Des profits et après ?

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C’est certain maintenant, l’année 2010 aura été une année record pour les résultats du transport aérien : une croissance retrouvée de près de 7 % et un retour aux profits, entre 10 et 11 milliards de dollars. J’ai assez souvent dénoncé les pertes de ce secteur d’activité pour ne pas me réjouir sincèrement de ce résultat.

Des profits et après ?
Il faut néanmoins y regarder de plus près. Avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 500 milliards de dollars, curieusement le chiffre exact est toujours très difficile à obtenir, le profit de 11 milliards dans sa fourchette haute, ne représente que 2,2 % du volume des ventes. Ce qui est, de l’avis des experts, très inférieur au montant nécessaire pour réaliser le renouvellement des flottes estimé à 8 %. On est loin du compte. A ma connaissance, seule Emirates réussit cet exploit, ce que je trouve au fond très sympathique, car la compagnie qui fabrique le meilleur produit est également celle qui est la plus profitable. Y aurait-il une relation de cause à effet ?

Au moment où j’écris, seuls des résultats partiels sont connus. De grands transporteurs, comme par exemple Air France/KLM arrêtent leur exercice social le 31 mars et leur résultat n’est connu que mi-mai. Cependant des grandes tendances se dégagent.

La croissance n’est pas répartie également sur tous les continents. Bien entendu, et ce n’est une surprise pour personne, l’Asie vient en tête avec un taux de 11 %. Les Amériques sont derrière avec 6,3 % et l’Europe est bonne dernière avec 3,5 %. Lorsque l’on parle de ces résultats, ce sont ceux des transporteurs domiciliés dans les zones en question. Mais il faut entrer encore un peu plus dans le détail

La croissance de l’Amérique vient pour l’essentiel de la partie Amérique Latine avec des taux de croissance exceptionnels : 19,5 % pour TAM et 21,1 % pour GOL par exemple. Or ces compagnies sont déjà très importantes avec plus de 30 millions de passagers chacune. Les transporteurs américains conservent une croissance très modérée : 2,5 % pour American Airlines, 2,3 % pour Delta Air Lines, 2,3 % pour United/Continental par exemple. Les transporteurs low costs jouissent de meilleurs taux comme 6,1 % pour Southwest Airlines qui est devenue la première compagnie domestique américaine.

L’Europe est à la traîne. Certes ses transporteurs sont vieillissants, mais pas plus que les grandes compagnies américaines, par contre l’effet trains à grande vitesse se fait inexorablement sentir. Les européens doivent espérer leur développement uniquement sur le trafic long courrier et ce n’est pas simple car la concurrence mondiale est rude, en particulier celle des compagnies du Golfe et les grandes asiatiques. Notons cependant la bonne tenue de Turkish Airlines avec + 18,7 % et le renouveau d’Aeroflot avec + 33,8 % à comparer avec les + 4,8 % de Lufthansa ou les 0,5 % d’Air France/KLM.

L’Asie reste en revanche un domaine de croissance durable. Il semblerait même que celle-ci ne fait que commencer et qu’elle s’accélèrera sous l’effet conjugué des bons résultats actuels qui permettront de financer les milliers d’avions commandés et qui commencent seulement maintenant à entrer en service. Les compagnies asiatiques - soutenues par un marché quasiment frénétique, des prix de revient bas et des appareils en grand nombre - ont tout ce qu’il faut pour dominer les marchés longs courriers. Elles y seront en plus aidées par le différentiel de qualité de leur service, si les grands transporteurs européens ne réagissent pas. Elles ont maintenant une flotte moderne et elles ont été les premières, avec les compagnies du Golfe, à se positionner sur les très gros porteurs qui vont encore faire diminuer les prix de revient à la condition de disposer d’un volume de clientèle suffisant.

Le challenge pour les « legacy airlines » est assez clair : pour réussir, il leur faudra retrouver un niveau de profit de l’ordre de 8 % et comme elles ont à peu près terminé la chasse aux économies et à la baisse des coûts, il leur faudra bien retrouver un niveau de recette unitaire plus élevé. Cela signifie l’arrêt de la recherche de nouvelles parts de marché et la concentration des énergies sur l’amélioration de leur produit qui doit devenir non seulement l’égal des meilleurs, mais forcément d’un niveau plus élevé.

Jean-Louis BAROUX