Emirates est t-elle un modèle à suivre ?

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Notre consultant spécialisé dans l'aérien, Jean Louis Baroux, évoque une interview de Tim Clark, le discret patron d'Emirates, qui donne son avis sur les grands sujets actuels du transport aérien. Quelques réflexions sur un environnement économique difficile qui, pourtant, n'a que très peu pénalisé la compagnies dubaiote. Un début d'explications de la réussite de sa compagnie.

Emirates est t-elle un modèle à suivre ?
Tim Clark est le discret CEO d’Emirates. C’est un homme simple et qui ne parle pas fréquemment. Néanmoins à la tête de sa compagnie depuis longtemps, il en a fait un des leaders si ce n’est le leader des transporteurs réguliers long courriers, tout en développant sa rentabilité. Équation difficile mais naturelle pour lui. Les comptes de la compagnie ont été contestés mais jamais personne n’a pu apporter la preuve qu’ils étaient biaisés de quelque façon que ce soit, en dépit des allégations de certaines compagnies européennes au premier rang desquelles Air France.

Bref, lorsque Tim Clark parle, il vaut mieux l’écouter. Il a récemment donné une longue interview à Air Transport News dans laquelle il explique ce qui constitue à son point de vue les facteurs de la réussite de sa compagnie.

Les Alliances

«Je vais être très clair : nous n’entrons pas dans ce jeu. Nous contrôlons notre propre destinée, notre propre produit, notre chaîne d’approvisionnements, nos achats et notre stratégie. Lorsqu’on est dans une alliance on n’a pas la liberté de contrôle de tous ces facteurs». Tim Clark a une vision déterminée: «Si les Alliances étaient si bénéfiques, comment expliquer que de très grands transporteurs membres d’alliances aient fait faillite? Voyez Varig, Ansett et tous les autres.»

Le pétrole

Il est déterminé par l’économie globale. «Aucun de nous n’est capable de prédire ce qui va arriver car personne ne dispose de la bonne boule de cristal». A partir de ce simple constat, la compagnie a toujours intégré le prix du pétrole, quel qu’il soit, dans son prix de revient et n’a par conséquent jamais pratiqué de surcharges carburant. C’est vraiment une question de survie. «J’ai toujours dit y compris à l’Assemblée Générale de IATA en 2007 que le bon prix du pétrole se situait entre 60 $ et 80 $. Ce prix est bon pour l’économie en général».

La chasse aux coûts

«Nos coûts unitaires ont toujours été sensiblement plus bas que ceux de nos homologues dans ce secteur d’activité… Néanmoins nous ne faisons jamais d’économies sur le marketing et ce qui touche notre image… Nous faisons également très attention à payer très convenablement nos pilotes et nos ingénieurs. Nous sommes toujours dans les 8 premiers pour les salaires des pilotes et les premiers pour ceux des ingénieurs… Mais nous cherchons toujours à garder notre structure interne très légère… Nous investissons massivement dans les systèmes informatiques, ainsi notre compagnie est entièrement équipée de iPads depuis 2 mois… Pour terminer notre productivité par employé mesurée en termes de revenu ou en terme de sièges kilomètres offerts est meilleure que celle de tous nos homologues, à l’exception peut-être des low costs».

La consolidation du transport

«Lorsque l’on dit – la consolidation est le seul moyen d’éliminer les risques liés aux cycles de l’économie- je ne partage pas du tout ce point de vue. La consolidation est un anathème à ce que nous pensons. Les Alliances constituent un anathème à ce que nous pensons. Vous faites ce que vous avez à faire par vous-même ou vous ne faites rien du tout. La notion de British Airways – Iberia ou de KLM – Air France… Pourquoi KLM ne pourrait-elle pas se débrouiller toute seule ? Prenez British Airways et Ibéria : ils veulent se marier et tous deux sont en pertes sur le marché européen. Je me pose des questions sur ce constat. Au final, est-ce que les actionnaires sont bénéficiaires ? Regardez les profits des méga compagnies, ils ne sont pas si bons que cela».

L’interview est longue et complète. Elle reflète bien à la fois la personnalité de Tim Clark et les valeurs de sa compagnie. Celle-ci a affronté dès sa création d’énormes difficultés politiques : guerre Iran – Irak, 2 guerres du Golfe, l’effondrement des économies asiatiques en 1988, la grippe aviaire etc… Elle n’a pas plus été épargnée que ses homologues, mais Tim Clark ne rejette jamais la responsabilité de ses résultats sur les autres. Sa compagnie doit et s’est adaptée aux variations économiques. Elle a construit un modèle basé sur la qualité de son produit de façon à attirer des clients qui ne situent pas dans son marché de proximité. Cela a peut-être été sa chance. Ne pouvant disposer d’un réservoir naturel, la compagnie a été amenée à conquérir des marchés dans des zones aussi éloignées que l’Asie et l’Europe. Ce faisant, elle a acquis un savoir faire et une culture des clients sans commune mesure avec les autres transporteurs assis sur un marché naturel qu’ils se sont efforcés de protéger sans pour autant faire les efforts nécessaires aussi bien sur leurs coûts que sur leur produit.

Merci Monsieur Clark pour cette leçon. Puisse-t-elle être apprise par vos confrères.

Jean-Louis BAROUX
Président Fondateur d'APG Group

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