Le NDC crée-t-il des trous dans le tracking ?

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Le NDC crée-t-il des trous dans le tracking ?

La montée en puissance du nouveau système de distribution soulève de nombreuses questions. Celle de la sécurité des voyageurs est rarement posée. Nous avons interrogé Moncef Khanfir (Wonder Miles) et Benoît Martin (Scotum Security First) sur cet enjeu majeur.

Les annulations de vols en cascade subies au plus fort de la pandémie de Covid ont mis les TMC sur le grill, chacun le sait. Mais on a finalement peu parlé de la mise en lumière des défaillances constatées au niveau du suivi des voyageurs (le tracking) durant cette période exceptionnelle. Ce constat constitue un élément à prendre sérieusement en compte, d'autant que l'évolution des stratégies de distribution des compagnies aériennes (l'extension du NDC) pourrait encore compliquer la donne.

En effet, la cohabitation de GDS et de NDC, soit différents types de canaux de contenu et différentes façons de partager les données tarifaires, va engendrer une fragmentation des informations de voyages dont la consolidation est pourtant nécessaire à un tracking fiable. Selon Bruce McIndoe, spécialiste de la gestion des risques du business travel, interrogé à ce sujet par nos confrères de The Company Dime, il y a quelques semaines, "les choses vont empirer avant de s'améliorer". Nous avons interrogé Moncek Khanfir, multirécidiviste de l'innovation dans la tech BT et créateur de Wonder Miles; il est plutôt d'accord avec McIndoe sur la trajectoire descendante puis ascendante décrite par la courbe de fiabilité du tracking dans un mode NDC.

Comment ça se passe aujourd'hui ?

Aujourd’hui, quel que soit le canal de la réservation online via le SBT ou offline via le GDS ou quelqu'autre fournisseur en accès direct, le schéma suivi consiste en la création d'un PNR avec des segments actifs réservés dans le GDS, et passifs pour les fournisseurs non-GDS (une réservation hôtel dans booking.com, par exemple). L'objectif est que toutes les infos consolidées se retrouvent dans le GDS via le PNR et soient envoyées au BO de la TMC pour la facturation, le reporting et, donc, aussi, le tracking via d’autres outils (ceux de Scotum, International SOS...).

Cette stratégie de consolidation n'est pas infaillible. Que le voyageur d’affaires ne se conforme pas à la stratégie sécurité de sa société, qu'il outrepasse la politique voyage de son employeur pour acheter des billets en direct, hors des circuits convenus entre l'entreprise cliente et la TMC... Et le voyageur sort, au moins partiellement, des radars.

Ce modèle centralisé est basé sur le GDS qui détient les informations "voyage" et surtout les profils voyageurs. Beaucoup de TMC dépendent du bon vouloir (techno et contenu) du GDS pour exploiter en toute indépendance ces informations même celles réservées hors GDS qui finissent - on l'a dit - dans le PNR du GDS.

Qu'est-ce qui change avec NDC ?

Le NDC impose par essence la défragmentation qui se matérialise par la désintermédiation, et la conséquence, c'est une traçabilité qui devient difficile voire impossible dans certains cas. En la matière, "NDC a encore quelques failles qui seront résolues à terme", estime, comme Bruce McIndoe, Moncef Khanfir.      

En attendant, il y a donc bien complication dans ce secteur du tracking s'il se fait dans le cadre d'une résa NDC. Si celle-ci, notamment, subit des modifications offline opérée par la compagnie dans son inventaire, se pose alors le problème de la mise à jour de l’itinéraire par les plateformes connectées en mode NDC : il y a effectivement défaillance en termes de risk management.

Mais, relativise Moncef Khanfir, "Ce problème est purement technique et non business : la mise en place d'une synchronisation des réservations le résout. En général, le NDC couvre un corpus non négligeable de fonctionnalités mais il reste aussi des fonctionnalités essentielles qui font défaut. Rome ne s’est pas faite en un jour."

Benoît Martin, directeur des solutions digitales de Scotum Security First (SSF) considère lui aussi que NDC va créer de la complexité supplémentaire en termes de tracking mais il ne s'agit, considère-t-il, que d'une norme nouvelle et que pour s'y plugger, des interfaces existent, que ne manqueront pas d'utiliser, "le moment voulu", les fournisseur de risk management. Il considère même qu'en termes de suivi de l'itinéraire voyageur, "c’est une nouveauté technologique qui est moins complexe que l’arrivée des low-costs dans les agences ou les prémices des HBT où, au début, on ne retrouvait pas de données dans le PNR, même en segment passif. Avec le NDC, on a déjà la technologie d’interfaçage qui est définie avant même l’usage."

Les TMC seront-elles prêtes ?

Cette question est en fait, pour Moncef Khanfir, le nœud du problème. Pour les nouveaux entrants chantres du full digital, ça ne devrait pas poser de problème. En revanche, pour les TMC conventionnelles dont la mise à niveau NDC traine en longueur, se posera forcément un ensemble de questions, dont la capacité à assurer la transmission de l'intégralité des informations à l'outil de risk management.

Benoît Martin est d'accord avec Moncef Khanfir sur la nécessité de distinguer entre types d'agence pour répondre à cette question. Par ailleurs, il se fait plus optimiste. Pour lui, trois cas de figure existent... D'abord, "les grandes TMC qui ont leur techno de centralisation des PNR et qui seront connectés au NDC, donc nous (SSF, ndr) aurons la data. Ces grandes TMC savent que ce sera un prérequis de la part de leurs gros clients (une dizaine d'entreprises du CAC40 sont clients de SSF, ndr) d’utiliser le NDC à condition que leur risk management provider ait la data."

Ensuite, "les agences qui profitent de l’opportunité (de NDC, ndr) d’investir pour maitriser eux-mêmes ce lien technologique (et limiter leur dépendance financière au GDS au passage). Dans ce cas, nous nous connecterons à leur SI en direct comme c’est déjà le cas avec quelques agences spécifiques". Enfin, pour les autres agences, qui n'ont pas les moyens (ou la volonté) d’investir dans une techno interne, elles se tourneront naturellement vers les GDS qui se positionnent aussi comme des agrégateurs, c'est le cas d'Amadeus, notamment.

Ce dernier cas de figure n'est pas - parions-le - celui qui séduit le plus Moncef Khanfir. Car selon lui, ce rôle crucial du GDS dans la centralisation des données est problématique : "Le propriétaire de la data aussi bien "voyage" que "profil" devrait être la TMC pour ses propres clients. En conséquence, la mise en place d’une base de données dans le système d’information de la TMC est indispensable pour avoir une vue complète du dossier résa, quelle que soit la source de ces réservations. Dans ce cas, la consolidation se fait au niveau de la TMC (qui s'affranchit du "gate keeper" de l'information qu'est le GDS) et on évite le problème de la défragmentation de l’information sur le passager : sa localisation devient immédiate, puisque la TMC peut communiquer toutes les infos itinéraires aux acteurs du risk management.