L’entrée du C to C dans le marché de l’hôtellerie français

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Nous publions très régulièrement ici les analyses et études de SIA Partners, un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle. Ce nouveau travail de SIA évoque le C to C. Si de nombreux voyageurs d'affaires choisissent leur hôtel sur le SBT de leur entreprise ou chez les comparateurs hôteliers, quelques uns préfèrent des options plus originales. Ce sont souvent les adeptes des chambres d'hôtes, maisons d'hôtes et autres locations entre particuliers. Cette solution, encore marginale, prend de plus en plus sa place lors des séjour de formation professionnelle ou d'intervention technique de moyenne durée.

Le succès d’acteurs C to C comme Airbnb sur le marché de l’hôtellerie français est venu remettre en question les modèles économiques traditionnels ainsi que les cadres réglementaires associés aux locations de meublés. Alors que le magazine Fortune place les trois co-fondateurs de Airbnb en 6ème place du classement des personnes les plus influentes économiquement - du fait de l’évaluation à 2,5 milliards de dollars du réseau social et du grand nombre de données qui y sont stockées -, les hôteliers le voient pour le moment comme une menace. En France, l’UMIH (L’Union des Métiers et de l’Industrie de l’hôtellerie) a exprimé son inquiétude à la Ministre en charge du tourisme, Sylvia Pinel, qui s’est engagée à inciter les préfectures à faire appliquer la règlementation et à pratiquer plus de contrôles.

Les avis sont nombreux sur les activités de ces plateformes C to C : concurrence déloyale décrétée à New York pour les locations de moins de 29 jours («illegal hotel law»), exploitation de vide juridique, complément de revenu pour les loueurs, source de revenus pour les agglomérations qui attirent de nouveaux flux de touristes…

Le modèle des plateformes C to C soulève de nombreuses questions : Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau modèle ? Quelles sont les dispositions réglementaires et législatives ? Quelles sont les principales plateformes C to C sur le marché français et leur positionnement par rapport aux acteurs traditionnels ?

La consommation collaborative et le modèle C to C
Ces dernières années, l’accès facile à internet et son effet fédérateur ont poussé le développement de la consommation collaborative, qui est devenu un secteur en forte croissance. Ce nouveau mode de consommation a tout d’abord concerné l’échange d’objets (exemple : eBay) pour s’étendre ensuite à toutes les catégories de produits : services ou privilèges échangeables (logements, outils de bricolage, voitures…). Ce mouvement a pris de l’ampleur et ses « early adopters » en ont même créé une communauté, OuiShare, qui a organisé la première « OuiShare fest » européenne le 4 mai 2013. Pour ces acteurs, l’utilisation est plus importante que la propriété.

Dans le paysage de la consommation collaborative, plusieurs modèles se détachent : l’économie de fonctionnalités transforme un produit en service (BlaBlaCar, Velib’, jelouetout.com), les plateformes d’échanges permettent la redistribution de biens d’une personne les possédant à une personne les recherchant (PriceMinister, LeBonCoin, eBay). Le modèle Airbnb fait partie de la catégorie des formules de partage de ressources immatérielles, qui permettent aux utilisateurs de monétiser leur espace, leur temps, leurs compétences au même titre que des sites comme Couchsurfing, Colunching ou Coworking par exemple.

Ces catégories de consommations collaboratives peuvent avoir des impacts différents sur les marchés qui les concernent notamment sur les cadres législatif, réglementaire et fiscal.

Le cadre législatif, réglementaire et fiscal de la location de meubles
La location de meublés touristiques a longtemps été peu réglementée et a fait l’objet d’abus. Une législation a été créée en 2007 dans le but de protéger les consommateurs et de lisser les problèmes de concurrence avec les autres acteurs de l’hébergement touristique et de l’hôtellerie plus particulièrement (se référer à l’encadré en annexe).

Au vu des obligations des chambres d’hôtes officielles, il est compréhensible que les propriétaires de ces chambres d’hôtes s’inquiètent de l’activité de propriétaires qui passeraient par des plateformes C to C comme Airbnb et pourraient s’affranchir de ces obligations.

La loi ALUR (Projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), votée par le Parlement le 20 février dernier, statue vers plus de contrôle.

