Une stratégie MICE ? Y a du boulot !

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Une stratégie MICE ? Y a du boulot !
De gauche à droite : Cécile Benoit-Cattin (Accor), Cécile Drévillon (acheteuse) et Arnaud Katz (Kactus).

Une table-ronde de la Masterclass GBTA nous a interpelé. Le MICE y apparaît comme stratégique... Et immature.

Concernant le MICE, le contexte est le suivant : un marché tendu avec la Coupe du Monde (CDM) de rugby et les JO 2024, notamment, et une augmentation significative du nombre d’événements d'entreprise, internes (nécessité de se rencontrer, de transmettre une culture d'entreprise, d’attirer les talents dans un contexte post-Covid) et externes (les clients aussi sont massivement passés au télétravail et au flexoffice, les conférences et les salons sont d’autant plus importants pour les rencontrer). Bref : une dolce vita côté fournisseurs.

Tendances

Cécile Drévillon, directrice des événements d’un gros laboratoire pharmaceutique, confirme que, depuis la fin de la pandémie, il y a multiplication des rendez-vous et “célébrations” prétextes à réunir les collaborateurs sur des formats assez petits à l’échelle de la filiale ou d’un ou de quelques départements.

Même dans son industrie où, notamment pour des raisons réglementaires (limitation de la publicité), la rencontre avec le client étant peu aisée, l’événementiel externe est depuis toujours en flux continu, Cécile Drévillon constate une augmentation de ce type de rendez-vous… “sous des formes anciennes”, précise-t-elle : l’hybridation disparaît.

Cécile Benoit-Cattin, en charge du Meeting & Events en Europe et en Afrique du Nord pour Accor,  confirme la tendance haussière : “On sait d'ores et déjà que l’année 23 sera supérieure à 2019, alors que 2022 lui était inférieure de 30% (...) On constate aussi que les destinations sont de nouveau en compétition pour les gros événements de 2025-2026. Tous en présentiel”. Mais également la modification des tendances : “La manière de consommer est très différente… On voit une augmentation des events de petites et moyennes tailles, récurrents pour les réunions internes : pluriannuels, plus réguliers avec parfois une interconnexion avec plusieurs pays. Et de plus en plus de dernière minute : parfois 10 à 15 jours avant un event de 100 à 150 personnes”.

En outre, la même de faire remarquer que les événements sont prolongés par un nombre croissant de collaborateurs, à titre personnel : “C’était anecdotique (avant la pandémie, ndr), ça devient fréquent et récurrent. Et pour les acheteurs, c’est difficile à toucher car ça peut passer par des notes de frais, ou être tout simplement des frais invisibles. Ca pourrait entrer dans une politique MICE plus globale mais ce n’est pas le cas”.

Retrouver ses petits

Mais le bleisure n’est qu’une infime partie de ce qui passe sous le radar de l’acheteur en termes de MICE. Si les grands événements sont dans la plupart des cas sous sa coupe, “pour les plus petits, explique Cécile Drévillon, moins anticipés, il y en a une grande partie qui (lui) échappe, parce que c’est du “last minute”, ou décidé à l’échelle d’un département, et ça passe par des notes de frais, par d’autres canaux financiers et même de réservation.

Problématique quand ces petits événements se multiplient jusqu’à devenir une stratégie de management… Dépourvue, donc, d’un pilotage rigoureux de la dépense.

Arnaud Katz, CEO de Kactus : “Quand on discute avec des acheteurs, on s'aperçoit que leur visibilité des dépenses MICE est très partielle dans la plupart des entreprises. Dans ce moment où l’événement prend de plus en plus d’importance, c’est l'occasion de se poser les questions : quels sont les déplacements des collaborateurs, où vont-ils, avec quelle récurrence, combien sont-ils, quelle typologie de lieu ?… Et toutes ces informations doivent être très largement partagées avec la DRH et la Direction générale qui doit comprendre que c’est une catégorie qui est stratégique.Pour la dépense mais aussi pour les RH : la culture événementielle doit être un reflet de la culture d’entreprise”. 

Enjeu induit : si l’on parle de stratégie MICE, en tant qu’instrument de gestion du personnel, certes, mais aussi, par l’ampleur que prend ce poste de dépense, dont aucun signal ne semble démentir la croissance, en termes financiers, il y a nécessité de lui adjoindre les critères qui accompagnent la prise de décision dans une entreprise, en premier lieu : le retour sur investissement. Ce qui, pour les acheteurs, implique la mise en place de nouveaux KPI, bien plus stratégique que les savings. Par exemple : “Quelle politique ‘event’ pour quel impact sur la rétention de talents ?”

Négociations

Avec un certain sens de la punchline, la représentante d’Accor, Cécile Benoit-Cattin, de déclarer : “Tout ne se négocie pas : on ne peut pas avoir le Royal-Monceau au prix de l’ibis Cambronne”.

