conçu et programmé pour la communauté locale. (...) Si vous faites un superbe travail pour séduire les personnes habitant à 5 minutes de l'hôtel, ne vous inquiétez pas pour le voyageur : il saura que l'endroit en vaut la peine, qu'il est à la mode, que la cuisine est de qualité... Il choisira cet endroit parce qu'il s'y passe des choses, parce que c'est intéressant, parce qu'il va probablement y rencontrer plus de personnes originaires de la communauté locale qu'ailleurs."

Le loisir et le corpo tu ne sépareras point

Ce commandement est lié au précédent. Car ces populations locales qui sont autant de clients sont en partie constituées de ces employés qui ont déserté les bureaux les vendredi et lundi : "Ces gens partent deux week-ends par mois, pour des séjours de trois ou quatre nuits, à quelques heures de route de chez eux... et ils utilisent les possibilités offertes pour travailler à distance. C'est énorme, et c'est une activité fidèle, répétée, sans intermédiaire. Donc pour nous, c'est une bénédiction."

Pour le lit tu ne t'inquiéteras point

"Pendant des années, nous avons considéré le restaurant et le bar comme un mal nécessaire. Même le responsable de l'hospitalité avait intégré que c'était subalterne. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est penser exactement l'inverse. Car ce qui compte, c'est le food & beverage et l'accueil : le lobby, le bar, les gens qu'on peut rencontrer... La chambre devient accessoire - un bon lit, une douche, au prix que vous êtes prêt à payer... Mais commencez par la partie amusante ("fun part"), et ne vous inquiétez pas pour le lit."

Là où est la croissance tu iras

Quand j'ai commencé il y a 10 ans, Accor était à presque 85% centré sur l'Europe et à 90% dans les gammes "éco" et "midscale". Cette situation de très forte densité, de leadership en Europe avec Ibis, Novotel et Mercure a duré des décennies et c'était très bien (...) Mais on ne pouvait pas rester qu'en Europe, car la croissance est ailleurs. Elle est au Moyen-Orient, en Asie, dans des pays d'Afrique aussi. Alors décidé d'ller à l'international et d'acquérir les marques manquantes. Celles du premium, du luxe et du lifestyle, auxquelles nous n'avions quasiment pas participé. J'ai commencé avec 10 marques, maintenant elles sont 46.. Le résultat de 14 milliards d'achats et de ventes.