En théorie rien n’a changé : les propriétaires de meublés touristiques («?Les locaux meublés loués de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile?»), gardent la même obligation d’obtenir une autorisation de «?changement d’usage?» (d’habitation vers location touristique). Aujourd’hui, ce changement de statut, payant et transformant les revenus locatifs en revenus commerciaux, est peu mis en pratique par les bailleurs. Ceux-ci ne sont inquiétés qu’en cas de plainte du voisinage.

Cependant :
  • D’une part ce changement d’usage va devenir plus difficile : il faudra demander l’accord de la majorité des copropriétaires. Les intermédiaires comme Airbnb auront l’obligation d’informer leurs clients annonceurs et de leur demander une déclaration sur l’honneur attestant qu’ils ont respecté ces nouvelles obligations légales.
  • D’autre part, ne pas procéder au changement d’usage devient plus risqué pour les propriétaires : même si la loi ALUR ne revoit pas les amendes (25 000€ et 80 000€ et 1 an de prison en cas de récidive), elle donne aux agents communaux un droit de contrôle des logements qu’ils n’avaient pas auparavant et sans lequel ils ne pouvaient donner suites aux plaintes.
Ce dispositif ne concerne pas les locations de résidences principales qui représentent une grande partie des annonces Airbnb et qui ne seront donc pas touchées par ces nouvelles procédures.

Les principaux acteurs C to C
La tendance au développement des plateformes collaboratives dans le marché hôtelier ne se limite pas à Airbnb. D’autres acteurs ont font leur apparition et tentent de se différencier. Les initiatives sont d’origines différentes mais ont toujours pour objectif de proposer une offre de logements touristiques alternatifs et moins cher que l’hôtel.

  • Airbnb (qui s’appelait à l’origine AirBed and Breakfast) a été créé en 2007. Les 3 fondateurs (Brian Chesky, Joe Gebbia et Nate Blecharczyk) ont fait face au début de leur aventure à la méfiance de tous les investisseurs et des acteurs du marché qui pensaient que les particuliers ne se prêteraient pas au jeu. Pourtant, Airbnb a aujourd’hui franchit la barre des 10 millions de voyageurs hébergés et, en 2013, 6 millions de personnes, originaires de 175 pays ont utilisé Airbnb, soit 2 fois plus qu’en 2012.
  • Housetrip le challenger : Lancé en Janvier 2010 et présent dans 40 pays. HouseTrip se revendique plus en location de vacances. Le site ne propose pas d’assurance. En revanche, les propriétaires peuvent demander une caution aux locataires.
  • Wimdu : Lancé en mars 2011 par les frères Samwer, Wimdu, Wimdu est un site allemand qui se positionne comme « mieux que l’hôtel et moins cher ». Le site propose une assurance gratuite dans certains pays dont la France, qui garantit une couverture à hauteur de 500 000€. Le site a connu une croissance fulgurante en 2011 et 2012.
  • Bedycasa a démarré sous forme de blog en 2007 avec l’objectif de faire découvrir aux internautes ses voyages et favoriser la découverte de cultures étrangères. Bedycasa est devenu un site non commercial en 2008 puis un site professionnel en 2009. Aujourd’hui, il réunit plusieurs milliers de membres répartis dans 159 pays et est positionné sur la location de chambres chez l’habitant même si d’autres types de logement sont également présents sur le site.
  • Sejourning, se positionne principalement sur des offres de location et sous-location pour des vacances et propose une assurance avec Europ Assistance.

Zoom sur Airbnb :

Les chiffres d’Airbnb parlent d’eux mêmes :

Dans le monde :
  • En Avril 2012, Airbnb passait la barre des 10 millions de nuitées réservées dans le monde.
  • De 2008 à 2012 le site est passé d’une nuitée réservée par jour à une nuitée toutes les 2 secondes.
  • Airbnb compte plus de 500 000 annonces dont plus de 11 000 villas, 4 000 chalets, 1 000 bateaux, 600 châteaux et 200 cabanes dans les arbres

En France :

  • En Mars 2013, Airbnb a franchi le cap des 30 000 annonces disponibles contre 10 000 à la même période en 2012.
  • 350 000 voyageurs ont déjà séjourné en France avec Airbnb dont 80% ces 12 derniers mois.
  • Les 3 premiers pays demandés sont les Etats-Unis (21,8% de la demande), l’Espagne (13,3%) et la France (12%).