Elle entre dans le dur de la négo et, magnanime, délivre ses conseils aux acheteurs : “Aujourd’hui, certains acheteurs nous demandent les mêmes conditions générales de vente que durant la période directement post-Covid. Ce n’est pas possible (...) Même si ça demande plus de travail, il vaut mieux négocier event par event (de grande et moyenne taille, ndr) en fonction de la période, du taux d'occupation de l’hôtel (...) Pour les events de petite taille, ok pour une négo à l’année mais les CGV 'j’annule ou reporte sans frais', c’est délicat”.

Elle poursuit : “Malgré l’inflation, on ne voit pas les budgets MICE vraiment évoluer, ce qu’on peut comprendre. Mais en face, il faut aussi comprendre qu’on ne peut pas avoir la même offre (qu’avant la période inflationniste au même prix, ndr)”. Et de conclure en rappelant, l'air de rien, l’ampleur de l’offre de son groupe : “Si Pullman n’est plus possible, il y a Novotel ou Mercure, donc il faut oser le changement”.

Mais chacun en convient, au-delà du contexte post-pandémique, il y a quelque chose de structurel : toucher au budget MICE, notamment pour les petits events n’est pas facile. 

A ce propos, Cécile Drévillon apporte son éclairage : “On a un budget à l’année et un chiffrage par event pour les plus gros d’entre eux. Pour les détenteurs de ces budgets (vente, marketing…), il est impossible de les dépasser. Les acheteurs ou congress managers sont entre les fournisseurs et les donneurs d’ordres internes. Si on ne peut pas jouer sur les prestations, on est obligé de jouer sur le nombre de participants, ce qui pose logiquement un vrai problème du côté des donneurs d’ordres. Donc ça demande beaucoup de dialogue, de pédagogie en interne pour expliquer (la hausse des prix, ndr)”.

Et une fois que la pédagogie a fait son œuvre, la même de décliner : “On peut travailler sur les prestations. Ça joue sur les trois plats-dessert, repas assis ou non - dur à faire bouger, surtout pour les events ‘clients’. Ou sur le format : plus court, pas forcément une nuit en moins mais un repas en moins.” Conclure : les prestations peuvent évoluer (à la baisse), mais les budgets restent inchangés. 

Va y avoir du sport

Comme dit, cette recrudescence du MICE, au moins dans sa version “petit format”, est constatée à l’unanimité, par toutes les parties prenantes, clients comme fournisseurs. La tendance est mondiale (si l’on considère l’OCDE comme le Monde) et elle assoit la position des fournisseurs. Mais en France, la CDM de rugby à l’automne prochain et les JO à l’été 2024 renforcent la tendance.

Rentrons dans le sujet comme un All-Black dans le pack français en citant Cécile Benoit-Cattin :  “Pour la CDM de rugby, les gens (ceux qui achètent du MICE, ndr) sont surpris des prix et des conditions. Les prix peuvent être multipliés par 10 (pour certains établissements Accor, ndr), même si je ne l’approuve pas”.

Oui, de prix décuplés. Elle poursuit : “Pour les JO, la demande hôtelière est encore plus forte que pour la CDM de rugby, et elle est linéaire. C’est déjà compliqué. Les conditions de vente sont très strictes et les hôteliers sont sur des logiques de rentabilité immédiate, donc la négo est plus dure”. Sous-entendu : on ne fait pas des prix attractifs en misant sur le futur, on profite du présent puisqu'il est si porteur !

Et le témoignage de Cécile Drévillon n’ouvre pas de perspective contracyclique : alors qu’elle s’estime mieux lotie, dans son entreprise, que beaucoup d’autres (en termes de visibilité, de stratégie), elle ne commence - à l’été 23 - qu’à s’occuper des gros events de l’été 24. Pour les gros événements ! Car : “Pour les petits, on les organise 3 mois avant donc on va se retrouver contraints. On compte beaucoup sur les agences événementielles pour nous accompagner, nous conseiller, nous alerter et proposer des options alternatives.

Il est beau, ce vœu. Il est pieux aussi. Arnaud Katz nous fait quitter les altitudes souhaitables pour nous ramener au réel : “Tous ces events gigantesques (la CDM de rugby en 23, les JO en 24, ndr) ne feront que renforcer une situation tendue. Pour les JO, il n'y aura pas de chambres dispo. Heureusement, la saisonnalité des séminaires résidentiels n'est pas en été. Donc ce marché ne sera pas cassé. Pour les events non résidentiels, notamment dans les villes où se déroulent des épreuves, il faudra faire soit avant soit après, il n’y a pas d’autres solutions.” 

Mais ces reports seront pléthoriques. Il est rare qu’on soit seul à avoir la même idée. Donc les prix ne baisseront pas. C’est le contexte. Quelle était la question de départ de cette table ronde GBTA, déjà ? Ah oui : la stratégie MICE. C’est bien, ça, pour amortir la violence des aléas... Y a du boulot.