Ces européens trop gâtés

59

Les menaces de conflits sociaux s’amoncellent sur le transport aérien européen. En France, à tout seigneur tout honneur, le privilège d’avoir ouvert le ban avec le préavis de grève des personnels navigants d’Air France pour la fin novembre. Les PNC de Hop Britair n’attendent pas si longtemps. Leur préavis de grève était pour ce dernier week-end. On se rappelle également le conflit ouvert à Lufthansa, pour la première fois depuis très longtemps au printemps dernier, et puis le bras de fer engagé par les pilotes d’Iberia contre leur direction en début de cette année.

Ces européens trop gâtés
Tout cela est finalement très banal. Cela fait maintenant partie du paysage aérien auquel les voyageurs s’adaptent plus ou moins bien. Tant que les conflits ouverts restent au niveau des compagnies, fussent-elles importantes, les difficultés engendrées sont gérables, car la concurrence existe et les clients ont des solutions de repli.

Mais voilà que les contrôleurs aériens européens menacent à leur tour d’une grève dure le 10 octobre prochain. Le motif invoqué est l’opposition à la construction d’un contrôle aérien européen. Celui-ci se substituerait à l’organisation actuelle laquelle se fait autour des Etats. Alors bien sûr, un tel bouleversement entrainerait, selon les syndicats, la disparition de 10.000 postes de travail et, disent-ils, la mise en danger du transport aérien.

Bon, je veux bien que les contrôleurs civils soient particulièrement compétents et qu’ils traitent tout à fait convenablement le trafic aérien. Mais enfin, n’importe qui peut reconnaître que l’espace aérien des états est trop restreint en Europe pour être géré de manière efficace. Il ne s’agit pas de mettre en cause le professionnalisme des contrôleurs mais d’admettre que le système actuel n’est plus adapté à la densité croissante du trafic et à la vitesse moyenne de plus en plus élevée des avions. A ma connaissance, il y a en Europe 47 centres de trafic qui utilisent 23 systèmes différents. C’est trop, beaucoup trop, et tous les experts sont d’accord sur le sujet.

Le bon sens est à l’évidence dans la création d’un seul espace aérien européen divisé en fractions beaucoup plus grandes que les actuelles. Cela entrainera à l’évidence la disparition de certains centres de contrôle, mais je ne vois en aucun cas pourquoi plus de simplicité serait un facteur d’accidents.

Au fond depuis des années, les personnels du transport aérien européen, qu’ils soient employés des compagnies, des aéroports ou des aviations civiles, savent qu’ils vivent la fin d’une époque bénie où la croissance du trafic s’accompagnait mécaniquement d’avantages supplémentaires, financiers ou autres. La concurrence n’avait pas encore été expérimentée et le seul mot de compétition était à bannir, car il signifiait tôt ou tard la remise en cause des avantages acquis.

Et nous y sommes. L’augmentation du nombre de passagers ne signifie plus l’amélioration des résultats. Les clients rechignent à payer le prix nécessaire au maintien des privilèges, d’autant plus qu’ils ont le choix. Certes, les excès de certains opérateurs ne sont pas à imiter, je pense en effet à la stratégie de Ryanair, mais enfin cette compagnie a pris 70 millions de passagers en Europe seulement.

Rien ne peut s’opposer à la marche de l’histoire. Tous les obstacles du monde ne modifient pas les trajectoires, quoiqu’en disent les syndicats. Au lieu de mettre des freins aux inévitables évolutions, ne feraient-ils pas mieux de les accompagner en négociant avec les directions des transitions en douceur ? Ce n’est pas ce qui se passe. Et finalement, ce sont les personnels qui trinquent, ceux-là justement que les syndicats ont pour mission de défendre, voire même de guider. A trop ralentir les évolutions, on ne fait que rendre plus violente l’adaptation. Et au pire, comme cela s’est produit par exemple pour Alitalia, les compagnies sont entrainées vers le gouffre et les salariés se retrouvent à la rue.

Les européens se conduisent pour le moment comme des enfants gâtés auxquels les méchants veulent enlever leurs jouets. Le rôle des dirigeants des personnels est déterminant pour que les transitions se fassent en douceur. Sauront-ils s’élever au-dessus des intérêts partisans immédiats pour voir «derrière l’horizon» ?

Jean-Louis BAROUX