Le modèle d’Airbnb est basé sur 3 utilités :


  • Le site a avant tout un but économique, à savoir à la fois une recherche de revenus complémentaires pour les loueurs et une recherche de location de vacances ou professionnelle à moindre coût pour les utilisateurs.
  • Sa deuxième proposition est la recherche de convivialité et la génération de rencontre. Le site propose une location de logement plus humaine à travers laquelle les loueurs sont également en désir de faire découvrir leur quotidien et leur quartier.
  • Enfin, il facilite l’organisation de voyages à travers le monde, en proposant des logements mêmes dans des lieux reculés et propose une opportunité de voyage différent.
Le modèle économique d’Airbnb se base sur un système de commissions prélevées à la fois du côté du propriétaire et du côté locataire :

Le propriétaire paye 3% de commission sur le prix qu’il fixe à son logement

Le locataire paye entre 6 et 12% de frais de service en fonction de la durée de son séjour, qui sont ajoutés au prix de sa location lors du paiement.
Ces commissions permettent au site de garantir une assistance 24h/24, de couvrir ses frais de fonctionnement et les coûts de traitement des paiements.

Quel prix pour quelle offre ?

La comparaison en termes de prix par rapport à un hôtel est difficile : comparer la location d’un logement entier en plein centre-ville, une villa, ou une cabane dans les bois à la location d’une chambre dans un hôtel de luxe qui propose un service de restauration n’est pas évident et pas forcément pertinent. Les prix sont également très hétérogènes sur le site. On peut effectivement trouver sur Airbnb des chambres individuelles pour 2 personnes à louer un samedi soir en plein cœur de Paris pour 60€, dans les quartiers proches du centre de Londres pour 50€, ou en plein Barcelone pour 30€, ce que l’on trouve difficilement pour un hôtel dans ces mêmes endroits.

Il est également à noter que, si le positionnement du site se fait sur des prix attractifs, les plaintes de prix excessifs commencent à paraitre du fait notamment de la présence de professionnels type agent immobilier sur le site. Lorsqu’un loueur souhaite réserver une chambre il doit alors payer la commission d’environ 15% d’Airbnb mais également la commission de l’intermédiaire supplémentaire.

Quel avenir pour ce modèle et quels dangers pour les hôteliers ?

Les opportunités :

Le modèle C to C en France suit la tendance de la consommation collaborative et profite du marché touristique local :

  • La France étant le 1er pays touristique européen, le nombre de bénéficiaires potentiels de ces services est important.
  • Les sites de location de logements collaboratifs profitent de la demande d’économie et de revenus complémentaires des membres de la communauté C to C.
  • Ces sites surfent également sur deux tendances : le désir de partager plus avec son entourage et celui des touristes, de découvrir la vie de quartiers dans un voyage au-delà des visites classiques.
  • Le modèle flexible séduit également beaucoup : les touristes n’ont pas nécessairement besoin de réserver à l’avance pour trouver une offre intéressante dans un grand nombre de villes.
Le locataire a l’impression de maitriser le prix de sa nuitée : le prix des chambres ne varie pas en fonction de la demande dynamiquement. Le propriétaire doit manuellement indiquer un prix différent sur une période qu’il estimerait de forte affluence.
  • Des acteurs comme Airbnb ont mis en place un modèle de rémunération intéressant (commission pouvant aller jusqu’à 15% sur chaque réservation).
Les obstacles au modèle :

