Air France : les leçons de la crise

70

C’est vrai, les événements de la semaine dernière ont choqué et on ne peut que répéter que le mode de dialogue qui consiste à déshabiller le contradicteur est pour le moins sommaire et en tous cas inacceptable. Le mal est fait, les dégâts d’image sont considérables et très probablement nombre de clients potentiels ont-ils d’ores et déjà réservé leurs vols sur des compagnies concurrentes. Non pas qu’ils n’aiment pas Air France, mais ils ne veulent pas subir les risques d’un nouveau conflit social qui ne manquera pas d’arriver dans l’hiver.

Ce qu’ont démontré les images c’est l’absence de dialogue social dans la compagnie nationale. A qui la faute ? Les observateurs extérieurs sont mal placés pour désigner les responsables, car ils n’ont pas assisté aux réunions de concertation ou tout au moins de discussion entre les protagonistes. Les pilotes sont pointés du doigt et ils ne semblent en effet pas mettre beaucoup d’ardeur à faire passer à la trappe nombre d’avantages obtenus par le passé, à coup de conflits et menaces répétées d’ailleurs, au moment où la compagnie pouvait encore se permettre quelques largesses, c’est-à-dire avant 2008. Il y a maintenant 7 ans.

Mais ils ne sont pas les seuls à avoir bénéficié d’avantages. Chaque secteur d’activité dans la compagnie en a obtenu son lot. Oh, bien sûr, tout le monde n’est pas grassement payé, mais enfin la moyenne des salaires au cours des derniers 6 mois a été de 6.845 € par mois charges comprises, soit tout de même 4.563 € brut mensuel. Ce ne sont pas des salaires de misère, même s’ils sont assez mal répartis entre les diverses catégories de personnel. Et à cette rémunération, il faut ajouter l’intérêt des retraites bonifiées et les inévitables GP, autrement des billets gratuits avec ou sans réservation auxquels tous sont si fort attachés, même si une bonne partie du personnel ne les a jamais utilisés. D’ailleurs et comme pour la SNCF, les GP sont octroyés généreusement aux ayants-droit : la famille, les retraités … et même les amis.

Bref, personne dans cette entreprise ne veut perdre ces fameux avantages acquis dans un autre temps et dans un autre environnement concurrentiel. Or le monde a changé. Que les salariés le veulent ou non, le mode de fonctionnement de l’entreprise et de gestion de son personnel devra inéluctablement évoluer. Il n’est certainement pas agréable de se faire concurrencer par des transporteurs plus enclins à traiter leurs clients que leurs salariés, mais finalement, le choix revient aux clients.

Bien entendu, les responsables de l’entreprise sont parfaitement conscients de cet état de fait. Ils ont en main toutes les études comparatives portant sur la productivité, la qualité de service, la ponctualité, les coûts, les ratios de personnel, enfin tout. Et comme ils ne sont pas plus bêtes que les autres, ils en tirent les bonnes conclusions : les charges doivent baisser et la qualité du produit doit être améliorée.
De plus ils voient bien la difficulté à laquelle ils sont confrontés afin de maintenir un niveau de « cash » suffisant pour faire tourner la société. Or la dure réalité des marchés financiers contraint l’entreprise à  payer de plus en plus cher les emprunts et obligations qu’elle doit lever.

Seulement les dirigeants ne sont pas arrivés à faire passer cette conviction à leurs salariés. Ces derniers sont restés accrochés à l’idée que même si l’entreprise allait mal, et on ne cesse de le leur répéter, l’Etat, en dernière limite, leur viendrait en aide. Comment ? Personne ne sait le dire, mais cette certitude est ancrée dans les esprits. Après tout en 1994, si je ne m’abuse, l’Etat a bien remis 22 milliards de francs soit un peu plus de3,3 milliards d’euros au pot. Alors pourquoi cela ne se reproduirait-il pas ? Sauf que les règles européennes s’y opposent. Même Silvio Berlusconi, avec tout son bagout et toute sa volonté, n’a pu aider Alitalia à se sortir de son bourbier.

Alors les dirigeants d’Air France devront bien trouver les mots pour réanimer un enthousiasme qui a quitté les salariés. Ils devront définir un avenir clair et compréhensible s’ils veulent faire adhérer leurs troupes. C’est bien ce qui a manqué jusque-là. L’impression est que la direction n’a pour seul but que d’éviter le pire, ce qui n’est tout de même guère emballant. Il faut à l’évidence redéfinir un but ambitieux, pas forcément lié à la taille, mais probablement à la qualité du produit.

Pourquoi Air France ne redeviendrait-elle pas la plus belle compagnie du monde à défaut de rester dans le trio de tête des plus importantes ? C’est possible, c’est souhaitable et cela rendrait leur fierté à des salariés qui ne demandent que cela. Et alors les clients des classes avant long-courriers délaisseraient les compagnies du Golfe pour revenir chez leur transporteur national.

Jean-Louis Baroux