Politique voyage : “Désormais, soit notre cabinet refacture les déplacements, soit… il n’y a plus de déplacements”

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Politique voyage : “Désormais, soit notre cabinet refacture les déplacements, soit… il n’y a plus de déplacements”

Un associé explique en quoi la politique voyage de son gros cabinet de conseil a été modifiée depuis le moment pandémique. Drastique.

Les lecteurs ne goûtent guère les témoignages délivrés incognito. Il en va de même pour les journalistes qui les relaient. Cependant, ce respect de l’anonymat est parfois la condition nécessaire quand il s’agit de recueillir des propos à forte valeur informative. C’est le cas de ceux qui suivent, ceux de Paul (appelons-le ainsi), qui travaille en France, en tant qu’associé d’un gros cabinet de conseil (plusieurs milliers de collaborateurs). Il n’est ni acheteur, ni travel manager mais la politique voyage de son entreprise, il la vit dans son quotidien. Voici ce qu’il en dit…

Vous travaillez dans le conseil, un secteur dans lequel la relation de proximité avec le client paraît essentielle. Pourtant, la politique voyage de votre cabinet a radicalement changé depuis l’épisode Covid. Dans quelle mesure ?

C’est assez clair et presque transposable en équation. Le calcul de la marge réalisée sur une mission a été modifié. De sorte que, en gros, des frais non refacturables - et les déplacements en prennent une très grande part - impactent trois fois plus qu’auparavant la marge à laquelle sont corrélés les objectifs des managers. Cette démarche a pour but de responsabiliser le middle management, qu’il en tienne compte dans la poursuite de ses objectifs.

Vous ne dévoilez pas les équations mais vous en affichez les principes. Quels en sont les effets ?

Ils sont directs. Pour les rendez-vous “prospects”, tout se passe désormais par visioconférence, sauf cas exceptionnel. Concernant les rendez-vous “clients” - c’est-à-dire relevant de la prestation de mission, on fait le tri entre réunions où le présentiel est utile ou non. Mais ce n’est qu’une stratégie temporaire. Au fur et à mesure que les contrats sont renégociés, la norme nouvelle est appliquée : soit les frais de déplacements sont imputés au client, sous la forme d’une enveloppe de frais ou de remboursements au frais réel, soit… il n’y a plus de déplacements.

Comment cette politique est-elle ressentie par vos clients ?

Elle peut être comprise car elle s’inscrit dans une stratégie globale. Certes, dans cette politique voyage, la notion de ROI est importante. Mais quand il s’agit de la défendre, c’est l’argument RSE qui est employé. Et, comme je le disais, il ne peut convaincre que parce qu’il s’inscrit dans une démarche globale. Beaucoup de nos clients - et notamment les acteurs publics et les entreprises du CAC40 - émettent des appels d’offres où les questions “environnement” sont ambitieuses. Dès lors, il nous est confortable de dire “Vous nous avez choisis pour notre mieux-disant écologique, soyons cohérents jusqu’au bout”.

La RSE ressemble, dans ce cas, à de la cosmétique justifiant du cost cutting “travel”. D’ailleurs, comme vous l’avez dit, quand les voyages sont refacturables, ça passe…

Je reformule : les managers (et les membres de leur équipe) sont très fortement incités (gros impacts sur leurs objectifs à l’appui) à ne pas se déplacer. Mais s’il y a obligation de le faire, alors, c’est le client qui paye. Avec un message qui lui est délivré : ça vous coûte cher en argent et en temps donc il faut que ce temps présentiel soit vraiment utile. C’est vraiment notre positionnement sur les marchés. Vis-à-vis de nos clients et prospects mais aussi en direction de la population au sein de laquelle nous recrutons : de jeunes gens très diplômés, particulièrement sensibles aux problématiques environnementales.

Selon vous, qu'en est-il de vos concurrents ?

Je ne participe pas aux instances "performance" des autres cabinets... Mais je ne vois pas comment ils pourraient être compétitifs sans appliquer des règles similaires.

Pour revenir à votre cabinet, quels résultats cette politique voyage produit-elle en termes d’impact environnemental ?

Elle est récente puisque post-Covid, avec des années 2021-2022 non significatives car soumises à des contraintes de déplacements. Mais ce que je peux en dire , c’est que, alors que nous mesurons nos émissions depuis 4 ans, 50% de la baisse de nos émissions a été faite sur les déplacements qui représentent environ un tiers de nos émissions totales.