Le cadre réglementaire et législatif: comme expliqué précédemment, les associations et lobbying de l’hôtellerie et des chambres d’hôtes cherchent des recours contre les initiatives telles qu’Airbnb car ils sont eux-mêmes soumis à des législations très exigeantes. Il est cependant difficile d’encadrer la tendance, même si des villes comme New York, Amsterdam ou Paris essayent de le faire. La bataille qui peut exister contre les sites tels que Airbnb est la même que celle des fédérations de taxis contre certains utilisateurs de sites de co-voiturage ou des brocanteurs contre les particuliers qui seraient de vrais professionnels non déclarés. La question de la légalité de la location d’une partie de son habitation ou de la sous location a toujours existé, internet peut permettre aux gens d’en faire une activité industrielle, c’est là que le problème se pose.
La perte de confiance des usagers et la défense des associations de consommateurs. Pour offrir un service de qualité constante mais aussi pour faire face aux associations de consommateurs qui dénoncent les sites qui ne prennent pas leurs responsabilités en cas de litiges, les sites de partages doivent trouver un système d’évaluation des offres des membres. La difficulté réside dans le fait de trouver un tel système qui permette de conserver l’esprit de communauté et de partage.
La possibilité de se faire court-circuiter par les usagers. Les sites de revente ont trouvé la solution en anonymisant les transactions, ce qui n’est pas possible pour les sites de location. Les propriétaires peuvent une fois le locataire trouvé, annuler leur offre et traiter directement avec le loueur. Le site ne peut qu’offrir des services comme l’assurance pour se protéger de cette menace.
Un signe de crise et un danger pour la situation du logement : Ce type de consommation collaborative pose un problème plus large et encore plus en temps de crise. D’une part, il révèle un profond malaise qui fait que les gens en viennent à louer ce qu’il leur reste, c’est-à-dire leur voiture ou leur maison sur des périodes où ils ne s’en servent pas. Mais surtout, dans une ville comme Paris, il peut poser un véritable problème de logement du fait des utilisations frauduleuses de ce type de sites. Les locataires sous-louant leur logement en cas d’absence prolongé ou les propriétaires préférant louer un appartement à la semaine ou à la nuit empêchent des locataires ayant besoin d’un logement de pouvoir en bénéficier. Ceux-ci peuvent encourir de longues peines mais le contrôle reste compliqué. Au-delà des législations, les pouvoirs publics se doivent donc d’agir pour lutter contre ces utilisations qui rendent la situation de recherche de logement aux locataires « classiques » encore plus difficile. Ils doivent cependant le faire de manière intelligente de manière à ne pas perdre le bénéfice financier de cette nouvelle forme de tourisme : une étude menée par Airbnb montre qu’un touriste logé par un moyen d’hôtellerie C to C pendant ses vacances dépense en moyenne le double pour le reste de ses dépenses.

Le danger pour les hôteliers :

Aucun chiffre ne montre pour l’instant que l’émergence des sites comme Airbnb entraine des baisses de réservations pour les hôtels. Cependant, ces sites démontrent des changements d’habitudes des consommateurs auxquels les hôteliers doivent s’habituer. Les professionnels de l’hôtellerie peuvent tirer parti de plusieurs manières :

  • Prendre en compte ces nouveaux désirs dans la conception de leurs hôtels : désir de plus d’authenticité, de rencontre…
  • Utiliser ce biais pour diffuser leurs offres – il n’est pas interdit aux professionnels de proposer des logements sur des sites comme Airbnb.
Si le positionnement prix reste important sur ces sites d’hôtellerie C to C, les hôteliers doivent pousser la réflexion plus loin car il s’agit de nouveaux modes de consommation du tourisme qui sont révélateurs de nouvelles recherches des voyageurs. Les touristes sont en recherche d’une expérience globale et personnalisée, les hôteliers doivent donc chercher à augmenter leur offre de services complémentaires.

Aujourd’hui la plupart des hôteliers proposent des conseils personnalisés une fois arrivés sur place (conseil de restaurant, de musées, d’excursions…), le problème est qu’aujourd’hui cette dimension de conseil de l’hôtelier est remise en cause du fait que les touristes préparent leur voyage sur internet. Si cette dimension de conseil était disponible directement sur le site, les hôteliers pourraient contrer les offres des agences bien entendu mais surtout offrir une vraie différenciation par rapport à ces sites d’hôtellerie C to C en se positionnant comme guide et intermédiaire mais aussi en attirant le touriste sur une offre qui va au-delà de l’hébergement.

La collaboration entre acteurs locaux, devient alors pour les hôteliers un moyen non pas de lutter contre des nouvelles formes de consommation – qui semblent plus qu’un effet de mode – mais de trouver leur place dans un marché changeant de manière innovante et en tirant profit de leur avantage comparatif.
SIA Partners est un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle organisé autour des unités de compétences Energie, Finance, Télécoms & Médias, Transport – Industrie – Retail, Secteur Public, Ressources Humaines, Fonction Finance, Actuariat. La société fait partie des cabinets de conseil en management majeurs en France. Elle est présente en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc, à Dubaï et à New-York.