Et si le patron d’Etihad réussissait son pari ?

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Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que la stratégie du CEO d’Etihad Airways consiste à faire croître très rapidement sa compagnie de manière à ce qu’elle fasse jeu égal sinon dépasse sa rivale dubaïote, Emirates. Bien entendu rien n’était possible par une croissance interne, James Hogan s'est donc lancé dans une politique d’achats de transporteurs qui semble en voie d’être bouclée.

Supposons que finalement le bras de fer entre les équipes de James Hogan et celles du Gouvernement Italien et de la compagnie Alitalia tournent à l’avantage d’Etihad. Certes à l’heure où j’écris ces lignes, rien n’est encore gagné, il reste encore à faire avaler quelques 600 millions d’€ aux banquiers créditeurs d’Alitalia, Etihad n’entrant dans le capital qu’à cette condition. Et la pilule est tout de même amère à avaler. Mais enfin, la chose reste très plausible. Alors le transporteur d’Abu Dhabi se trouverait à la tête d’un ensemble sensiblement équivalent à Emirates. Jugez-en plutôt.

Outre la compagnie Etihad, le groupe détiendrait alors : 49% d’Air Serbia, l’ancienne JAT, 40% d’Air Seychelles, 29% d’Air Berlin qui monteront très probablement à 49%, 24% de l’indien Jet Airways avec une option pour monter encore au capital, 19% de Virgin Australia, 33% de Darwin Airlines désormais appelée Etihad Regional et disons 49% d’Alitalia, sans compter les 3% de participation dans Aer Lingus.

Bien entendu, Etihad ne détient pas la majorité du capital dans toutes ces sociétés car les règles de chacun des états concernés s’y opposent, tout au moins sur le papier, mais il est évident qu’elle dicte sa stratégie à tous ces transporteurs. Air Berlin a été aimablement priée d’orienter son offre vers Abu Dhabi, Darwin Airlines a changé à la fois de nom de taille et d’objectifs, JAT est managée par les équipes du Golfe, bref Etihad se comporte exactement comme si elle possédait complètement ces transporteurs lesquels ont été trop contents de la trouver pour se sortir d’une situation économique périlleuse. J’ai délibérément sorti Virgin Australia de l’analyse car Air New Zealand détient une part beaucoup plus importante du capital.

Et bien, tout cet ensemble pèse, en intégrant Alitalia, près de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires, autour de 50 000 salariés, pas loin de 500 avions et plus de 400 en commande. Ce n’est pas si loin du grand rival de Dubaï. En effet Emirates fait un chiffre d’affaires de 18,5 milliards de dollars auxquels il faudrait rajouter les résultats de Sri Lankan dont elle possède tout de même 43%, elle emploie 50 000 salariés également et dispose d’une flotte certes plus petite en nombre : 200 appareils, mais dont la capacité moyenne est très supérieure à celle de son concurrent d’Abu Dhabi. Rajoutons qu’Emirates a 377 appareils en commande.

Sur le papier Etihad est en passe de rattraper le transporteur de Dubaï, mais il y a une petite nuance tout de même. Emirates a affiché un profit net de 629 millions de dollars pour son dernier exercice alors qu’Etihad devait se contenter de 62 millions. Mais les compagnies rachetées sont, elles en très mauvaise santé financière, hormis Air Berlin qui a réussi à retrouver du profit certes modeste à 9,2 millions de dollars après des années de pertes considérables, tous les autres transporteurs doivent être soutenus financièrement : les derniers résultats disponibles sont là pour le prouver. Air Serbia a perdu 43 millions de dollars sous son ancien nom JAT, Jet Airways va très mal avec une perte de plus de 300 millions de dollars et Alitalia traine des résultats désastreux de plusieurs centaines de millions de dollars. Actuellement la perte cumulée du périmètre contrôlé par Etihad, en incluant Alitalia, serait de l’ordre de 700 millions de dollars. Voilà qui fait une sérieuse différence avec Emirates dont les résultats continuent à affoler les compteurs.

Mais enfin la partie est engagée. Il est probable qu’Etihad dispose d’un trésor de guerre considérable et que le Gouvernement d’Abu Dhabi a largement les moyens de subventionner les transporteurs rachetés jusqu’à la venue de jours meilleurs. Encore faudra-t-il donner une cohérence à ce groupe composé d’Emiratis, d’Allemands, de Suisses, d’Indiens, de Serbes et peut-être d’Italiens. Voilà la vraie gageure. Comment fabriquer une politique cohérente avec des cultures si différentes.

C’est là que l’on va pouvoir juger de la capacité managériale de James Hogan. Et la partie est difficile, c’est le moins que l’on puisse dire.

Jean-Louis BAROUX