Tribune JL Baroux - Aérien : vaut-il mieux être privé ou public ?
Credit : Aéroport Brest-Bretagne / Franck Betermin
Tribune JL Baroux : Vers une renationalisation du transport aérien ?
Jean-Louis Baroux

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.

La crise de la Covid a remis certaines pendules à l’heure dans le transport aérien. Nombre de transporteurs, pour ne pas dire la quasi-totalité, se sont trouvés dans l’obligation de demander le support de leurs Etat respectif. Voilà qui est entièrement nouveau. Pendant des décennies, les compagnies aériennes avaient entamé un mouvement vers la privatisation de leur capital. Même des transporteurs historiques viscéralement attachés à leur Etat comme Iberia ou Air France, par exemple, avaient converti la majorité des fonds publics qui constituaient leur capital en actionnaires privés. La règle non dite était que le privé était plus à même de gérer une société engagée dans le commerce mondial qu’un gouvernement. Est-ce si vrai ?

Etat vs Bourse

Dans le monde nombre de compagnies aériennes, si ce n’est leur majorité, appartiennent de près ou de loin à leur Etat. Toutes n’étaient pas si mal en point avant que la pandémie ne se déclare. On peut citer en particulier Singapore Airlines détenue par le fonds d’état singapourien Temasek, ou Emirates, propriété d’Emirates Group, une émanation de l’Emirat de Dubaï qui, jusqu’à cette année, qui ont toujours eu des finances florissantes. La plupart des compagnies africaines sont propriétés de leurs Etat et toutes ne sont pas en mauvaise posture. Ethiopian Airlines est là pour prouver qu’on peut se développer et garder sa profitabilité tout en étant détenue par l’Etat Ethiopien.

Par contre dans d’autres continents, comme les Amériques, la très grande majorité des transporteurs appartiennent à des groupes privés, voire à des familles. Aux USA, la situation est très simple : presque toutes les compagnies sont en bourse. Cela constitue une pression car le cours de bourse est déterminant pour juger de la capacité du management à gérer la compagnie. Cette situation peut d’ailleurs engendrer de considérables dégâts, comme le prouve la situation dans laquelle s’est mis Boeing pour préserver une position dominante vis-à-vis d’Airbus.

Durabilité et qualité

Au fond, dans le transport aérien, peu importe que le capital soit détenu par des fonds privés ou publics, l’essentiel est que le management soit durable et de grande qualité. Le meilleur exemple est celui d’Emirates, détenue par l’Emirat de Dubaï, et qui a gardé la même direction depuis plus de vingt ans. Le gouvernement dubaïote se borne, si l’on peut dire, à fournir à la compagnie les infrastructures qui lui permettent d’appliquer sa politique de « hub », quitte à ce que cette dernière rémunère convenablement leur utilisation. Ethiopian Airlines est également exemplaire dans sa relation avec son gouvernement. La compagnie a toujours été étatisée, et, alors que le pays a traversé d’innombrables crises et changement politiques, le transporteur a toujours réussi à garder son indépendance, ce qui signifie qu’il a toujours dû se suffire à lui-même.

Copinage

Mais les situations peuvent devenir très délicates lorsque les gouvernements se servent de leur compagnie nationale pour mettre leurs amis politiques aux responsabilités sans s’assurer qu’ils soient capables de les assumer. Pire, même : le transporteur national peut devenir un instrument de corruption très efficace au profit de décideurs gouvernementaux. Un avion vaut en moyenne 100 millions de dollars et les méthodes de financement sont parfois très opaques, ce qui permet quelques dérives fructueuses pour les gouvernants mais ruineuses pour les compagnies. Et puis il y a les fameux GP, c’est-à-dire, pour simplifier, les billets gratuits, non seulement sur la compagnie mais sur toutes les autres avec lesquelles la compagnie nationale a des accords. Voilà ce qui constitue une forte tentation à laquelle beaucoup succombent.

Chapter 11

Cependant les transporteurs privés ne sont pas de leur côté ni tout blancs, ni tout noirs. Faut-il rappeler que toutes les grandes compagnies des Etats Unis à la seule exception d’Alaska Airlines, sont passées par le « Chapter 11 », c’est-à-dire en clair, par le dépôt de bilan. Leur indépendance vis-à-vis de leur gouvernement ne les a pas sauvés de ce mauvais pas. Il ne faut pas oublier non plus la voracité de certains actionnaires qui distribuent allègrement le moindre profit au détriment de la constitution des réserves nécessaires à la traversée des périodes difficiles. C’est ainsi que le gouvernement fédéral a été amené à débloquer des aides de l’ordre de 60 milliards de dollars pour éviter la liquidation des grands groupes aériens américains.

Au fond, peu importe qui détient le capital, ce qui compte c’est la qualité du management. Celui-ci est essentiel quelle que soit la taille ou la nationalité de la compagnie. Encore faut-il qu’il dispose du temps nécessaire, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous en avons des exemples dans tous les pays et particulièrement en France.

NDLR : Jean-Louis Baroux met aussi sa plume au service de la fiction : il vient de publier un thriller autour de la disparition du Boeing 777 de Malaysia Airlines, en 2014 : On a perdu le MH 370, aux éditions l’Archipel. Voir ici.